Les problèmes de sécurité de l’art numérique

Le marché de l’art est en pleine mutation numérique. Si le montant des transactions « en ligne » avait tendance à stagner ces dernières années (8% du marché total en 2019), l’épidémie du Covid 19 est venue redonner du dynamisme à cette filière. Les salles de ventes « physiques » laissent une place toujours plus importante aux plateformes numériques, les artistes utilisent désormais les réseaux sociaux pour exposer leurs œuvres et se faire connaitre et les musées et autres galeries multiplient les visites virtuelles et les conférences online.

C’est dans ce contexte d’évolution et d’adaptation que le NFT ou Non Fongible Token a fait son apparition en 2017. S’appuyant sur la technologie de la blockchain et bénéficiant de l’engouement actuel des investisseurs pour les cryptomonnaies, il permet de donner une origine et un caractère unique à une œuvre numérique, ce qui était jusqu’alors impossible. Cependant, si certains acteurs de la filière, notamment les artistes et les investisseurs, louent le caractère disruptif du NFT, des experts/critiques d’art ou des écologistes lui opposent régulièrement ses inconvénients en termes de sécurité, d’environnement et de « dilution » de l’art. Ainsi, malgré les montants mirobolants de certaines ventes et leur impact médiatique, le NFT, à l’heure actuelle, ne permet au mieux que le développement d’une niche du marché de l’art, qu’est l’art numérique.

Evolution numérique du marché de l’Art

Le marché de l’art, dont le montant des transactions annuelles évolue entre 63 et 65 milliards, est un monde très codifié avec ses normes, ses secteurs et ses acteurs. Traditionnellement certaines institutions (le Museum of Moder Art (MoMA), le musée Guggenheim, les galeries Larry Gagosian et Pace, la Tate Modern à Londres, et le Centre Pompidou à Paris) sont au centre d’un réseau d’influence et sont absolument incontournables pour tout artiste souhaitant être reconnu mondialement et vivre confortablement de son art. A ces 6 institutions s’ajoutent 3 salles de ventes (Christie’s, Sotheby’s et Phillips).

Mais comme dans toutes les économies traditionnelles, les différents protagonistes évoluant dans le milieu artistique, ont dû s’adapter à l’arrivée du numérique. Les artistes couplent désormais promotion « physique » dans les galeries avec promotion digitale grâce aux réseaux sociaux et à des sites internet (http://www.paintings-directory.com). Les galeries d’art et les salles de ventes ont développé des plateformes en ligne et font du e-commerce avec certificats d’authenticité, garanties sur la signature de l’artiste, livraisons en 48h avec retour possible et possibilité de négocier les prix des œuvres en faisant des offres en ligne (https://www.artsper.com/fr, https://www.sothebys.com/fr). Les musées multiplient les vidéos de visites virtuelles à 360° sur des sites de partage de vidéo comme Youtube (https://www.youtube.com/user/metmuseum/videos). Les sites internet leur ont aussi permis de développer la mise en scène des œuvres et de donner accès au citoyen lambda à des conférences sur l’Histoire de l’art, la rénovation d’œuvres, etc.

Cependant, malgré tous ces efforts d’adaptation aux nouvelles technologies, le montant des transactions en ligne plafonne autour des 5 milliards de dollars, soit 8% du montant global des transactions annuelles (Il est tout de même important de noter que la crise du Covid 19 a largement contribué au regain de dynamisme dont font preuve les sites de vente d’art en ligne ces derniers mois). De plus 48% des plateformes en ligne interrogées sont persuadées qu’un nouvel acteur extérieur au monde de l’Art bouleversera le marché dans les 4 années qui viennent. C’est donc dans ce contexte d’incertitudes que le NFT a fait son apparition.

NFT ou le développement de l’Art numérique dématérialisé

Jusqu’en 2017, date de l’apparition des premières transactions de NFT (cryptopunks et cryptokitties), tout document créé sur ordinateur pouvait être reproduit à l’infini sans qu’il soit possible de déterminer quel était le document d’origine. C’est sur cet aspect que le Non Fongible Token révolutionne les mondes de l’Art et de la communication. En effet un artiste créant une œuvre informatique (vidéo, dessin, musique, etc.) peut désormais définir cette dernière comme étant l’original et la prémunir de toute duplication. Il garantit ainsi à un éventuel acheteur ou investisseur qu’il n’est pas en train d’acquérir une copie, ce qui donne, de facto, de la valeur à l’œuvre. Le NFT fait donc office de certificat numérique d’authenticité et de propriété qui peut être acheté et vendu. Ainsi le NFT est un titre de propriété pour des œuvres numériques créées par l’humain qui est sécurisé et traçable à l’infini grâce à la technologie Blockchain. Cette dernière, notamment utilisée dans le domaine des cryptomonnaies consiste en une liste successive d’enregistrements, aussi appelés blocs, qui sont liés entre eux par cryptographie. Chaque bloc est horodaté et contient les informations cryptographiées du bloc précédent, ce qui implique que tout changement dans un bloc entraine une modification des blocs en amont. Ainsi l’acquéreur d’un NFT peut retracer l’ensemble des propriétaires précédents, les informations sur son créateur, le prix de l’œuvre et tous ses détails techniques.

Protection des artistes et opportunités d’investissements en cryptomonnaie…

Voici l’argument principal pour l’adoption du NFT par le monde de l’Art. L’artiste n’a, dans l’absolu, plus besoin d’intermédiaire, hormis les plateformes de vente de NFT, pour vendre une œuvre numérique. De plus, comme chaque vente est tracée, grâce à l’application des droits d’auteur, il touche une commission automatique (royalties d’environ 4%), ce qui est rarement le cas dans le monde de l’art traditionnel. Ainsi tout créateur d’œuvre d’art peut désormais partager avec une exposition inégalée ces documents numériques avec le grand public et aussi déterminer la valeur de ceux-ci. Le NFT représente donc une opportunité pour les artistes ayant des difficultés à percer et à vivre de leur art.

A l’autre bout de la chaine de la valeur se situent des acheteurs de toute sorte mais principalement des investisseurs en cryptomonnaie. En effet, les NFT s’achètent avec de la cryptomonnaie qui utilise la même technologie Blockchain (Bitcoin ou Ethereum) et très peu de site de vente en ligne acceptent les moyens de paiements traditionnels. Il n’est donc pas étonnant de retrouver comme acheteurs et défenseurs du NFT des entrepreneurs / investisseurs dans l’économie de la cryptomonnaie, à l’image de Vignesh Sundaresan, connu sous le pseudo MetaKovan dans la communauté des cryptomonnaies, qui a acheté en mars 2021, pour 69 millions de dollars, le NFT de l’œuvre « Everydays : The first 5000 days » créée par l’artiste Beeple ou alors quand Coinbase, plateforme en ligne de vente de cryptomonnaie lance un blog appelé « Fact Check » censé  devenir une source de vérité ayant pour but de lutter contre la couverture médiatique négative et la désinformation . Ainsi, malgré une grande volatilité, le marché des NFT demeure très attractifs pour les investisseurs en cryptomonnaie, reléguant l’aspect artistique de l’œuvre au second plan. D’autant plus qu’en France, à ce jour, l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) ne considère pas les plateformes de vente de NFT comme celles de cryptoactifs. Aussi l’avis, publié en mars 2021, visant à établir une réglementation autour des plateformes de cryptoactifs dont les activités se rapprochent d’un marché de valeurs mobilières, ne s’applique pas aux plateformes de vente de NFT considérés comme des marchandises.

... Mais une multitude d’inconvénients bien réels

Le NFT est cependant attaqué de toute part et par différents acteurs. Tout d’abord, concernant le droit d’auteur, rien n’empêche un illustre inconnu de créer un NFT à partir de photos ou vidéos publiées sur le compte Instagram d’une personnalité en vue. Il devient alors propriétaire d’un document dont il n’est pas le créateur (cf. cas du NFT d’Emily Ratajkowski).

D’autre part, comme pour les cryptomonnaies, est souvent abordée la problématique environnementale liée au fonctionnement de la blockchain (minage), sujet à ne pas sous-estimer, vue l’importance à l’heure actuelle du RSE. La nouvelle génération d’artistes est alors confrontée à un vrai dilemme écologique, comme par exemple Mathieu Lacrouts, fondateur d’une agence de communication, ayant créé une campagne d’Esport en NFT qui pour se « racheter une conscience » a fait des dons à la WWF.

Autres détracteurs,  la presse artistique et les experts du monde de l’art, réfutent le caractère « artistique » du NFT, prétextant le fait que n’importe qui peut créer un NFT à partir de n’importe quoi, ce qui, à leurs yeux, ne correspond pas aux prérequis d’une œuvre.

Enfin, La sécurité de l’achat de NFT reste aussi un élément problématique et ce à plusieurs niveaux. Le premier concerne la volatilité de la valeur de l’œuvre qui se cumule à la volatilité de la cryptomonnaie ayant permis d’acheter le NFT. Le second est lié au fait qu’il est nécessaire d’utiliser des codes pour accéder à un crypto wallet ou porte-monnaie électronique permettant de stocker les cryptoactifs en sécurité. Ainsi la perte de ces codes a pour conséquence la disparition définitive du contenu du porte-monnaie électronique. Enfin de manière exceptionnelle, certaines personnes n’hésitent pas à détruire une œuvre physique pour accroitre de manière exponentielle la valeur du NFT associé à cette œuvre. C’est le cas notamment d’un collectif de traders ayant brûlé l’œuvre physique « Morons » du street artiste Bansky pour la transformer en une œuvre virtuelle.

Il s’agit donc pour les « pro-NFT » d’être en mesure de trouver des réponses à toutes les problématiques soulevées par les acteurs du monde de l’art et plus généralement de la société.

 

Conclusion

En définitive, le NFT apparaît moins comme une révolution que comme un nouveau moyen technologique mis au service de l’Art et de la spéculation dans le secteur des cryptoactifs. En effet, il n’apporte pas l’élément disruptif sensé chambouler le marché de l’art comme prédit par certains sites de vente en ligne, mais il permet à tout un pan d’artistes oubliés ou en devenir de se faire connaitre et à des investisseurs à la recherche d’opportunités de venir dynamiser ce secteur de l’économie. Mais pour que le NFT soit adopté par le grand public et les acteurs traditionnels, les défenseurs du NFT devront gagner la guerre d’informations. Plus globalement, ce combat médiatique rejoint donc celui des cryptomonnaies qui tentent de s’imposer dans la vie quotidienne de chaque être humain.

 

Jeremy Blanchard
Auditeur de la 37ème promotion MSIE

 

Références :