Pro-Life contre Pro-choice : une confrontation informationnelle au cœur de la campagne présidentielle américaine

Historiquement clivant, le droit à l’IVG (interruption volontaire de grossesse) est depuis longtemps l’objet de nombreuses batailles informationnelles, juridiques et politiques dans le monde. Ce clivage est particulièrement marqué aux États-Unis, pays tiraillé entre une forte culture religieuse traditionnaliste et un libéralisme politique affirmé.

Deux camps s’affrontent : les pro-life contre le droit à l’avortement et les pro-choice, qui défendent ce droit. Une opposition à première vue binaire, au même titre que la vie politique américaine : les républicains, traditionnellement pro-life, contre les démocrates. 

En 2022, la Cour Suprême des États-Unis annule l’arrêt Roe V. Wade, qui garantissait le droit à l’avortement dans la Constitution américaine, avec l’arrêt Dobbs[i]. Une conséquence du mandat présidentielle de Donald Trump, qui avait nommé trois juges très conservateurs à la Cour Suprême passant ainsi de 6 juges républicains contre 3 démocrates. Une vingtaine d’États promulguent alors de nouvelles lois qui restreignent l’accès à l’IVG ou l’interdisent complètement[ii].

Depuis, la polémique sur le droit à l’avortement inonde les réseaux sociaux, les tribunes pro-life ou pro-choice fleurissent dans la presse et pas un meeting politique ne se passe sans l’évoquer. Les pro-life, galvanisés par la victoire obtenue en 2022, réclament une interdiction fédérale de l’IVG et demandent à étendre le concept de personhood. Cette notion légale est apparue dans la Constitution américaine en 1787. Elle permet de distinguer les personnes entières et les personnes de moindres valeurs, non-protégées par la Constitution. Au fil de l’histoire américaine, les personnes racisées, les femmes et les personnes handicapées ont accédées au statut de personhood et les pro-life demandent l’attribution de ce statut aux embryons, dans et hors de l’utérus[iii].

Face à eux, les pro-choice utilisent les conséquences juridiques et sociales de l’annulation de l’arrêt Roe pour prouver le bien-fondé de leur combat et se font les porte-drapeaux de la liberté, si chère aux yeux des américains. Ils cherchent ainsi à faire basculer les élections en faveur des démocrates afin permettre la réinscription du droit à l’avortement dans la Constitution et faciliter l’accès à l’avortement dans tous les États. Ils sont encouragés par les derniers sondages indiquant que 69% des Américains désapprouvent l’annulation de l’arrêt Roe

 

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Figure 1 : sondage CNN – mai 2024

 

Ce sujet aux implications multiples devient un enjeu majeur dans les swings-states, ces États ni rouge ni bleu, où le pouvoir est divisé entre les partis et où les indécis restent à convaincre[iv].

Le résultat de l’affrontement entre Donald Trump et Kamala Harris pour les présidentielles de novembre 2024 pourrait alors dépendre de l’issue de cette énième guerre entre l’idéologie radicale des pro-life et le libertarisme des pro-choice. 

 

Une polarisation de la société américaine

 

La guerre des narratifs

Le courant pro-life est un mouvement émergent au début des années 1970, et prend de l’ampleur à la promulgation de l’arrêt Roe V. Wade légalisant l’avortement en 1973. Il est alors représenté par le National Right to Life Committee, association rassemblant des militants principalement issus des communautés religieuses chrétiennes. Proche du Parti républicain, promouvant des valeurs familiales traditionnalistes, il devient désormais presque impossible de séparer les deux. De nombreux élus républicains se déclarent fondamentalistes et sont de fervents défenseurs de l’idéologie pro-life, à l’image de Mike Pence. Ancien Vice-Président de Donald Trump, il est apparu à Washington D.C. lors de la March of Life en 2019, manifestation annuelle regroupant les militants pro-life et créée en réaction à l’arrêt Roe en 1973. Si les pro-life étaient connus jusque dans les années 2000 pour leur militantisme violent[v], avec pour apogée le meurtre du docteur Tiller célèbre pour sa pratique des avortements tardifs en cas de danger pour la mère, ils se transforment à l’ère des réseaux sociaux afin d’influencer la vie politique et sociale des Américains.

Par opposition, les pro-choice sont eux fortement imbriqués dans le Parti démocrate. Le leak des e-mails d’Hillary Clinton en 2015 avait exposé les nombreux liens entre le Planned Parenthood, principale association pro-life américaine, et les démocrates[vi]. En juin 2024, PBS news estime que l’association a investi 40 millions de dollars dans la campagne présidentielle pour le Parti démocrate. Des exceptions sont néanmoins à noter dans les deux cas, comme Terrisa Bukovinac, fondatrice du PAAU (Progressive Anti-Abortion Uprising), une organisation qui se réclame de la gauche radicale et qui s’était portée candidate à l’investiture du Parti démocrate pour 2024. 

Afin de diffuser leur idéologie et influencer l’opinion publique, la sémantique est soigneusement étudiée.  Le terme « pro-vie », ou droit à la vie, a lui-même une forte connotation positive, en comparaison avec « anti-avortement ». 

Des évolutions sont à noter depuis quelques années et depuis l’annulation de Roe. Ainsi, les pro-choice ont commencé à favoriser les termes de « liberté » et « droits », comme le montre l’importante association NARAL Pro-choice America, changeant de nom en 2023 pour Reproductive Freedom for All. Un choix judicieux dans un pays où la liberté individuelle est une valeur constitutionnelle et où de nombreux Américains, de tous bords politiques et religieux, voient en l’interdiction totale de l’IVG une privation de liberté incompatible avec leurs valeurs. Ainsi, selon les récents sondages, comme celui du Pew Research Centre datant de mai 2024, 63% des américains déclarent que l’avortement devrait être légal[vii]. Un chiffre en augmentation depuis l’annulation de l’arrêt Roe en 2022. Sur ce point, des dissonances existent au sein des militants pro-life. Une partie, plus discrète, appelle à des compromis afin d’adoucir l’image radicale présentée par les pro-life et ainsi rassurer les modérés du Parti républicain. Les pro-choice présentent un front plus uni, tous les militants demandant le droit à choisir et le respect des libertés. 

L’argumentaire des pro-life est simpliste et vise à toucher l’émotionnel comme le montre la page d’accueil du site prolifeacrossamerica.org : « love the babies » (aimez les bébés) « protect mum and baby» (protégez la mère et bébé). D’autres contiennent des inexactitudes scientifiques. Ils affirment par exemple que les battements de cœur du fœtus existent dès 18 jours après la conception. Cette théorie est démentie par l’American College of Obstetricians and Gynecologists qui donne des instructions et explications sur son site internet sur les expressions et termes biaisés, à idéologie pro-life et médicalement inexactes. Ils reprochent l’impact culpabilisant que ce type de langage peut avoir et encourage la rigueur scientifique dans les textes sur l’avortement[viii].

La désinformation fait partie de la communication pro-life. Elle créé et diffuse des contenus à portée éducative dans le but de cibler la population, parfois jusque dans les écoles. La vidéo « bébé Olivia », soutenu par une partie du corps médical pro-life et clamant être scientifiquement correcte, a pour but de « changer l’opinion des gens concernant le meurtre des enfants non-nés » selon l’ONG Live Action, association pro-life très active. Là aussi, de nombreuses erreurs scientifiques sont dénoncées par le corps médical non affilié aux groupes pro-life et les codes visuels « roses, niais et infantilisants », selon la sénatrice démocrate du Tennessee Heidi Campbell, semblent faire partie d’une charte graphique affiliée au mouvement[ix]. Les sites internet prônant l’idéologie pro-life sont construits sur une esthétique traditionnellement associée au féminin, tout en rose et photographie de famille. 

 

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Figure 2 : page d’accueil du site prolifeacrossamerica.org

 

Le terme fœtus est d’ailleurs peu ou pas utilisé, et les mots « bébé » ou « enfant » lui sont préférés. Ils sont accolés à « meurtre » ou « démembré » dans certains contenus, comme ces vidéos diffusées par des comptes pro-life sur Instagram montrant un bébé être démembré pour être retiré du ventre d’une femme. Le message devenu horrifique sert à effrayer les femmes qui songeraient à avoir recours à l’avortement, montrant l’immoralité de cet acte. Les pro-life prônent la morale religieuse et affirment être la voix des plus faibles ne pouvant se défendre seuls : « fight for the innocent. Your gift now will give unborn babies a voice » est le slogan en première page de l’association Susan.B Anthony Pro-Life America. 

A l’opposé, les pro-choice ont pour argument la défense du droit des femmes, la liberté individuelle et la santé publique. Si dans les années 1980 et 1990, les mouvements pro-choice répondaient majoritairement aux attaques pro-life par des argumentations scientifiques, les associations ont peu à peu adapté leur communication afin de rendre leur message plus accessible à la majorité de la population américaine. Ils utilisent alors des images chocs, parfois inspirées de la pop culture, comme l’utilisation du costume de La Servante Écarlate, série dystopique issue du roman de Margaret Atwood : un symbole d’oppression qui joue sur les peurs et dénonce les restrictions de liberté.