Les synergies entre le renseignement et l'intelligence économique

Le recours à l'intelligence économique est devenu de plus en plus nécessaire pour les entreprises ces dernières années avec la masse sans cesse croissante d'informations disponibles en ligne, que ce soit dans les publications, sur les réseaux sociaux ou simplement dans les serveurs de données. De plus, avec la mondialisation et la transition numérique abrupte, il est devenu vital pour les acteurs économiques en général de pouvoir s'organiser, s'adapter et réagir en fonction d'un nombre de paramètres toujours en augmentation. Ce fait tend à rendre le renseignement économique de plus en plus précieux, d'où la nécessité de le valoriser via une bonne synergie avec l'intelligence économique.
Renseignement et intelligence économique : définitions et distinctions
Pour bien comprendre cette synergie, il est important de tout d'abord comprendre la différence entre le renseignement et l'intelligence. En effet, les deux notions sont souvent utilisées l'une pour l'autre, surtout dans les milieux anglophones. En vérité, elles recouvrent deux choses différentes mais sont complémentaires.
Définition du renseignement
Dans le domaine économique, un renseignement est une information qui répond à certains critères de pertinence, de ciblage et de crédibilité. C'est donc une donnée concrète, qui provient d'une source considérée comme fiable, qui concerne un sujet impactant l'économie de près ou de loin, et qui peut être collectée et analysée dans un but stratégique. Cela peut être une information sur l'état du marché ou son évolution, mais aussi sur la réglementation d'un domaine d'activité, sur l'avancement des concurrents, sur les innovations technologiques récentes ou en cours d'élaboration… Ces données doivent être mises en commun et en rapport avec d'autres pour être valorisées et permettre à une entreprise de les utiliser pour s'adapter, réagir ou se préparer. Par exemple, une entreprise pourra s'intéresser aux nouveaux produits phares d’un concurrent avant que celui-ci ne soit mis sur le marché, pour réorganiser sa ligne de produits ou modifier sa stratégie marketing en conséquence. Ces renseignements d'affaires ne sont donc pas des informations brutes dénuées de sens. Ils doivent être interprétés, recoupés et contextualisés. Et c'est là le but de l'intelligence économique. Si l'on confond souvent les deux, c'est parce qu'en anglais, renseignement se dit intelligence. C'est pour cette raison que dans le milieu de l'économie internationale, il est parfois difficile de savoir de quoi l'on parle. Une formation en intelligence économique et politique permettra aux futurs acteurs du milieu d’acquérir les connaissances et le vocabulaire nécessaires à la compréhension de cette notion centrale de l'économie moderne.
Définition de l’intelligence économique
L'intelligence économique est le processus de valorisation du renseignement. En effet, étymologiquement, le mot intelligence se réfère à la faculté de faire le lien entre les informations pour en tirer des conclusions. L'intelligence économique est donc l'ensemble des méthodes de collecte, de recoupement et d'analyse des informations, mais aussi tout ce qui touche à leur diffusion et protection, dans le but d'établir une stratégie économique éclairée. Dans l'exemple précédent, le renseignement est donc l'information sur le produit du concurrent, et l'intelligence économique le contexte dans lequel le renseignement est collecté et analysé avant de décider des mesures à prendre pour s'adapter à la concurrence.

Différences et complémentarités
Les deux notions de renseignement et d'intelligence ne sauraient donc avoir de sens l'une sans l'autre. Le renseignement est la brique d'information brute dont l'intelligence économique a besoin pour bâtir une stratégie. L'intelligence est un levier d'action qui permet de valoriser le renseignement. Sans ce levier, les renseignements ne sont que des données dénuées de sens.
Applications concrètes et bénéfices des synergies
Piliers de l'intelligence économique, la veille stratégique et l'analyse concurrentielle permettent aux entreprises de prendre de l'avance sur leur stratégie en anticipant les mouvements de leurs concurrents, les fluctuations du marché ou encore les grands événements qui pourraient avoir un impact à terme sur leur fonctionnement ou leur orientation.
Veille stratégique et analyse concurrentielle
Ces veilles peuvent concerner de nombreux domaines comme la réglementation, l'innovation ou encore les tendances émergentes intéressant le domaine d'activité de l'entreprise, pour qu'elle puisse s'adapter en amont. À titre d'exemple, une entreprise agroalimentaire pourra, grâce à une veille réglementaire au niveau européen, anticiper l'application de nouvelles normes d'étiquetage en adaptant à l'avance sa chaîne de production. Dans le milieu technologique, de nombreuses compagnies de télécom ont profité de l'annonce de l'avancée sur la 5G pour commencer à communiquer sur leurs futures gammes de téléphones et intégrer des mois en avance des puces capables de supporter ce futur format, ce qui leur a donné un avantage considérable sur la concurrence. Couplée à l'analyse concurrentielle, cette veille stratégique est un levier puissant qui permet de comparer la position d'une entreprise par rapport aux forces et faiblesses de la concurrence. Cette analyse peut concerner les brevets en cours de dépôt, mais aussi les évolutions des parts de marché, les politiques tarifaires ou encore les alliances économiques et commerciales en passe d'être conclues. Par exemple, c'est grâce à cette analyse que la plupart des entreprises se sont mises à utiliser les réseaux sociaux et les influenceurs pour promouvoir leurs produits à peu d'intervalles, et ainsi éviter de se faire distancer par la concurrence. Il en va de même dans le milieu pharmaceutique, dans lequel chaque société garde un œil avisé sur les avancées des concurrents pour adapter l'utilisation de leurs ressources et rester dans la course.
Sécurité économique et protection de l’information
L'intelligence économique comporte une composante sécuritaire en ce qui concerne la protection et la diffusion des informations. En effet, si tous les acteurs économiques mettent en place une stratégie de veille concurrentielle et gardent un œil sur les mouvements des autres, l'enjeu majeur pour chacun est donc de bien protéger ses informations et de conserver le plus haut degré de confidentialité possible, ne serait-ce que pour préserver certains actifs immatériels comme les brevets ou les savoir-faire précieux (la fameuse recette du Coca-Cola ou de la sauce Big Mac en sont de bons exemples). Cela sans compter les risques pour la sécurité économique globale, si des informations sensibles venaient à être divulguées. En effet, des informations boursières concernant les plus gros investissements ou revirements pourraient être utilisées pour bouleverser sciemment l'équilibre économique, potentiellement à un niveau mondial, ce qui aurait un impact non seulement sur de nombreuses entreprises mais aussi sur les politiques économiques de certains pays. Il est donc important de sécuriser au mieux ses données pour ne pas permettre aux concurrents ou aux personnes malveillantes de les utiliser pour faire basculer le cours de l'économie de manière artificielle et totalement inopportune. Le marché se régule grâce à l'équilibre entre sécurité des données et efforts pour les collecter. Cet équilibre naturel du marché pourrait être rompu par un simple acte de malveillance.
Gestion des risques et anticipation
La gestion des risques en intelligence économique passe par l'anticipation. Celle-ci repose sur l'analyse de signaux faibles comme les potentiels changements réglementaires, les nouvelles technologies et supports de stockage de données, ou encore les changements politiques internationaux, comme l’histoire l’a récemment montré. Interpréter ces signaux permet de se positionner en avance et de profiter d'un effet de levier en cas de succès, mais surtout de limiter les risques en cas d'évolution défavorable de la situation. Ces anticipations sont souvent au cœur des mouvements massifs de fonds dans le monde des cryptomonnaies. En effet, lors d'annonces politiques pouvant avoir un impact économique, de nombreuses entreprises revoient leurs positions pour équilibrer leur ratio risque/bénéfice, et cela se traduit par de fortes fluctuations des valeurs crypto. À titre d’un second exemple parlant, de nombreuses entreprises ont commencé à s'intéresser aux véhicules électriques en prévision de l'interdiction du thermique, pour profiter d'un fort effet d'avance, avant de se repositionner sur les véhicules hybrides en attendant des décisions politiques plus fortes et plus étendues. Ce rebasculement en arrière est une décision d'intelligence économique dont l'objectif est de limiter les risques peu importe le sens d'évolution de la législation automobile.
Défis et perspectives d’avenir
L'intelligence économique demandant, pour se nourrir, de plus en plus de données, la question de leur acquisition fait de plus en plus polémique. Entre technologies de collecte toujours plus puissantes et une législation toujours plus restrictive, la guerre économique se joue sur deux tableaux à la fois.
Enjeux éthiques et réglementaires
Il est en effet de plus en plus difficile de savoir quelles données sont publiques ou privées alors que les deux sortes sont publiées via les mêmes canaux. La popularisation des réseaux sociaux et des techniques de minage de data viennent renforcer ce constat et la réglementation peine à s'adapter à l'évolution rapide des technologies de collecte, des voies de publication et de la sensibilité des mœurs. La frontière entre veille, espionnage et indiscrétion tend à se faire de plus en plus mince et force donc les politiques des différents pays à s'adapter en urgence d'une année sur l'autre, poussant les acteurs de l'intelligence économique à adapter leurs méthodes en retour pour rester dans la légalité : respecter le RGPD, le secret des affaires, la cybersécurité, la vie privée, la concurrence…
L'impact des nouvelles technologies
En parallèle, les technologies de collecte de données se font de plus en plus puissantes et invasives, capables de collecter des masses de données toujours plus rapidement, sans discrimination sur le type d'information, sa crédibilité ou sa légalité. Cela pose une nouvelle question d'éthique et de réglementation : dans le cas d'une collecte aveugle et massive de données brutes, est-ce la collecte ou l'utilisation du renseignement qui est illicite ? Par anticipation, de nombreux acteurs corrigent leurs algorithmes pour discriminer l'information en amont de la collecte, au prix d'un plus gros effort d'analyse par la suite pour valoriser les informations recueillies.
L'intelligence économique ne cesse donc d'adapter ses outils en fonction de la réglementation et des avancées des technologies et des pratiques sociales et commerciales. Ces questions sont au centre des attentions des grandes entreprises et des startups, car l'information est devenue la clé de la réussite dans un milieu économique ultra-concurrentiel dont les technologies et les limites réglementaires se confrontent.