L’indifférence par rapport aux limites planétaires

Les limites planétaires selon le "Stockholm Resilience Centre (SRC)" ont été introduites dans les publications de 2009 dans Nature, de 2015 dans Science et de 2023 dans Science Advances. Nous constatons aujourd'hui que la majorité de ces limites ont été dépassées dans une indifférence totale malgré les risques existentiels encourus par l'Humanité. Dans cet article, nous allons essayer de démontrer comment cette indifférence peut s'expliquer par une guerre informationnelle menée par de puissants groupes d’intérêts économiques.

Ainsi, nous commencerons par définir ce que sont ces limites planétaires et les enjeux existentiels associés. Puis nous analyserons la guerre informationnelle autour du narratif de la "transition énergétique" visant l’une des limites planétaires : celle du changement climatique. Ce qui nous permettra de généraliser, dans la dernière partie, sur l'impact plus global de la guerre informationnelle sur la prise en compte de ces limites planétaires.

Limites planétaires selon le "Stockholm Resilience Centre (SRC)"

Les auteurs du site gouvernemental notre-environnement[i] proposent la définition suivante basée sur les publications citées en introduction: "Le concept des limites planétaires définit un espace de développement sûr et juste pour l’humanité, fondé actuellement sur neuf processus biophysiques qui, ensemble, régulent la stabilité de la planète :

  • Le changement climatique.

  • L’érosion de la biodiversité.

  • La perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore.

  • Les changements d’utilisation des sols.

  • L’acidification des océans.

  • L’utilisation mondiale de l’eau.

  • L’appauvrissement de l’ozone stratosphérique.

  • L’augmentation des aérosols dans l’atmosphère.

  • L’introduction d’entités nouvelles dans la biosphère.

Ils proposent la représentation suivante reprise de la publication dans Science déjà citée.

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Figure 1 : Définition des limites planétaires avec ses seuils

 

Il faut noter que l'état représenté par la figure précédente date de 2015. Il permet cependant de bien apprécier les différences entre:

  • Le seuil bas de la zone d'incertitude (la zone jaune), qui est un seuil d'entrée dans une zone déjà très dangereuse car présentant une "forte incertitude" sur la capacité du système terre à offrir "un espace de développement sûr et juste pour l’humanité" (termes repris de la définition).

  • Le seuil haut de la zone d'incertitude, aussi appelée point de bascule[ii], en sortant de la zone jaune pour rentrer dans la zone rouge critique car présentant cette fois-ci un risque "élevé". Or le terme "élevé" dans le langage des probabilités peut s'interpréter comme "certain" dans le langage courant ce qui nous conduit à être dans une zone qui présente la "certitude" de l'incapacité du système terre à offrir "un espace de développement sûr et juste pour l’humanité"[iii].

Origine et évolutions entre 2009 à 2023

En 1972, un groupe de trois scientifiques du Massachusetts Institute of Technology (MIT), mandaté par le Club de Rome, publient le désormais célèbre rapport "the Limits to Growth"[iv]. Ce rapport des années 1970 a posé les bases à tous les travaux concernant les impasses de notre modèle actuel.

C'est dans la continuité de ce rapport que s'inscrivent les travaux du SRC qui présentent aussi l'évolution de la situation sur la représentation ci-dessous issue du leur site officiel[v], avec un zoom sur la situation actuelle (2023).

 

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Figure 2 : évolutions du franchissement des limites

 

2023 update

Figure 3 : zoom sur la situation actuelle (de 2023)

 

Alors qu'en 2009, "seules" trois limites planétaires étaient franchies, on constate qu'à ce jour, sur les neuf grandes familles, six sont maintenant largement dépassées, soit presque 80% des limites franchies ce qui est déjà un problème majeur comme cela est expliqué dans la partie précédente.

Gravité des enjeux

Pour apprécier pleinement l'ampleur de ce que cette situation implique, il convient de se référer, comme le suggère la page Wikipédia des limites planétaire[vi], à la présentation du rapport "Our World at Risk Transforming Governance for a Resilient Future" de l'ONU. Cette présentation[vii] nous informe sans détour que "l’humanité entre dans « une spirale d’autodestruction », en raison d’une « perception erronée des risques guidée par « l'optimisme, la sous-estimation et l'invincibilité », conduisant à des décisions politiques, financières et de développement qui exacerbent les vulnérabilités et mettent des vies en danger ». Et qu’« ignorer délibérément les risques, sans les intégrer dans la prise de décision, revient pour le monde à financer sa propre destruction. Les secteurs essentiels, des gouvernements au développement, en passant par les services financiers, doivent de toute urgence repenser la façon dont ils perçoivent et gèrent les risques de catastrophe.»

Mais alors, comment a-il-été possible, face à de tels enjeux existentiels scientifiquement démontrés et largement documentés, que la situation ait pu se dégrader à ce point depuis les années 1970 ? Parmi les causes de cette dégradation, une guerre informationnelle a eu lieu pour préserver des rentes au détriment de l'existence de l'Humanité. C'est ce que nous nous proposons d'analyser dans la prochaine partie.

Une guerre informationnelle autour du narratif de "transition énergétique"

Dans le cadre de cet article, nous allons analyser le cas de la guerre informationnelle menée autour du narratif de la "transition énergétique" qui vise la remise en cause de la limite planétaire du réchauffement climatique. Pour ce faire, nous utiliserons principalement les éléments issus des propos de l'historien Jean-Baptiste Fressoz recueillis[viii] dans son interview sur la chaîne youtube Elucid[ix].

 La "transition énergétique" du point de vue de l'historien

Jean-Baptiste Fressoz est un historien dont le métier est de relater des faits historiques, sourcés, et considérés sur le temps long. Ce que nous apprenons lors de son interview sur Elucid, fondé comme d'habitude sur des graphiques limpides, est que :

  • La transition énergétique est un concept qui n'existe pas en histoire : ce concept de transition, qui ne s'applique pas à l'énergie, a été recyclé sans aucun fondement scientifique.

  • Dans le domaine énergétique, ce ne sont pas des "transitions" mais des "accumulations" qui s'observent historiquement sur le temps long. Aucune matière première est devenue obsolète, ce phénomène n'a jamais été observé. La civilisation consomme toujours plus de bois et de charbon, et non pas moins comme le discours ambiant pourrait nous le faire croire : il est surtout question dans l'énergie d'accumulation et de symbiose, pas de remplacement. Les énergies fossiles ne diminuent pas depuis les 50 dernières années comme le montre le graphique ci-dessous issu de l'interview.

  • Les techniques et technologies de l'énergie se propagent sur des échelles de temps qui se comptent en dizaines d'années. Ainsi, ce qui est inventé actuellement dans ce domaine sera opérationnel dans la société en 2050 seulement. Le monde matériel évolue très lentement.

     

Figure 4 : évolution des consommations des énergies

 

Les actions d'influence autour de ce narratif de "transition écologique"

Toute la panoplie des types d'actions d'influence a été déployée pour servir un narratif fictionnel de "transition énergétique".

Désinformation[x] et intoxication[xi]: comme l'ont montré les auteurs du livre "Les marchands de doute[xii]" en 2010, les méthodes d'influence éprouvées par l'industrie du tabac ont été ré-appliquées au réchauffement climatique. Il s'agit de « discréditer les études scientifiques, véhiculer de la fausse information, entretenir la confusion et le doute ». Comme on peut le lire dans journals.openedition.org[xiii], les auteurs de ces actions "s’appuient sur la « faiblesse » de la démarche scientifique. En effet, celle-ci accepte le doute, la critique. Elle chasse le dogme, au profit d’allers-retours critiques entre pairs, jusqu’au moment où les faits et leur interprétation feront l’objet d’un large consensus. Dès lors, il suffit de trouver des scientifiques prêts à ouvrir une polémique, à dénoncer des assertions plutôt consensuelles, pour jeter le trouble, pour gagner du temps, en réclamant de nouvelles investigations, des études plus poussées, des corrélations mieux établies". Les causes principales sont noyées dans une série de causes secondaires, de détails souvent faux. Ainsi, les grands pétroliers comme ExxonMobil, Shell ou Total Energies auraient, d'après cette enquête, investis des milliards de dollars au financement d'études apportant des éléments intoxicants les données et influençant l'action vers le climato-scepticisme.

Agitation[xiv] et manipulation[xv]: comme on peut le lire sur le site greenwatt.fr concernant la "transition énergétique", "ce concept est apparu pour la première fois sous la forme d’un livre blanc en 1980, en Allemagne et en Autriche, sous le nom de « Energiewende ». Ce document faisait alors part de la nécessité de réduire notre consommation d’énergies fossiles, notamment dans les secteurs de l’industrie et du transport. Le 16 février 1980, à Berlin, le premier « Congrès sur la transition énergétique, le retrait du nucléaire et la protection de l’environnement » avait lieu.". Or cette notion de transition énergétique est, au regard des éléments historiques rappelés dans la partie précédente, tout simple historiquement et scientifiquement impossible dans les échelles de temps qui nous concernent. Les seuls cas de transition rencontrés, pour reprendre l'exemple de Mr. Fressoz, concernent soient des interdictions par la puissance publique comme ce fut le cas pour l'amiante, soit des contraintes extrêmes et massives comme en Corée du nord ou à Cuba. La "transition énergétique" signifie de "laisser le charbon, le pétrole et le gaz dans la Terre" pour utiliser une autre énergie aujourd'hui inexistante dans les mêmes ordres de grandeurs (comme les graphiques précédents le montrent). Ceci est inenvisageable actuellement. Ainsi, ce narratif de "transition énergétique" a donc eu pour effet de créer de l'agitation et fut une manipulation gigantesque pour "continuer comme avant", en laissant croire que des sociétés humaines seraient capables de faire un changement qui ne s'est jamais produit dans l'histoire de la civilisation, ceci simplement en réduisant la problématique d'un "changement civilisationnel" à une "simple problématique de changement d'infrastructure". Il est intéressant de constater que les acteurs à l'origine de ce narratif étaient entre autres les Allemands, et que ce narratif a particulièrement profité à ce pays, champion du commerce européen et champion incontesté de l'industrie automobile avec une consommation d'énergie fossile qui n'a jamais été aussi grande. L'Allemagne a réussi de plus le tour de force (voir ce rapport de l'EGE[xvi]) de propager un autre narratif complémentaire conduisant au démantèlement d'une partie des centrales nucléaires sur son territoire et surtout chez son voisin français, pour les remplacer massivement par... des centrales à charbon. Un chef d’œuvre d'agitation et de manipulation.

 

Un processus décisionnel fortement influencé

Détaillons maintenant comment le processus décisionnel des citoyens et décideurs politiques a été influencé à grande échelle.

Comme nous l'avons détaillé précédemment, un narratif de "transition énergétique" décorrélé de la réalité a été massivement diffusé par des groupes d’intérêt puissants. Le graphique ci-dessous, toujours issu de l'interview de Mr. Fressoz, montre comment de l'information est alors crée pour forcer cette croyance, indépendamment de la réalité des faits. Ainsi, nous avons dans ce graphique l'évolution relative de chaque énergie, ce qui laisserait penser que le charbon "diminue" et que les autres énergies "augmentent pour rattraper le pétrole" dans un mouvement de "transition".

 

Figure 5 : évolution relative des consommations d’énergie

Mais en réalité, toutes les énergies ne font que croître : quand les chiffres sont ramenés des valeurs relatives aux valeurs absolues, nous avons une réalité de l'évolution complètement différente (voir figure 4). Nous avons même une évolution complètement inverse à ce qui est suggéré par l’évolution relative, comme le montre la figure ci-dessous : non seulement nous n'avons aucune transition entre les énergies, mais surtout nos émissions en CO2 s’accélèrent rapidement et dangereusement depuis les trente dernières années.