Polémique autour de la gestion des droits de ligue 1 du foot en France

En France, le championnat de football appelé Ligue 1 est le championnat professionnel de football masculin de plus haut niveau de la FFF.  Créé en 1932, sous le nom de Division Nationale (D1), il reçoit en 2002 son nom actuel de Ligue 1 (L1). Jusqu'aux années 1970, la quasi-totalité des recettes des clubs provenait des guichets. En 2005-2006, les recettes des clubs de Ligue 1 proviennent à 57 % des droits télé.

Seulement, en 2018, la France est le dernier pays au niveau des droits du foot en Europe.  A titre d’exemple, alors que les droits atteignent 726,5 millions d'euros par an pour la période 2016-20 en France, ils sont de 2,3 milliards d’euros pour la Premier League anglaise et plus d’un milliard pour la ligue espagnole. Ceci impacte la capacité des clubs à pouvoir attirer les meilleurs talents.

La méthode éculée de la montée des enchères

La Ligue de Football Professionnelle (LFP) veut donc faire monter les enchères pour atteindre le milliard d’euro et rattraper son retard sur ses voisins européens. A cette fin elle a glissé dans l’appel d’offre que tout acheteur pouvait colicencier tout ou partie des lots acquisLe 29 mai 2018, le foot français débouche le champagne car les droits ont atteint un total de 1,153 milliards euros. Après 34 ans, Canal+ perds ses droits de diffusion de la ligue 1, remplacé par Mediapro et beIN qui est arrivé en France en 2012.

Canal+, le diffuseur historique depuis 1984, émet publiquement des doutes sur la solidité de Mediapro, qui a perdu les droits de Série A en Italie, faute de garantie bancaire. Mais la LFP se veut rassurante. "Nous n'avons pas d'inquiétude, car les situations ne sont pas comparables et car nous avons une caution solidaire de l'actionnaire de référence de Mediapro", déclare son directeur général exécutif Didier Quillot. Les clubs Français pourraient enfin entrer en compétition avec les clubs anglais, italiens, espagnols et garder ses jeunes français qui sortent des centres de formation à 16-18 ans et qui partent à l’étranger.

Les conséquences du « streaming » illégal

En août 2020 (en pleine crise Covid) Mediapro lance la chaîne Téléfoot à 25,90/mois.  Dès le lendemain, la ligue doit reporter le match Marseille-Saint-Etienne à cause de joueurs contaminé.  Avec la crise sanitaire, les matchs à huis clos et les résultats médiocres des club français dans les coupes européennes, c’est un mauvais départ. Autre complication, l’offre de diffusion de matchs de football en France est fragmentée entre quatre chaînes payantes, ce qui encourage le streaming illégal.  Le streaming a un impact sur la viabilité et sur la rentabilité des chaînes de sport.   Hadopi, estime qu'entre 1 million et 3 millions de personnes consomment régulièrement du streaming sportif illégal.  Les consommateurs qui doivent aussi payer Netflix, Amazon, Disney, Apple Plus en ont assez de payer autant.

La France, contrairement à d'autres pays européens, ne s'est jamais préoccupé de ce sujet, à la fois pour des raisons non avouées d'achat de la paix sociale mais aussi pour ne pas soulever le délicat problème du piratage dans les pays du Maghreb et en Afrique subsaharienne. Ce non dit explique en partie le fait qu' n'existe pas de lois efficaces  pour lutter contre le streaming. Une loi devait être votée en mars 2020 par l'ex-ministre de la Culture, Franck Riester. Elle a été reportée en raison du Covid…  En janvier 2021, le groupe LREM a redéposé un projet de loi pour lutter contre le streaming sportif. 

La baisse d’intérêt des jeunes pour le football

Les jeunes sont aujourd’hui moins intéressés par le football et occupent leur temps libre autrement qu’en regardant un match. Il y a un intérêt de la jeunesse pour le sport, mais leur consommation est différente.  Ils préfèrent les résumés de matches sur les réseaux sociaux comme Instagram, Facebook et sur Twitter.

Tous ces facteurs ont matériellement eu des conséquences sur la capacité de rentabiliser l’investissement ce qui a donc amené, le 24 septembre, Mediapro à demander à la Ligue un délai de paiement pour la prochaine échéance des droits du 5 octobre. Le patron de Mediapro s’est expliqué dans un entretien à L’Équipe le 7 octobre. "Nous voulons rediscuter le contrat de cette saison. Le Covid-19 a un gros impact sur la saison", justifie Jaume Roures. "Les bars et les restaurants sont fermés, la publicité s'est effondrée...".  Il indique que Téléfoot, qui n'a jamais pu trouver d'accord de distribution avec Canal+, comptait 600 000 abonnés, loin de l'objectif des 3,5 millions nécessaires pour rentabiliser le projet. La Ligue refuse de négocier et une procédure de conciliation est lancée pour tenter de trouver un accord entre les deux parties.

Les contradictions de l’économie du football

Le 11 décembre, la Ligue scelle un accord de retrait avec Mediapro, obtenant 100 millions d’euros de dédommagement en échange de l'assurance de ne pas poursuivre le diffuseur. L'accord, validé par le tribunal de commerce le 22 décembre, prévoit que Téléfoot continue de diffuser à ses frais les matches jusqu'au 31 janvier 2021, le temps qu'un nouveau diffuseur soit trouvé pour les droits TV, qui reviennent dans l'escarcelle de la Ligue.

Le 12 janvier Canal+ prend position - La Ligue, qui espérait trouver un accord de gré à gré rapide avec Canal+, son diffuseur historique, pour reprendre la L1, constate que la chaîne cryptée ne lui fera aucun cadeau.  Maxime Saada (son PDG) demande qu’un appel d'offres global soit organisé, en mettant de l’avant que "la Ligue 1 a perdu beaucoup de valeur". Il exprime le souhait de rendre les matches diffusés par Canal, considérant que ceux-ci ont été "surévaluée" dans l'appel d'offres de 2018.

Les clubs, déjà privés de recettes de billetterie par la crise sanitaire, feraient alors face à des pertes plus drastiques encore : les 330 millions d'euros annuels promis par Canal+ jusqu'en 2024 sont leur principale source de revenus actuellement. Dans ce contexte, ils ont déjà entamé des négociations, avec le soutien du syndicat des footballeurs, l'UNFP, pour baisser les salaires des joueurs.

Le 19 janvier, la LFP décide de lancer un appel d’offres : une consultation de marché est montée dans l'urgence, concernant que les lots de matches délaissés par Mediapro, mais pas les matches diffusés par Canal+. Les candidats n'ont qu'une dizaine de jours pour préparer leurs offres, dans un marché en net recul.  Une semaine plus tard, Canal+ conteste la procédure devant le tribunal de commerce de Paris. Une audience est programmée le 19 février, après l'issue de la consultation...

Le football soumis aux contraintes de la rentabilité du spectacle audiovisuel

Le 1er février, la nouvelle consultation est un échec. Aucune des offres n'atteint le prix de réserve fixé par la LFP. L’option d’une négociation gré à gré pour trouver un repreneur est de nouveau explorée. Le temps presse : on ne sait toujours pas sur quels écrans le public français pourra regarder OM-PSG dimanche 7 février, l'affiche phare du championnat. Seule petite lueur d'espoir, de nouveaux candidats, même s'ils n'ont pas proposé assez, ont fait leur apparition : le géant Amazon, la plateforme sportive DAZN et le groupe Discovery. Le foot français intéresse encore les télévisions...

 Le 4 février, Canal+ signe une entente avec la ligue pour les droits de la ligue 1 et de la ligue 2 jusqu’à la fin de cette saison.  Canal+ a accepté de verser une allonge de 35 millions d'euros à la LFP, en échange de l'exploitation exclusive de l'intégralité des matches lâchés par Mediapro jusqu'au mois de juin (14 journées de Championnat). Cette somme s'ajoute aux 332 millions d'euros par an déjà promis par la chaîne cryptée pour les 20% restants de la Ligue 1, qu'elle diffuse via un accord de sous-licence avec beIN Sports. Canal+ avait exprimé la volonté de rendre ces matches en vue d'un appel d'offres, laissant entrevoir la possibilité de pertes encore plus dramatiques (et catastrophiques) pour les clubs.

Un compromis de survie

Au final, les clubs percevront pour la saison 2021-21 environ 680 millions d’Euros, plutôt que le 1,217 milliard initialement espéré, pour la L1 et L2 comprises. Le football français, au bord du gouffre financier à la suite du débâcle Médiapro et de la pandémie du Covid-19 qui a vidé les stades, accepte sans broncher les conditions imposées par Canal+ pour sauver la Ligue 1. Ce n'est pas le montant promis en 2018 qui pose problème. Mais plutôt la nature et l'insolvabilité de l'acteur qui devait le payer. Il n'avait pas les reins assez solides. Ce naufrage montre les limites d’un système qui consiste à se vendre au plus offrant, quel qu’il soit.  

 

Jean-François Pigeon
Auditeur de la 36ème promotion MSIE