Les limites du soft power français

La France, digne héritière du Général Charles de Gaulle et du siècle des Lumières, aime se positionner comme étant la nation sachant résister aux influences extérieures, mue par sa farouche indépendance « gauloise ». Dans sa stratégie, elle tente d’impulser cette volonté à d’autres pays européens non sans quelques victoires assorties de véritables désillusions.

Le rapport de la France à son territoire et à ses différents terroirs est extrêmement important, résolument ancré dans la conscience collective du peuple de France. Bien que membres fondateurs de la CEE puis de l’UE, et encore en très grande majorité pro-européens, les Français sont très fiers de leurs marques, de leur culture, de leurs industries et de leurs multiples savoir-faire gastronomiques et œnologiques.

La France a été pour la deuxième année consécutive classée première du classement Soft Power 30 édité chaque année par le Portland Institute dans lequel il est notamment fait mention, en anglais dans le texte (1) « France also has a rich cultural offering, with strong performances in the art, film, food, sport, and tourism metrics. France has the highest number of Michelin starred restaurants in the world, and French cuisine is recognised by UNESCO as an Intangible Cultural Heritage ». A l’étranger, qui ne rêve pas de goûter aux vins français, à la cuisine de Bocuse, de visiter le Louvre, la tour Eiffel ou le Château de Versailles ?

Théorisé par Joseph Nye en 1990, la notion de Soft power serait pourtant peut-être apparue dès Louis XIV où le rayonnement du Roi Soleil apportait un immense prestige de la France en Europe. La France est un pays monde, un des seuls présents aux quatre coins de la planète. Terre d’immigration où l’universalité s’est pensée avec une histoire coloniale et post-coloniale forte, la France a une vision bien particulière de la souveraineté, pas forcément toujours en phase avec ses voisins.

De nombreuses initiatives de défense du patrimoine français existent, promues soit par l’appareil politique soit par des initiatives privées (associations, fondations…). Prenons par exemple l’aspect culturel.  Avec l’incroyable essor du numérique notamment avec Apple, Facebook, Google, Amazon et Netflix, la France a commencé à réaliser la capacité de nouveaux acteurs à profiter d’un héritage culturel fort pour monnayer de nouveaux services sans forcément devoir être redevable économiquement. C’est d’ailleurs en réaction à cette situation, que l’on pourrait presque qualifier de pillage culturel, que Franck Riester alors Ministre de la culture, déclarait le 18 février 2020 devant la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, que la France s’engageait résolument à défendre sa « souveraineté culturelle » pour défendre son patrimoine culturel en imposant le respect des droits d’auteurs et en finançant des « champions nationaux » dans les domaines de l’audiovisuel, du cinéma et de l’édition (2).

Pour Franck Riester, il en va d’un enjeu de civilisation au-delà de l’aspect culturel. Dans son intervention, il y dénonçait notamment la menace globale que les entreprises privées américaines, chinoises ou autres font peser sur la culture mondiale : « Une entreprise privée, qu’elle vienne de la côte ouest-américaine, de Chine ou même d’Europe, ne peut pas imposer sa vision de l’organisation de la société à des Etats souverains. Que des partenariats se développent, très bien ! Mais qu’on respecte d’abord la loi. ».

Par cette déclaration, la France s’affirmait comme étant le premier pays européen à appliquer la directive Européenne sur les droits voisins (3) promulguée le 17 avril 2019. De plus, on peut noter que cette déclaration marque un tournant dans la politique culturelle de la France. Auparavant axé sur le soft power avec l’affirmation d’un « rayonnement de la France » par sa culture, on s’axe désormais dans le domaine du hard power sur la défense d’une souveraineté culturelle en opposition à des entreprises privées venues attaquer la culture en l’exploitant et en pillant ses auteurs.

« Rebranding France », nouvelle stratégie de défense des intérêts français à l’international

L’exemple de souveraineté culturelle permet de poser le sujet des grands chantiers que la France souhaite mettre en place pour renforcer sa position en tant que nation pragmatique de ses enjeux nationaux.

S’il est bien une appellation qui se suffit à elle-même, symbole de l’excellence d’un soft power, c’est bien la marque France. Longtemps sous-estimée par l’Etat lui-même, elle a pourtant une puissance phénoménale pour légitimer une entreprise, un produit ou même un individu dans un pays étranger.

Pourtant, à l’inverse de n’importe quelle autre marque, celle-ci n’a pas été développée ni même valorisée internationalement comme elle aurait dû l’être. Tout d’abord initiée au niveau national en 2009, ce n’est qu’en janvier 2013 sous l’autorité du Président de la République François Hollande que Nicole Bricq, Ministre du Commerce Extérieur et Arnaud Montebourg, Ministre du Redressement Productif, entament une réflexion avec un groupe d’experts au sujet de la marque France et son rayonnement à l’international.

Le but affiché est clair : « L’objet de la marque France devra être, tout à la fois, de promouvoir : i/ le « fabriqué en France » ; ii/ nos produits et nos services à l’export et une certaine excellence française ; iii/ la destination France pour les investissements directs étrangers, les talents d’aujourd’hui et de demain (chercheurs, designers, créateurs, entrepreneurs, étudiants, innovateurs) ainsi que pour les événements majeurs, les grands salons professionnels et les touristes. » (4). Plus récemment, à l’image des plus grandes marques internationales, un site internet du gouvernement donne les consignes de son utilisation et de sa charte graphique.

Ce mouvement de rebranding de la marque France a été impulsé en réaction au Nation Branding initié par de nombreux pays désireux de vouloir promouvoir leurs savoir-faire à l’international et d’inculquer dans l’esprit des gens des notions de crédibilité, de reconnaissance et de qualité. De nombreux exemples de Nation branding réussis : quand on pense fiabilité automobile on pense Allemand ou Japonais, services bancaires on associe la Suisse, la Belgique pour son patrimoine brassicole Coréen pour les toutes dernières technologies.

En initiant cette stratégie de valorisation des actifs culturels français au service de l’expansion de son industrie, l’exécutif français a offert un atout considérable aux entreprises exportatrices en leur permettant de capitaliser sur un symbole universellement reconnu comme gage d’humanisme, de richesse culturelle et de liberté de pensée.

« Entre deux produits qui sont les mêmes, qu'ils soient vendus en France ou vendus dans le monde, celui qui a la marque France a plus de valeur que l'autre. Cela est le fait que la marque France est porteuse de valeurs historiques, patrimoniales, culturelles fortes. Notre culture, nos artistes enrichissent la marque France. » indique Yves Jego.

Le cas d’Origine France Garantie comme axe de différentiation français en Europe

Origine France Garantie (OFG) est une certification lancée le 19 mai 2011 par l’association Pro France, elle-même créée le 19 juin 2010 par Yves Jégo, Antoine Veil et Jacques-Henri Semelle. Cette initiative est née de la commande d’un rapport du Président de la République Nicolas Sarkozy au député UDI de Seine-et-Marne Yves Jego, portant sur le sujet de la défense des emplois français face à la mondialisation et intitulé « En finir avec la mondialisation anonyme - La traçabilité au service des consommateurs et de l'emploi »(5).

La principale problématique soulevée par ce rapport concerne la perte d’identité des produits ou services consommés au profit de la marque emblème au détriment de l’origine. Le problème sous-jacent étant bien entendu lié à la mondialisation, à l’internationalisation des entreprises et à la complexité de leur chaîne d’approvisionnement, incitant les multinationales à maquiller l’origine des produits et services et donc à encourager les délocalisations dans des univers économiques plus propices à l’augmentation des marges.

Par ailleurs, il est également mis en exergue que le marquage « made in » comme défini par l’UE n’est pas assez contraignant et ouvre la voie à un « franco-lavage » par des sociétés basées dans des pays à faibles coûts de production et profitant de la permissivité des règles européennes pour revendiquer un marquage injustement attribué.

La stratégie française ici impulsée par la demande de ce rapport est double : d’une part renforcer les aspects émotionnels d’origine d’un produit ou d’un service fabriqué en France afin de lier le produit ou le service au consommateur et d’autre part d’inciter par la création d’une certification telle qu’OFG, les entreprises à renforcer ou rapatrier leurs chaînes de productions afin de pouvoir bénéficier de l’image de qualité et de confiance procurée par l’apposition de la certification sur leur produit.

« Les règles du code douanier européen qui définissent le "made in France" derrière la dernière transformation substantielle était un peu trop lâche. On pouvait avoir une marinière cousue en Bretagne mais dont une grande partie du travail était fait ailleurs, en l'occurrence au Maroc. C’est là que je me suis dit qu'il pouvait-être intéressant pour ceux qui continuaient de fabriquer en France, et d’avoir une logique où le produit devenait le produit en France, d'avoir une certification qui pouvait en attester, d'en faire un premium du "made in France".

C'est pour cela qu'on s'est inspiré du "Swiss Made" pour créer la certification Origine France Garantie (OFG) qui est aujourd'hui la seule certification globale puisque l'on s'adresse à tous les types de produit et la plus exigeante puisque pour être OFG, il faut à la fois que le produit ait acquis ses caractéristiques principales en France, totalement fabriqué en France, et 2ème critère qu’au moins 50% de son prix de revient unitaire soit acquis en France (prix unitaire = entrants, main d'œuvre etc.) » nous explique Yves JEGO, Président d’honneur de l’association Pro France. « On a créé une deuxième certification qui s'appelle Service France Garantie (SFG) qui selon le même processus certifie les services. Pour être SFG, il faut que 90% des salariés qui concourent au service soit à minima des salariés de droit français, présents sur le territoire français. » ajoute-il.

Les certifications OFG et SFG étant ce qu’elles sont, la question de la légitimité de ce type de certification peut être posée étant donné que d’autres existent déjà dans le cadre européen, tels qu’AOP, AOC ou IGP (6,7) : « AOP ce n'est pas un label, c'est une politique Européenne qui concerne les fromages. Les AOC, IGP, AOP c’est une quarantaine de produits (typologie de produits ndrl) qui sont concernés mais il n'y a pas de label. Après, il y a certains entrepreneurs qui apposent des labels sur leurs produits mais c'est de l'auto-proclamation, il n'y a rien d'officiel, c’est par exemple quand vous marquez "produit français", "fabriqué en France", "tradition française", "recette française" etc… Il-y-a effectivement les AOP et IGP mais qui concernent 60 produits. IGP c'est l'industriel (agriculture ndrl) et AOP l’alimentaire. Ce sont des règlements européens extrêmement compliqués qui sont aussi une attestation d'origine mais extrêmement restreinte. Nous, OFG, on est à 4000 gammes de produits. Eux (AOP, IGP), ils sont à 60. Pour être AOP ou IGP il faut 15 années d'efforts et dépenser 3 millions d'euros.

OFG c'est une certification. Il-y-a un organisme de certification type Bureau Veritas qui, missionné par l'entreprise, vient pour venir vérifier les critères de fabrication d'un produit ou d'une gamme de produit. Dans une même entreprise on peut avoir des produit OFG et d'autres qui ne le sont pas. Le processus est le suivant : 1. Vérification selon critères de l’audit, 2. si critères OK, certification pendant 4 ans. » nous explique Yves JEGO.

Également, nous avons posé la question de l’existence d’une certification similaire à OFG ou « Swiss made » au niveau européen à laquelle Yves JEGO nous a répondu « Non pas à ma connaissance. En Suisse c'est une loi ! Ils ne sont pas soumis aux règles européennes. Toutes les règles de consommation sont de compétence européenne. En Suisse c'est une loi qui a défini le « Swiss Made ». En France il est impossible de passer une loi de type « Swiss Made » car cela va à l'encontre de la libre concurrence du marché commun européen. ».

 

 

Annexe 1

1 A Global Ranking of Soft Power 2019 - Soft Power 30

2 Déclaration de M. Franck Riester, ministre de la Culture, sur l'action de l'audiovisuel extérieur public et la souveraineté culturelle, à l'Assemblée nationale le 18 février 2020.

3 Directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du conseil du 17 avril 2019 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE

4 Dossier de Presse « Marque France »  

5 En finir avec la mondialisation anonyme - La traçabilité au service des consommateurs et de l'emploi

6 Plaquette AOP AOC

7 Plaquette IGP