Offensive informationnelle contre la Chine au sujet du travail forcé des Ouighours

La région autonome du Xinjiang fait l’objet d’une forte attention médiatique depuis ce début d’année 2021 et le sort des Ouighours est particulièrement scruté dans le monde occidental. En effet, cette ethnie turcophone musulmane qui compte 12 millions d’habitants en Chine traverse depuis trois décennies de nombreux remous au sein du territoire chinois. Velléités d’indépendance territoriale pour un Etat autonome (Turkestan oriental) et islam radical séparatiste accompagnés d’attentats, ont permis à Pékin de muscler son arsenal de contre insurrection en instaurant un système de contrôle et de répression fort. La position stratégique du Xinjiang à l’extrême ouest de la Chine présente des frontières avec 8 autres pays. On comprend bien ici l’intérêt pour la Chine de devoir contrôler les peuples qui y habitent et stabiliser cette zone, qui constitue par ailleurs 1/6 de son territoire. Le dernier attentat marquant dans la région date du 18 septembre 2015 lorsqu’un groupe de Ouighours, armés de couperets et d'armes blanches, ont tué 16 personnes, dont cinq policiers, lors d’une attaque coordonnée.

La faille chinoise

En mai 2018, Le chercheur allemand Adrian Zenz (travaillant depuis le territoire des Etats-Unis d’Amérique) effectue une série de travaux qui rendent compte d’une dérive sécuritaire dans la région du Xinjiang : environ 1 million de Ouighours, seraient soumis à un internement massif en dehors du cadre judiciaire. Face à la polémique, les autorités chinoises nient dans un premier temps l’existence de ces camps d’internement puis, face à l’avancée des travaux et aux preuves accablantes, Pékin reconnaîtra l’existence des camps, qu’il présentera comme des « centres de formation et de déradicalisation ». Pour Adrian Zenz, la politique de surveillance et d'internement des Ouighours est un génocide culturel. L’attaque informationnelle est lancée, la question de la légitimité de ces camps de travail suscite des prises de position fortes côté occidental.

Ce thème propice à la polémique trouve dans un premier temps des relais dans la sphère intellectuelle avec Raphael Glucksmann en France, ou encore dans le milieu sportif, avec le footballeur Antoine Griezmann (32 millions d’abonnés sur Instagram qui rompt son partenariat avec Huawei, entreprise chinoise liée de prêt au gouvernement chinois, pour sensibiliser sur le sort des Ouighours), qui partagent leur consternation et leur cri d’alarme.

Les travaux du chercheur allemand ayant ouvert la brèche, la poursuite de ces investigations va révéler qu’en réalité les Ouighours enfermés sont aussi utilisés pour la production du coton à grande échelle, fournissant une main d’œuvre gratuite et intensive, qualifiée par certains comme de l’esclavage moderne.

Le monde occidental s’empare de la polémique 

Courant 2020, Jean Yves le Drian déclare « condamner avec beaucoup de fermeté les pratiques inacceptables au Xinjiang et demander une mission d’observateurs indépendants internationaux ». La Chine refuse catégoriquement la venue sur son sol de ces experts. L’avancée des travaux ayant permis de rassembler un certain nombre de preuves, photos satellitaires et témoignages à l’appui, le 22 mars 2021 l’Union Européenne, les Etats Unis, le Canada et la Grande Bretagne sanctionnent de manière très précise des responsables chinois impliqués dans ces « détentions arbitraires et traitements dégradants infligés aux Ouighours et aux membres d’autres minorités ethniques musulmanes, ainsi que d’atteintes systématiques à leur liberté religieuse » et  « graves atteintes aux droits de l’homme ».

La riposte de Pékin

Dans sa contre-attaque, la Chine va utiliser un large éventail de moyens de défense pour tenter de garder bonne figure. Les sanctions prises contre les députés chinois sont immédiatement suivies de sanctions à l’encontre de 10 députés européens (dont Raphael Glucksmann cité plus haut). Des reportages sont tournés à destination des médias occidentaux (CGTN : China Global Television Network) pour montrer la réalité supposée du travail forcé au Xinjiang ( on y voit un Ouighour ex radicalisé témoignant du bienfait des camps de travail et de sa repentance). En réponse à ce reportage, la Grande bretagne interdit aussitôt la production des émissions de CGTN sur son sol, accusant Pékin de créer des émissions scénarisées où sont mis en scènes des faux témoignages de Ouighours. Adrian Zanz, devient la cible d’attaque de l’appareil chinois, qui le cite nominalement et tente de le discréditer. Cette méthode est employée pour l’ensemble des chercheurs travaillant sur cette polémique, on citera le français Antoine Bondaz, qualifié par l’ambassadeur de chine en France de « petite frappe » ou « encore d’hyène folle ». On assiste là à une tentative d’intimidation. On recense plus de 150 comptes liés à la diplomatie chinoise, et par exemple, le compte officiel du Porte-parole du ministère des affaires étrangères chinoises :

« Si les prisonniers ont le droit d’améliorer leurs compétences professionnelles dans un travail rémunéré pour une future vie heureuse, pourquoi les minorités ethniques du Xinjiang n’ont pas le droit de choisir un métier de leur propre chef ? ».

Dans les échanges médiatiques internationaux, Pékin inonde toute l’Europe avec des chaînes de TV, mais n’autorise aucun média occidental sur son sol. Ce qui lui donne un net avantage en guerre de l’information. Son refus également de recevoir une équipe d’observateurs internationaux pour faire la lumière sur le sort des Ouighours marque une volonté d’opacité, qui les isole et les affaiblis, paraissant cacher une réalité peu avouable. Dans cette escalade des sanctions, on notera la surenchère des USA, qui punissent les sanctions prises par pékin contre les dirigeants européens, comme un échange de coups de feu.

Ce comportement de la Chine dévoile une diplomatie violente, faisant parfaitement corps avec la volonté de Xi Jinping de « mieux faire entendre la voix de la chine » dans son discours de prise de pouvoir en 2013.

La guerre d’information se transforme petit à petit en guerre économique sous l’impulsion de Pékin, qui orchestre une campagne de boycott massive le 25 mars 2021 sur les réseaux sociaux des grandes enseignes qui se fournissent en coton du Xinjiang comme H&M, Adidas, ou Nike, obligeant ces multinationales occidentales à se positionner sur la question des Ouighours. Pékin occupe aussi l’échiquier sociétal en tentant de discréditer l’ONG BCI (Better Coton Initiative) qui promeut un coton réalisé dans des conditions respectant les Droits de l’Homme. Pékin accuse l’ONG d’être financée en grande partie par l’US AID, organisme directement affilié à l’Etat Américain, remettant ainsi en cause l’éthique de cette initiative et opposant une légitimité contre une autre.

Les enjeux de cette guerre de l’information

En surface, le but de l’attaque informationnelle est d’affaiblir la Chine à l’international sur le plan moral, dans une période où Xi Jinping a pu être tenter de se placer en modèle suite à sa gestion en apparence irréprochable de la COVID 19. Ensuite, les conséquences peuvent être d’ordre économique (influencer sur les modes de consommation occidentaux : acheter moins de produits chinois) et d’ordre géopolitique (fédérer les pays musulmans au nom de la solidarité religieuse, contre une Chine hégémonique : on pense à la Turquie).

Si l’on regarde plus en profondeur, Le Xinjiang est le point de départ de 3 des 6 projets de nouvelles routes de la soie. C’est une porte d’entrée vers l’Ouest, et donc pour la construction des infrastructures liées à ces futurs routes commerciales, Pékin a tout intérêt à sécuriser cet espace. Ainsi, tout acteur ayant la volonté de perturber l’expansion des nouvelles routes de la soie, peut se servir de l’oppression des minorités Ouighours pour préparer un contexte social hostile à la présence chinoise et par conséquent rendre ce projet commercial très couteux voire impossible.

Ce cas particulier du Xinjiang illustre à quel point l’information peut être utilisée comme une arme, déstabilisant un adversaire puissant, le contraignant à prendre des mesures défensives, dont le degré de violence permet de révéler au grand jour la vraie nature de sa volonté.

 

Camille REYMOND
Auditeur de la 35ème promotion MSIE

 

Biblio : Chine, l’univers dantesque des camps de travail au Xinjiang (la-croix.com)