L’éthique dans le monde de la sécurité au Royaume Uni

Avec l’essor des nouvelles technologies, les autorités londoniennes ont décidé d’intégrer des programmes de reconnaissances faciales au large dispositif de vidéosurveillance en vigueur. Une décision qui n’est pas sans entraîner la contestation d’une partie de Londres, qui estime que cette mesure inefficace viole les libertés individuelles. Il est vrai que les premiers tests effectués dans des centres commerciaux en 2018 ont montré les limites de cette jeune technologie, avec sur les six derniers tests effectués 81% de faux positifs1. Malgré les contestations2, le MET (police londonienne) n’envisage pas d’écarter cette technologie. Bien au contraire, elle indique sur son site internet maintenir “son besoin d'utiliser les technologies de reconnaissance faciale” (its need to use Facial Recognition technologies)3.

La polémique sur la reconnaissance faciale

Les contestations ont cependant obligé les politiques à prendre en compte le sujet, ce qui a permis d’entamer les premiers travaux de recherche pour une utilisation éthique de cette technologie. La police londonienne met désormais à disposition des citoyens divers études à l’impact, comme sur la protection des données par exemple4. Par ailleurs, la MET possède désormais un mandat légal afin d’opérer et de déployer cette technologie. Elle devra cependant motiver les raisons de ce déploiement, afin de ne pas entrer en opposition avec l’article 8 de la CEDH5. Les termes de cette disposition restent vagues, et laissent place à un champ d’action conséquent pour les forces de l’ordre britanniques6.

Le sujet de la vidéosurveillance est central dans la capitale anglaise. Si les londoniens se sont habitués à être surveillés, l’arrivée de nouvelles technologies telles que la reconnaissance faciale inquiète sérieusement une partie de la population. Ce phénomène est d’autant plus inquiétant qu’aucun cadre juridique n’a été préalablement établi, et que la technologie ne semble pas encore au point. S’il est évident que les services (polices, renseignements) se doivent de collecter de l’information en vue de protéger les intérêts du pays, la capitale britannique semble davantage suivre le pas de la Chine en matière de vidéosurveillance. Comme le souligne un citoyen gallois ayant “été victime” de cette technologie - et malgré un avis favorable de la justice britannique à son égard - l’accès aux données collectées par les services de police reste aujourd’hui très compliqué7.

Enfin, le second problème éthique soulevé par l’utilisation de cette technologie en Grande Bretagne réside dans la privatisation de celle-ci. Le manque de corpus législatif sur le sujet autorise des entités privées à mettre en place des systèmes de reconnaissance faciale, et ainsi de former une base de données sur ses clients8.

Les marges de manœuvre du renseignement britannique par rapport à l'éthique

Avant de commencer tout développement au sujet du renseignement britannique et des éventuelles questions éthiques qu’il soulève, il convient dans un premier temps de revenir sur le fondement même de ces services, et plus particulièrement du service chargé de la sécurité intérieure du Royaume-Uni, à savoir le Security Service du Home Office (ex MI5). Si en France, la Direction Générale de la Sécurité Intérieure - en lien avec ses services concernés - est chargée de détecter et d'entraver l’ensemble des activités pouvant nuire à la sécurité de la France ou à ses intérêts9. En ce qui concerne le Security Service du Home Office, sa mission est davantage restreinte puisqu’elle ne vise essentiellement la protection de la démocratie parlementaire, bien que comprenant cette notion de sécurité nationale.

Une ancienne directrice du Security Service, Eliza Manningham-Buller, a par ailleurs écrit un livre dans lequel elle explique la vision des services de renseignement britanniques, qui s’attache davantage à la pratique du dialogue qu’à des actions concrètes10. Si ce phénomène est une tendance générale, elle est en partie vérifiable, selon les témoignages d’un ex-agent danois ayant traité avec les services secrets britanniques11.

Le franchissement de la ligne rouge

Cette vision éthique que les services britanniques cherchent à diffuser a cependant été lourdement entachée ces dernières années. À la suite des révélations de l’ancien agent de la NSA Edward Snowden, le Royaume-Uni a été mis en cause par plusieurs organisations britanniques devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Dans cette affaire, trois programmes espions opérés par le Government Communications Headquarters (GCHQ ) étaient mis en cause, à savoir TEMPORA (stockage de données en masse de tout le trafic Internet) ; KARMA POLICE (base de données comprenant un profil de navigation Web pour chaque utilisateur visible sur Internet) et Black Hole (référentiel de plus d’un billion d'événements, y compris des historiques Internet, des enregistrements de courrier électronique et de messagerie instantanée, des requêtes de moteurs de recherche et des activités sur les réseaux sociaux)12.

Après avoir prononcé un premier avis (2018) condamnant sur le plan légal les agissements des services secrets britanniques, les plaignants ont fait valoir un renvoi auprès de la Grande Chambre, estimant que le jugement n’allait pas assez loin. En 2021, la Grande Chambre de la Cour Européenne des Droits de l’Homme a prononcé un second avis, confirmant l’illégalité de la démarche aux yeux des libertés fondamentales13. Au cours des différentes auditions opposant l’organisation Big Brother Watch et le Royaume-Uni, ces derniers ont avoué ne pas collecter des informations des cibles identifiées, mais bien de collecter des informations pour permettre par la suite de décider qui représente une menace14. C’est en ce sens que les programmes précédemment cités constituaient une réelle menace pour l’éthique et la préservation des libertés citoyennes.

La sécurité privée au Royaume-Uni

Les puissances anglo-saxonnes utilisent des Private Military Company (PMC) c’est-à-dire des société militaires privées (SMP), afin d’intervenir militairement sans intervenir politiquement. Le procédé permet de lancer des opérations à l’étranger sans engager la responsabilité de l’Etat. L’autre avantage de l’utilisation des SMP est que les pertes que pourrait subir cette SMP ne toucheraient pas la population de la même manière que si les pertes étaient subies par l’armée nationale. L’autre avantage est que l’armée nationale n’étant pas déployée sur le terrain, le gouvernement peut nier sa présence et son action, ou bien affirmer que les troupes déployées n’ont rien à voir avec ses forces armées.

Les missions des SMP ne se limitent pas aux missions de combat, mais peuvent s’étendre à des missions de coopération ou d’instruction autrefois remplies uniquement par les armées conventionnelles. En 1995, c’est ce genre de prestation qui est confiée à la Military Professional Resources Incorporated lors de la guerre de Croatie. Le résultat de la modernisation de l’armée croate par une SMP permet sa victoire contre les forces serbes. Les nouvelles formes de la guerre contemporaine ont vu le déploiement limité, en quelques sortes, à titre expérimental, puis la progression rapide du ratio effectifs forces conventionnelles/effectifs SMP en faveur de ces dernières.56

Les phénomènes énoncés au cours de cette partie mettent en avant la vision anglo-saxonnes de la sûreté, qui consiste à déployer rapidement des mesures sans qu’aucun cadre législatif ne soit disponible pour les encadrés. Si cette vision possède des avantages notamment en termes de courses à la technologie, il n’en demeure pas moins qu’elle soulève de réelles questions éthiques, reprises par les Britanniques depuis quelques années.

Il semble inévitable que les dirigeants britanniques doivent dans les années à venir se pencher sur l’élaboration d’un cadre législatif fort permettant d’encadrer ces nouvelles pratiques, au risque de voir la contestation citoyenne grandir. Un risque d’autant plus important en raison de l’utilisation de certaines technologies comme la reconnaissance faciale dans le secteur privé.

Il est reproché à la France d’accorder énormément d’importance à l’élaboration de loi et de règlement permettant d’encadrer le domaine de la sûreté, entraînant un retard conséquent dans les nouvelles technologies. Pour autant, la vision anglo-saxonne qui induit le contraire montre également ses limites, en raison d’une ouverture trop importante de ce secteur. Contrairement à la France qui développe un corpus juridique fort pour préserver l’intégrité de l’Etat, le Royaume-Uni élargit le champ d’action en intégrant ces dispositifs à la lutte anticriminalité. Aux vues du respect des libertés individuelles (CEDH, RGPD, etc…), la question se pose alors de limiter ce genre d’actions aux seuls services de renseignements.

 

RSCI 04 de l’EGE

Notes

1 Hérard P. (2021). Reconnaissance faciale : nouvelles polémiques après l'échec cuisant de la police de Londres. TV5 Monde.

2The lawless growth of facial recognition in UK policing. (2018). Face Off

3 Facial Recognition. Metropolitan Police.

4 Data Protection Impact Assessment. Metropolitan Police.

5 Live Facial Recognition : legal mandate. Metropolitan Police.

6 ibidem

7France TV Londres, (2021). Royaume-Uni : des caméras qui font débat. YouTube.

8 Ibid

9 France. Code de la Défense, (2008). Article D3126-2, 28 novembre 2008.

10 Salazar J. (2012). L’éthique du renseignement à propos du livre au service de la démocratie parlementaire, de Lady Manningham-Buller, ancienne présidente du MI 5. Cf2r.

11Storm, M., (2016). Agent au cœur d'Al Qaïda. Pocket.

12 R. Gallagher, De la radio au porno, des espions britanniques traquent les identités en ligne des internautes, The Intercept, septembre 2015.

13 Cour Européenne des Droits de l’Homme.

14 La surveillance de masse au Royaume Uni jugée illégale par la plus haute juridiction européenne des droits de l’homme, Big Brother, mai 2021.

15P. Darantière, Les sociétés militaires privées : succès et contraintes, Dans Inflexions 2007/1 (N° 5), pp 107-125.