L’influence culturelle par les téléfilms

Depuis l’invention de la télévision, la question de l’influence par ce média de masse est devenue au fil des années une question qui fait débat dans de nombreux pays. En France, la période des fêtes de Noël est devenue un sujet d’étude pour tenter de cerner les marges de manœuvres possibles qu’utilisent certaines parties prenantes commerciales. Les téléfilms de Noël sont à l’image de la représentation du coca-cola[i] dans le roman éponyme de Raymond Queneau : du cacocalo. Cette « clausule zazique », chère à Roland Barthes, traduction directe du grec ancien κακός, kakós (« mal, mauvais ») et καλός, kalós (« beau, bon, bien), exprime parfaitement le sentiment mitigé qui s’empare du spectateur lorsqu’il regarde les téléfilms de Noël : ce mauvais/bon, antinomique et si représentatif des émotions générées par ce divertissement diffusé en masse au moment des fêtes.

Mais derrière cette avalanche de bons sentiments et de féerie se cache un enjeu beaucoup moins innocent qu’il n’y parait : celui d’une transsubstantiation de l’American way of life, à l’image de ce que dénonçait le parti communiste dans les années 50 au moment du plan Marshall. Aujourd’hui Coca-cola est bien installé et la cocacolonisation a bien fonctionné, il suffit de voir l’exemple du Mexique, où un habitant consomme en moyenne 176,25 litres par habitants par an en 2012.

Un modèle économique testé et approuvé

Nous ne reviendrons pas ici sur la grande firme américaine mais plutôt à son modèle de développement qui a fait école depuis.  L’aspect futile (en apparence du sujet) est trompeur car, sous couvert d’un divertissement sans conséquence, se jouent des jeux d’influence et une volonté de retour de l’influence culturelle américaine sur le terrain mondial. Ces produits culturels américains peuvent être vus comme un véritable cheval de Troie : ils rentrent dans tous les foyers sans distinction, notamment grâce à une diffusion massive permise par les GAFAM, notamment Netflix et la télévision « classique ».

Hallmark channel est un des principaux producteurs de téléfilms de Noël avec Lifetime, mais ce sont des chaînes du câble américain. Ce qui nous intéresse avec Netflix c’est son rayonnement mondial, la plateforme est en effet visible depuis 190 pays selon ses dires, mais une analyse plus fine des tarifs d’abonnements nous laisse penser qu’il y aurait plutôt une centaine de pays.

Netflix est présent dans plus de 190 pays, comment penser que cette diffusion massive n’aura aucune incidence sur cette nouvelle forme de cocalonisation ? Ce qui est sûr c’est que Netflix est présent sur tous les continents, sa puissance de diffusion avec ses 223 millions d’abonnés payants, visionnant des contenus choisis par la plateforme pour chaque pays interroge sur l’influence d’une telle diffusion à l’échelle mondiale. 

Un contenu normatif

Le contenu de ces téléfilms questionne par leur vision formatée de la société : une représentation nucléaire des relations amoureuses et familiales, et enfin des valeurs qui ne sont universalistes qu’au regard d’une partie de la population mondiale. C’est toute une chaine de valeurs qui est vendue ainsi qu’une norme sociale qui s’impose en douceur.

Netflix qui se vante de diffuser des contenus favorisant la diversité, les diffuse en masse à la période des fêtes de fin d’année sans se préoccuper de sa propre ligne éditoriale.

La critique universitaire, la presse, s’est penchée à de nombreuse reprises sur la stratégie d’influence américaine via la production cinématographique hollywoodienne. Mais ce qui se joue dans les téléfilms se situe bien dans son mode de diffusion, à la différence du cinéma, qui nécessite une action (se déplacer, choisir le film…), le téléfilm est servi sur un plateau, il serait ce qu’est la junk food pour la gastronomie : facile, rapide et bon marché.

Les principaux consommateurs sont des consommatrices, la cible visée et revendiquée est bien cette célèbre ménagère de moins de 50 ans chère à tous les publicistes de la terre. Des spectatrices conscientes du contenu qu’elles regardent comme « une forme de dissonance culturelle».

Une image redorée dans la binarité

Sous l’ère Trump les Etats-Unis et leur stratégie de soft puis de smart power a été mise à mal, le monde entier et une partie des Américains eux-mêmes ont recommencé à détester l’image que l’Amérique renvoyait.

Au travers de produits de consommation émotionnels et à l’image de la doctrine Monroe, il s’agirait bien de renvoyer à nouveau une image lisse et sans relief : quoi de mieux qu’un téléfilm de Noël pour cela ?

Comment ne pas faire l’analogie avec les éditions Arlequin connues pour leurs recettes de roman à l’eau de Rose élaborées selon un processus quasi industriel et extrêmement calibré ?

La nuance est quasi nulle, nous reprendrons ici la grille de lecture de Belk dans « Le matérialisme et le Noël américain moderne ", il propose de lire les items en opposition, en référence au conte de Dickens Metalangage ultime de toute référence à Noël aux Etats-unis , « le côté gauche de la dialectique peut être considéré comme profane et est représenté par Ebenezer Scrooge. Le côté droit est plutôt vu dans la famille Cratchit et représente une vision idéalisée de ce qui est maintenant considéré comme sacré » :

I. L'argent, soi et les autres

1. L'avarice contre la générosité

2. L'égoïsme contre la fraternité

3. L'amour de l'argent contre l'amour des gens

4. Avarice contre altruisme

II. L'argent et les dépenses

1. Épargner contre dépenser

2. Austérité contre prodigalité

3. Utilitarisme contre hédonisme

III. Travail, maison et famille

1. Individuel contre Famille

2. Lieu de travail versus domicile

3. Travail contre loisirs

IV. Différentiels de statut

1. Âge versus jeunesse

2. Riche contre Pauvre

V. Émotions

1. Manque de sentiments contre pitié et joie

2. Présent pragmatique versus passé nostalgique et avenir plein d'espoir

On y retrouve toutes les valeurs véhiculées dans ces contenus, dans une binarité parfaite, elles n’y apparaissent pas toujours toutes à la fois mais on en retrouve une majorité à chaque production.

Une stratégie d'influence redoutable

Les leviers actionnés dans cette stratégie d’influence transforment alors ces produits en marchandise émotionnelle, ces produits selon Eva Illouz sont des marchandises qui « invitent le moi à se projeter sur une version améliorée de lui-même – qui permettent d’atteindre l’authenticité », ils vendent une expérience émotionnelle, au-delà d’un simple et banal produit marketing.

Nouvel enjeu pour la culture et l'influence

En juillet 2022 Netflix annonce avoir signé un partenariat avec Windows « comme partenaire commercial et technologique mondial en matière de publicité ».  Ce partenariat a comme objectif annoncé d’améliorer l’expérience utilisateur et réduire le coût de l’abonnement en introduisant de la publicité.

Avec des contenus comme ceux des téléfilms de Noël, il ne faut pas négliger la puissance de cette influence : elle permet, en imposant ses normes et son mode de vie, de nous présenter une société qui consent à l’ordre établi, ne remettant aucun modèle sociétal, politique ou économique en question, rassurant la population. Une image d’un pays où la guerre, la crise climatique ou économique sont absents du Panorama. Infantilisant le spectateur au travers d’une conception simple de la vie : nous vous protégeons dormez tranquille. Avec l’introduction de la publicité, le temps de cerveau disponible est amplifié. Mais ces téléfilms redonnent également une image positive des Etats-Unis, tels des portes d’entrée vers une influence beaucoup moins smart qu’elle en a l’air.

Clara Michel (MSIE 41 de l’EGE)

Sources

Adorno Wiesengrund Theodor & Horkheimer MAx. (2012). La production industrielle des biens culturels. In Kulturindustrie. Allia.

Belk, R. W. (1989). Materialism and the Modern U.S. Christmas. ACR Special Volumes, SV-07. https://www.acrwebsite.org/volumes/12180/volumes/sv07/SV-07/full

Bossuat, G. (2014). 2. Le Plan Marshall et l’Europe à la française. In L’Europe des Français, 1943-1959 : La IVe République aux sources de l’Europe communautaire (p. 53‑79). Éditions de la Sorbonne. http://books.openedition.org/psorbonne/716

Guerres d’influence | Éditions Odile Jacob. (s. d.). Consulté 5 janvier 2023, à l’adresse https://www.odilejacob.fr/catalogue/histoire-et-geopolitique/geopolitique-et-strategie/guerres-d-influence_9782738155108.php

Lefebvre, M. (2018). Chapitre VI. Forces et faiblesses de la puissance américaine: Vol. 3e éd. (p. 86‑102). Presses Universitaires de France. https://www.cairn.info/la-politique-etrangere-americaine--9782130813415-p-86.htm

Les marchandises émotionnelles : L’authenticité au temps du capitalisme (F. Joly, Trad.; Vol. 1‑1). (2019). Premier parallèle.

Lino HEIDBRINK & Marion NOËL. (2016). Hollywood, une expression de la puissance des États-Unis. https://classe-internationale.com/2016/11/07/hollywood-une-expression-de-la-puissance-des-etats-unis/

MPAA. (s. d.). The Motion Picture Association. https://www.motionpictures.org/

New International Relations—Social Power in International Politics—Peter Van Ham—Ebook (ePub)—Achat ebook | fnac. (s. d.). Consulté 6 janvier 2023, à l’adresse https://www.fnac.com/a6059177/New-International-Relations-Social-Power-in-International-Politics-Peter-Van-Ham#FORMAT=ebook%20(ePub)

Nye, J. S. (2013). L’équilibre des puissances au XXIe siècle. Géoéconomie, 65(2), 19‑29. https://doi.org/10.3917/geoec.065.0019

Queneau, R. (1960). Zazie dans le métro, roman. Gallimard.

 

Note

[i] Voici quelques petits secrets à propos du joyeux bonhomme en costume rouge.

1. Le Père Noël est présent dans la communication de Coca-Cola depuis les années 1920

The Coca‑Cola Company lance ses campagnes de Noël dans les années 1920 dans des magazines américains. Dans sa première parution, le Père Noël affiche un air plutôt strict. En 1930, l'artiste Fred Mizen représente un Père Noël en train de déguster un Coca‑Cola au milieu de la foule. L'œuvre est utilisée pour les fêtes, et apparait dans la presse en décembre 1930.

2. Coca-Cola contribue à façonner l'image du Père Noël

En 1931, Coca‑Cola veut un Père Noël « réaliste » et commande à un illustrateur, Haddon Sundblom, la création d'images. Bien que l'on prétende que le Père Noël porte un manteau rouge en raison de la couleur Coca‑Cola, il apparaissait déjà ainsi avant que Sundblom ne le peigne. De 1931 à 1964, les huiles de Sundblom sont adaptées pour les magazines, les présentoirs, les affiches, les calendriers et même des peluches. Aujourd'hui, ces objets sont "Collector". Les tableaux de Sundblom comptent parmi les œuvres les plus précieuses des archives Coca‑Cola et ont été exposés dans les plus grands musées du monde. Ces peintures originales sont conservées au World of Coca‑Cola à Atlanta, en Géorgie.

3. Le « Nouveau Père Noël » s’inspirait d’un vendeur

Au début, pour représenter le Père Noël, Sundblom prend pour modèle son ami Lou Prentiss, vendeur retraité. À la mort de Prentiss, Sundblom compose ses toiles en se regardant dans un miroir. Le public est tellement attentif aux représentations du Père Noël Coca‑Cola que, lorsqu’un élément est modifié, des lettres de réclamations parviennent au siège de la société. Les observateurs sont à ce point sagaces que, lorsqu’une année le Père Noël ne porte plus d'alliance, les admirateurs en viennent à se demander ce qui est arrivé à Madame Noël !

4. Le Père Noël se fait un nouvel ami en 1942

En 1942, Coca‑Cola présente « Sprite Boy », un groom qui accompagne le Père Noël durant les années 1940 et 1950. Sprite Boy, également sorti de l'imaginaire de Sundblom, est ainsi nommé parce qu'il ressemble à un lutin (« lutin » se dit sprite en anglais, ndt). Ne confondons pas : Coca‑Cola ne lancera sa boisson populaire Sprite que bien plus tard, dans les années 1960.

5. Le Père Noël s’anime en 2001

En 2001, un tableau original peint par Sundblom en 1963 sert de base à un film d'animation pour la télévision, avec le Père Noël Coca‑Cola pour vedette. Le film est créé par le vainqueur de l’Academy Award Alexandre Petrov.