Les risques pour la France d’une coopération renforcée entre la Russie et l’Algérie au Mali

Alger, 2 octobre 2021, le gouvernement algérien décide de rappeler son ambassadeur à Paris et de fermer son espace aérien aux avions militaires français. À l’origine de cette décision, un discours d’Emmanuel Macron sur la question mémorielle algérienne, jugé irrespectueux.  Cet incident représente le second acte d’une passe d’arme politico-diplomatique opposant l’Algérie à une France qui a décidé, fin septembre, de réduire drastiquement la délivrance de visas aux ressortissants des pays du Maghreb(1). Depuis cette mesure, les relations entre les deux pays n’ont eu de cesse de se dégrader, fragilisant d’avantage la popularité de la France sur un continent africain qui attire déjà les convoitises de nombreuses puissances telle que la Russie, allié historique de l’Algérie, dont le regard est désormais tourné vers le Mali.

Russie-Algérie : entre alliance et dépendance  

La Russie a, depuis le début des années 2000, placé l’Afrique et la Méditerranée au centre de sa politique étrangère. Cette place est devenue d’autant plus prégnante en 2015 que Moscou a vu en la Syrie le moyen de réaffirmer son statut de puissance internationale tout en défendant ses intérêts sécuritaires et économiques que sont la lutte contre le terrorisme et le développement d’accords commerciaux autour de l’énergie (2).

Dans un tel paradigme, la puissance régionale qu’est l’Algérie fait figure d’allié de choix, d’autant que leurs relations sont au beau fixe depuis la fin de la guerre froide.

Une réelle proximité politique

Moscou et Alger partagent une conception semblable de la politique tant intérieure qu’extérieure. Le rapport de la Fondation Méditerranéenne d’Études Stratégiques le met en lumière : « En définitive, la Russie et l’Algérie partagent bien des représentations et des partis pris communs : une mise en avant de la sacro-sainte stabilité (notamment à travers l’importance accordée à la lutte antiterroriste), une préférence pour la flexibilité dans les relations diplomatiques et une volonté de contribuer – par la médiation – à la résolution des conflits » (3). Les deux pays présentent en effet la même aspiration à s’affirmer en puissance indépendante et s’imposer respectivement comme puissance régionale et internationale. Cette convergence de vision pousse les deux États à s’entraider. Il convient de prendre pour exemple le cas de Vladimir Poutine qui n’hésite pas à relayer les discours anticolonialistes d’Alger en encourageant les pays africains à se mobiliser pour une indépendance tant politique qu’économique. Le président Russe exhortait ainsi « les pays africains à cesser leur dépendance à la France et à œuvrer à développer le continent considéré comme le plus riche du monde » (4).

Cependant, dès lors qu’on s’éloigne des déclarations politiques, il est aisé de constater que, derrière ses airs de mentor, la Russie est un acteur qui jouit d’une forme de dépendance de la part de l’Algérie via une coopération inégale dans plusieurs domaines clés. Ainsi, en 2017, Dmitri Medvedev, alors chef de l’État russe, a signé, avec Alger, pas moins de 6 documents portant sur une coopération russo-algérienne dans une multitude de domaines tels que la justice, l’énergie, l’éducation ou encore la santé (5). Ce n’est par ailleurs pas anecdotique que le choix de vaccin dans la lutte contre la Covid-19 se soit porté sur le vaccin Sputnik-V. Un tel choix traduit clairement la défiance de l’Algérie à l’égard des autres puissances occidentales mais surtout la place incontournable de la Russie comme marraine d’un État algérien trop faible pour prospérer seul. En proposant son aide à une Algérie fragile, la Russie s’assure, sans s’exposer, un réel ancrage sur le continent africain.  

Une relation économique à sens unique

Les liens algéro-russes sont particulièrement forts et transparaissent dans plusieurs secteurs.

Déjà en 2006, la Russie concluait une opération de séduction efficace en effaçant la dette algérienne s’élevant à 4.7 milliards de dollars afin de s’assurer les bonnes grâces d’Alger. Depuis, elle n’a eu cesse de conclure des partenariats économiques avec son allié (6). Ainsi, les investisseurs et opérateurs russes sont sollicités dans des domaines aussi variés que les transports, les technologies d’information et de communication ou encore l’agriculture. La dernière réussite russe en la matière est une seconde livraison par le négociant Demetra d’une cargaison de 60 000 tonnes de blé à l’Algérie ce mois-ci (7).  

Du point de vue énergétique, Moscou et Alger ont noué un accord sur le nucléaire en 2014 et estiment que la première centrale nucléaire de conception russe devrait voir le jour à l’horizon 2025-2030 (8). À la composante nucléaire s’ajoute la composante ressources fossiles. En effet, l’Algérie demeure un grand consommateur d’hydrocarbures et l’ours russe s’est naturellement imposé comme son fournisseur principal.

Enfin, l’Algérie demeure un des principaux clients de la Russie dans le monde arabe, notamment dans le domaine de l’armement. Alger n’a ainsi eu de cesse de se fournir auprès des industries russes dans l’espoir de moderniser son armée pour faire face à l’instabilité caractérisant la région du Maghreb. De fait, la Russie demeure, depuis 2006, le premier fournisseur auprès de l’Algérie. Ainsi, elle pourvoirait à hauteur de 67% aux besoins en équipements, faisant de l’ancienne colonie française, le troisième client de Moscou (9). Dans cet esprit de coopération intensifiée, les deux États ont franchi un nouveau cap en intégrant désormais la composante militaire à leur relation avec un premier entraînement commun des forces terrestres russes et algériennes en octobre 2021 (10).

En dépit de déséquilibres manifestes, les deux nations semblent désormais résolues à coopérer afin d’étendre leur influence géopolitique respective, notamment au Mali.

Le Mali : terre de toutes les convoitises

En juin 2021, le président Macron annonce la fin de l’opération Barkhane, laissant un vide à combler sur le territoire malien. Loin du souhait français d’une transition vers une gouvernance apaisée et un affaiblissement des Groupes Armés Terroristes, Bamako a exprimé la volonté de contracter le Groupe russe Wagner, outil d’influence stratégique du Kremlin, pour la protection de ses hauts-dirigeants et la formation des Forces armées maliennes (11).

L’allié algérien de Moscou ne serait pas en reste puisqu’il a déjà offert de financer jusqu’à 70% de l’accord potentiel entre Bamako et GW, démontrant ainsi son intention de soutenir la Russie dans son entreprise (12). Elle voit en l’intervention russe l’opportunité de gérer le risque sécuritaire que constitue la présence de cellules terroristes islamique au sud de sa frontière australe. Un déploiement des troupes de Wagner, moins procédurières que les forces françaises, pourrait être le moyen tant attendu de résoudre la question du terrorisme au Sahel.  Le rapprochement avec les troupes russes pourrait aussi représenter un argument de choix dans le conflit qui oppose Alger à Rabat autour du dossier du Sahara occidental. Enfin, il apparait nettement que l’Algérie, aux prises avec Paris, profiterait de l’influence russe au Sahel pour contrebalancer le pouvoir français qui lui se montre très réticent aux rapprochements avec la Russie (13).

Du coté de Moscou, le déploiement de Wagner permettrait d’étendre un peu plus l’influence russe en Afrique, après son implantation en République centrafricaine, en endossant un rôle prépondérant dans la stabilisation de la région. De plus, un potentiel accord avec Bamako rapporterait 9,15 millions d’euros mensuels au Groupe Wagner et garantirait à la société russe l’accès à trois gisements miniers, deux d’or, un de magnésium (14). En échange donc d’une aide à la résolution de la situation sécuritaire critique, la Russie percevrait de Bamako des avantages financiers et politiques. Elle se présenterait ainsi en grande puissance victorieuse, à contrario d’une France esseulée, rendue exsangue par ses efforts au Sahel et le changement de paradigme de la part de ses anciennes colonies

La France : grande perdante de ces nouveaux équilibres

L’approfondissement d’un tel partenariat stratégique achèverait de décrédibiliser l’action et la crédibilité militaire française au Sahel. La Russie et l’Algérie apparaissent comme les grands gagnants de cette opération réussie de contre-influence. À terme, cela pourrait s’avérer très délicat puisque la France ne peut se permettre aucune faiblesse sur un continent africain dont les divers États souhaitent s’affranchir d’une certaine forme de dépendance à l’égard européen.

Léa Merveilleau,
Etudiante de la 25ème promotion SIE

Sources :

  1. TV5Monde et AFP. (22 octobre 2021). « France-Algérie : le Mali et le groupe russe Wagner au cœur des tensions diplomatiques. 
  2. El. Marrakchi, T. : « Les enjeux stratégiques actuels de la Russie en Méditerranée : analyse retrospective et prospective », Paix et Sécurité Internationales, numéro 8, 2020, pp.451-466.
  3. A. Mohammedie. (2 décembre 2020). « Russie-Algérie : un partenariat flexible et pragmatique ». Fondation Méditerranéenne d’Études Stratégique.
  4. Algérie Patriotique. (21 octobre 2020). « Alger et Moscou ne veulent plus laisser Rabat et Paris jouer seuls en Afrique ».
  5. B. Slaski. (2018). « Quelle réalités et intentions derrière les avancées russes en Afrique du Nord ? ». Revue Défense Nationale (N°806). pp. 101-105.
  6. A. Mohammedie. (2 décembre 2020). « Russie-Algérie : un partenariat flexible et pragmatique ». Fondation Méditerranéenne d’Études Stratégique.
  7. Agence Ecofin. (21 octobre 2021). « Le négociant russe Demetra livre une cargaison de 60 000 tonnes de blé à l’Algérie ».
  8. Algérie Focus. (2 août 2021). « Energie / La Russie prête à propulser l’Algérie dans l’ère nucléaire ».
  9. A. Mohammedie. (2 décembre 2020). « Russie-Algérie : un partenariat flexible et pragmatique ». Fondation Méditerranéenne d’Études Stratégique.
  10. L. Lagneau. (5 octobre 2021). « Les forces terrestres russes et algériennes engagées pour la première fois dans un exercice conjoint en Ossétie du Nord ». Zone militaire, Opex 360.
  11. Le Monde Afrique. (27 septembre 2021). « L’hypothèse Wagner fait monter la tension entre la France et le Mali ».