Méga-bassines dans les Deux-Sèvres : qui gagnera la guerre de l’eau ?

Les samedi 29 et dimanche 30 octobre 2022, en dépit de l’interdiction de manifester prise par la préfecture, la commune de Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres a été le théâtre d’affrontements opposant environ quatre à cinq mille manifestants et mille six cent policiers et gendarmes. Les heurts, souvent violents, ont provoqué quelques dizaines de blessés de part et d’autre.

Au cœur de ce conflit se trouve le chantier de construction d’un réservoir de stockage d’eau d’une capacité d’environ 650.000 mètres cubes et désigné sous le nom de « méga-bassine ». Ce chantier, le deuxième d’une série de seize portée par 400 agriculteurs regroupés dans le collectif « Coop de l’eau », doit permettre, selon ses promoteurs, d’assurer l’irrigation agricole en évitant le pompage des nappes phréatiques en période de sècheresse.

Le choix de la confrontation

Ses détracteurs, au contraire, présentent le projet comme un « accaparement de l’eau au profit de l’agro-industrie » et une « aberration écologique à l’heure du réchauffement climatique ». Du côté des manifestant et par la voix de leur leader Julien Le Guet, les intentions et objectifs du conflit sont parfaitement assumés : mettre un terme définitif à la construction des « méga-bassines ». Et, à cette fin, les messages portés par une « coalition » regroupant aussi bien des représentants du parti Europe Ecologie les Verts, des ONG comme Greenpeace, une section de la CGT ou des représentant de la Confédération Paysanne, ont un but précis : gagner la guerre de l’opinion en cristallisant les réactions contre le projet ; la radicalité des actions comme des discours écartant, de fait, tout débat. Peu importe si la dimension idéologique doit l’emporter ainsi sur la dimension technique.

Dans les narratifs qui soutiennent la relation des évènements des 29 et 30 octobre par de nombreux organes de presse ou par les réseaux sociaux, les éléments de langage sont déjà en place pour marquer les esprits. On parle de « méga-bassines », on compare leurs dimensions à des « piscines olympiques » et on quantifie ainsi le projet en « centaines de piscines olympiques », on mentionne les « kilomètres de tuyaux » nécessaires pour leur alimentation, on qualifie les constructions de « cratères à ciel ouvert recouverts de bâches en plastique », on oppose la « restriction » (de l’accès à l’eau) imposée aux uns à « l’opulence » donnée aux autres.

Le débat contrasté sur le bien commun

Le positionnement du mouvement des opposants au projet se construit de la même façon. L’action est présentée comme une action de « désobéissance civique », de « résistance citoyenne » visant à empêcher « l’appropriation du bien commun (l’eau) » au profit d’un « agriculture intensive » relevant d’un modèle « périmé et insoutenable », au nom de l’intérêt général. La puissance du message y gagnera sans doute ce que l’objectivité du débat technique, grand absent de la scène, y perdra. Mais selon quel principe la conquête de l’opinion devrait s’appuyer sur une voie objective, lorsque, la fin justifiant probablement les moyens, les principaux leaders du mouvement écartent volontairement de leur communication les positions d’un de leurs principaux alliés, la Confédération Paysanne.

Cette dernière, dans sa note de novembre 2021 présentait une approche critique détaillée du projet des méga-bassines dont elle conteste notamment le dimensionnement, mais sans remettre pour autant fondamentalement en cause la nécessité du recours à des moyens de stockage de l’eau comme une solution possible du traitement de la question de l’irrigation. De même, et du point de vue de l’action, elle se dissocie explicitement de l’option de la désobéissance civile. Ces divergences pourraient mettre en péril la stratégie d’information voulue par les leaders du mouvement.

Quand l'Etat privilégie le régalien, en oubliant le fond

L’Etat se trouve au cœur de la bataille à deux titres : en tant que promoteur et partenaire financier du projet dans le cadre du protocole 2018 et comme garant du maintien de l’ordre face aux manifestants. C’est clairement l’exercice de ce second rôle qui se situe au cœur de sa communication. La guerre de l’information sera donc sur ce terrain. La charge est donnée par le ministre de l’intérieur qui, soulignant le caractère illégal de la manifestation, qualifie les participants « d’écoterroristes » du fait de leur comportement violent, s’insurge contre les dégradations portées aux ouvrages et souligne le caractère inacceptable de la formation possible d’une ZAD sur le terrain du projet. Aucune argumentation permettant de justifier le bien fondé du projet ne trouve sa place dans cette communication qui fait écho à celle des manifestants, dans l’objectif probable de rallier l’opinion à l’irrecevabilité de leur comportement.

Pour autant, l’Etat vient ainsi sur le terrain d’information voulu par les manifestants, semblant oublier que les arguments relatifs à l’état de droit et à la légalité n’ont pas empêché le précédent de la formation de la ZAD de Notre Dames des Landes, son impact sur l’abandon définitif du projet d’aéroport comme de son substitut d’extension des infrastructures de l’aéroport de Nantes un temps avancé pour justifier le retrait du projet. Rien qui dans ce domaine n’a permis de discréditer, aux yeux de l’opinion, la position comme l’attitude des manifestants. Or, à bien y faire attention, la reproduction du schéma de Notre Dame des Landes est bien le choix exprimé des manifestants par la voix de l’ancien candidat EEL à la présidentielle, Yannick Jadot. Pour l’Etat, rejouer une stratégie ayant déjà échouée peut s’avérer risqué.

Les failles de la FNSEA dans le domaine de la guerre de l'information

Sous le feu nourri des militants écologistes qui n’hésitent pas à radicaliser leurs messages et avec un Etat mobilisé sur un contre-message régalien, les agriculteurs, principaux intéressés par le projet, peinent à positionner leur discours et à se détacher de l’étiquette, largement relayée tant par la presse que par les réseaux sociaux, « d’agro-industriels » tenant « d’une agriculture productiviste et destructrice » dédiée la « production intensive de céréales ». Etiquette qui, pourtant, résisterait peu à un examen un peu plus attentif du profil réel des quelques 400 agriculteurs composant le collectif, plus proche d’un modèle de polyculture- élevage que des stéréotypes utilisés. Noyé dans le bruit médiatique, il reste peu probable que la seule interview donnée par le président de la Coop de l’eau, Thierry Boudaud, puisse inverser la tendance.

Pire, la FNSEA, principal syndicat agricole et partisan du projet, apparaît totalement démunie dans un combat dont elle ne maîtrise visiblement pas la pratique, le langage ou les codes. L’interview donnée par sa présidente, Christiane Lambert, au micro d’Europe 1 le 30 octobre 2022 apparaît à la fois trop policée et dans la recherche d’un consensus qui n’est absolument pas l’approche cherchée par ses adversaires. Le site web du syndicat brille par son silence et on ne trouve sur ce dernier aucune publication permettant d’appuyer le projet, à l’exception du tweet de soutien de la présidente aux agriculteurs à l’extrême fin de la page d’accueil. Aucune utilisation non plus des contradictions pourtant établies entre la Confédération Paysanne et les leaders EELV du mouvement qui permettraient d’essayer de fracturer la ligne de front. Si, au cœur de la partie adverse, Greenpeace n’hésite pas à publier un dossier dont l’intensité critique délivrée sur le projet dissimule l’absence d’arguments techniques pour la soutenir, ce point n’est nullement révélé ni combattu par les partisans du projet. Plus étonnant encore, à aucun moment ni le collectif Coop de l’eau, ni les représentants de la FNSEA, pas plus que l’Etat ne mettent en avant le rapport produit par le Bureau des Mines sur le projet. Si ce rapport est aujourd’hui l’unique publication scientifique disponible, elle reste une étude fouillée dont les conclusions soutiennent fortement les postulats d’origine du projet.

S’il est encore trop tôt pour savoir qui gagnera la guerre de l’eau, force est de reconnaître que ce conflit est bien une guerre d’information pour laquelle l’ensemble des forces en présence ne jouent pas à armes égales. Or, la partie qui l’emportera sera bien celle qui aura mis en adéquation la nature des informations employées, leur intensité ainsi que les moyens de diffusion nécessaires pour atteindre les cibles choisies en fonction de la finalité réelle de ses actions. Dans l’immédiat, les écologistes semblent bien avoir pris l’avantage…

 

Philippe Planeix
Auditeur de la 41ème promotion MSIE de l’EGE

Sources

Fédération de Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles.

(17-06-2022), Simulation du projet 2021 de réserves de substitution de la coopérative de l’eau des Deux-Sèvres, rapport final, Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM).

(30-10-2022), Europe 1, Interview de Christiane Lambert sur les évènements de Sainte-Soline.

(08-07-2022), Le Courrier de l’Ouest, « L’impact des bassines sur les cours d’eau et les nappes passé au crible dans les Deux-Sèvres. », article en référence à la publication du rapport du BRGM.

(26-10-2022), La Nouvelle République, « Bassines des Deux-Sèvres : la Coop de l'eau garde le cap, assure son président », Interview de Thierry Boudeau – président de la Coop de l’eau.

(18-12-2018), Protocole d’accord concernant les réserves de substitution signé à la préfecture des Deux-Sèvres.

(23-10-2022), L’Express, dossier publié sur le projet des Méga-Bassines.

(02-11-2022), Greenpeace, « Méga-bassines : pourquoi s’y opposer ? ».

(11-2021), Confédération paysanne, « Les Méga-bassines, une fausse solution face au changement climatique », dossier publié dans Supplément à Campagnes Solidaires n°377.

(30-10-2022), La Dépêche, « Projet de méga-bassines à Sainte-Soline : édification d’une tour, canalisation sectionnée…la mobilisation se poursuit ».

(30-10-2022), La Dépêche, « Bassines dans les Deux-Sèvres : Darmanin dénonce « l’écoterrorisme » des militants et refuse qu’une ZAD s’installe sur place ».