Polémique concernant le rachat d’Exxelia par Heico Corporation

Après une longue liste d’entreprises technologiques stratégiques (Alstom, Pechiney, Technip, Alcatel…) vendues à l’étranger, la perte de souveraineté française est devenue une réalité par ailleurs exacerbée lors de la récente pandémie.

L’affaire Photonis en 2020 semblait avoir marqué un tournant dans la mesure où le possible rachat de cette pépite de l’optronique par l’américain Teledyne avait occupé le débat public et entrainé une levée de boucliers de parlementaires. Le gouvernement avait été contraint à trouver une solution tricolore via le rachat par le fond HLD.

De la prise de conscience du besoin de défendre l’industrie

Vœux pieux ou effet d’annonce, le gouvernement se targue désormais de lutter contre notre perte de souveraineté. On notera entre autres les récentes déclarations d’Emmanuel Macron qui affirmait que « La souveraineté sanitaire et industrielle sera l'un des piliers du plan de relance »  

Désormais, l’acquisition d’une entreprise technologique peut cristalliser l’attention d’un public averti et mettre le gouvernement sous pression comme dans le cas de la société Exxelia.

Fondée en 1965, Exxelia produit des composants passifs complexes pour environnement sévère (condensateurs, magnétiques, résistances, filtres, capteurs de position, pièces mécaniques de haute précision) pour le civil et le militaire. Cette société de 2100 employés pour un chiffre d’affaires attendu sur 2022 de 190M€ est un fournisseur important de la défense française car elle fournit notamment des pièces à Dassault pour le Rafale, à Naval Group pour les sous-marins nucléaires Barracuda mais aussi pour les lanceurs Ariane 5 et 6. Côté export, les systèmes d’Exxelia équipent également les chasseurs F-35 et les missiles patriotes de l’Armée américaine et quasiment toute la gamme Boeing.

Alors qu’Exxelia est détenue depuis 2014 par le fonds britannique IK Partners, le groupe américain Heico (spécialisé dans l’aérospatiale et l’électronique) a annoncé le 28 juillet la signature d’un accord en vue d’acquérir Exxelia pour 453 M€ début 2023 après les consultations sociales et réglementaires.   

Offensive des anti-vente et défense du gouvernement

Passé sous le radar dans un premier temps, c’est la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann connue pour ses positions de défense de l’intérêt national qui abordera le sujet la première fois au Sénat le 22 septembre 2022.

Alors quelles sont les forces en présence ? Les opposants à la vente d’Exxelia se retrouveront dans le microcosme militaire ou encore celui de l’intelligence économique et chez les parlementaires de tous bords (LFI, PS, LR ou RN), preuve que cette vente est capable de transcender les clivages politiques.

En face, Exxelia ou son acquéreur Heico sont très discrets. Ainsi ce sont le ministère de l’Economie et celui de la défense qui sont exposés aux attaques et montent au créneau pour justifier cette vente. L’entreprise Exxelia est considérée par les opposants à la vente comme stratégique, elle est d’ailleurs requalifiée de « pépite » ou « fleuron ». Ils s’appuient largement sur le précédent Photonis où l’Etat avait pu mobiliser des ressources pour garder cette société dans le giron français. Dès lors, toute absence d’action du gouvernement sera dénoncée comme de la négligence ou de la complaisance. Par exemple sur Sud Radio le 7 octobre, la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann qualifiera cette vente d’absurdité et déplorera l’incurie française à faire de l’intelligence économique.

La polémique culminera lors d’une passe d’arme entre le député RN Alexandre Loubet et Bruno Le Maire à l’assemblée nationale ou ce dernier sera qualifié de « lâche » et accusé de « trahir les intérêts de la France » ce qui vaudra par ailleurs au député Loubet une retenue sur salaire en guise de sanction.

Face à l’accusation d’inaction, Emmanuel Chiva, le nouveau délégué général de la Direction Générale de l’Armement (DGA) mettra en avant le 05 octobre en commission de défense la proximité avec le groupe Heico : il parlera d’un repreneur (Heico) « très favorablement connu du ministère » car « déjà un partenaire » qui donne « toutes les garanties nécessaires ». Il rappellera par ailleurs que le service d’intelligence économique de la DGA (le S2IE) surveille le dossier.

Obligation d’agir ou défense de l’attractivité de la France ?

Le camp opposé à la vente avancera l’obligation d’agir en rappelant que le code monétaire et financier renforcé par la disposition Montebourg puis la loi PACTE permettent au ministre en charge de l’économie de refuser un investissement étranger s’il compromet les intérêts nationaux. Ainsi l’avocate Carine Chaix ainsi que les généraux Marc Delaunay et Jean Marie Faugère dans une lettre adressée à Bruno Le Maire et aux parlementaires parleront même d’un « devoir juridique d’agir » sous entendant que Bruno Le Maire en raison de sa négligence pourrait être « juridiquement sanctionnable ».

Pour répondre à cette attaque, la stratégie du gouvernement sera d’élargir le débat à l’attractivité de la France. Bruno Le Maire rappellera que la France est le pays le plus attractif pour les investissements étrangers et pour la création d'emplois industriels. Dès lors, un contrôle excessif des investissements étrangers mettrait en danger cette attractivité. Le gouvernement rappellera par ailleurs être très actif sur le contrôle des investissements étrangers (121 dossiers sensibles traités et finalement autorisés en 2021).

Apostrophé par le député Allizard à l’assemblée, le ministre de la défense Sébastien Lecornu donnera des gages en reconnaissant le caractère stratégique d’Exxelia et assurera que son cabinet ainsi que la DGA « procèdent actuellement à des tours de table pour défendre nos intérêts »

La menace de l’extra territorialité du droit américain

Les opposants à la vente, notamment Marie-Noëlle Lienemann très active sur le sujet, chercheront à discréditer le « rassurisme » du gouvernement en évoquant la législation spécifique américaine permettant de bloquer l'utilisation des produits Exxelia au sein du Rafale ou des sous-marins nucléaires.  Du côté de la DGA ou du ministère de l’économie, la riposte à cette attaque informationnelle sera basée simplement sur le fait qu’Exxelia est déjà détenue par des capitaux étrangers depuis 2014 sans poser de problème. Ainsi Roland Lescure à l’assemblée nationale le 20 septembre minimisera l’enjeu de la vente à Heico et rappellera que depuis 2014 cela n’a pas empêché l’Etat de « s'assurer que notre souveraineté, dans le domaine, était respectée ».

Alors que cela change-t-il qu’Exxelia soit anglais ou américain ? Peu mentionné lors de cette polémique, ce type d’acquisition pose un vrai risque sur les exportations d’armement : rappelons que la France est le 3ème exportateur mondial d’armement et son industrie de l’armement représente un outil diplomatique indispensable.

Le passage d’Exxelia sous pavillon américain pourrait l’exposer de fait aux lois extraterritoriales américaines EAR (Export Administration Regulations) ou ITAR (International Traffic in Arms Regulations). En particulier, la loi ITAR précise que « tout produit qui incorpore des composants, sous-ensembles matériels, logiciels d’origine ou sous licence américaine est soumis à des restrictions à l’exportation, du fait de l’application extraterritoriale de la réglementation américaine »

Les listes de composants soumis à EAR ou ITAR sont régulièrement révisées et étendues. Ainsi, ces composants devenus EAR ou ITAR pourront entrainer la contamination des équipements militaires français qui les embarquent. Leur vente peut dès lors être bloquée à la discrétion des USA. Rappelons le douloureux épisode du missile SCALP embarqué dans le Rafale et choisi par l’Egypte en 2018 afin de réduire justement sa dépendance aux armements américains. Lors de la vente à l’Egypte, le missile SCALP embarquait des composants américains soumis à ITAR, ce qui a permis aux USA de bloquer la transaction, obligeant le fabriquant MBDA à entreprendre un long travail de « désITARisation » de son missile.  

Alors que la France a fait du caractère « ITAR-free » du Rafale un argument commercial et que cet avion se pose en crédible concurrent du F35 américain, les opposants à la vente d’Exxelia insisteront sur le risque commercial sur le Rafale ou tout autre matériel de défense français si Exxelia passe sous pavillon américain.

Face à ce risque, le gouvernement avancera une possible compartimentation entre les activités civiles et militaires d’Exxelia comme évoquée par Emmanuel Chiva lors des auditions en octobre « afin de préserver la souveraineté française ». On s’interrogera sur la réelle protection de cette compartimentation pour échapper à une ingérence étrangère. Ne faudrait-il pas plutôt scinder les activités de cette société en deux entités (civile et militaire) comme dans le cas précédent d’Hemeria ?

La souveraineté française face à l’arsenal législatif américain

L’année 2023 commençait sous de bons hospices avec Bruno Le Maire qui déclarait lors de ses vœux le 05 janvier : « L’indépendance industrielle et la souveraineté sont les nouveaux leitmotivs de la politique mondiale. La France a toujours défendu ces principes. »

Le lendemain pourtant, Heico annonce avoir finalisé le rachat de l'entreprise Exxelia entrainant un relai plus important dans les médias.

Alors que le camp des opposants à la vente misait sur une nouvelle « affaire Photonis », il s’avère que nous avons bien eu le droit à la polémique mais pas la même issue puisque le gouvernement a privilégié l’attractivité de la France et n’a pas souhaité que Photonis fasse jurisprudence.

Du côté des ministères, on assure que les intérêts français ont été préservés, notamment via l’octroi d’une golden share pour l'Etat français. Permise par la loi PACTE, cette golden share donne un droit de véto à l’Etat français et permettrait d’empêcher le pillage des brevets d’Exxelia. En revanche, le doute est permis sur la garantie de souveraineté face à l’arsenal législatif américain.

Pierre-Emmanuel Massieux
Auditeur de la 41è promotion MSIE de l’EGE