Projet de loi de financement de la sécurité sociale 2023 : la data comme levier d’influence

Le gouvernement par la voix du ministre de l’économie, Bruno Le Maire, avait annoncé le 25 août 2021 la fin du « quoi qu’il en coûte », à l’occasion de la Rencontre des entrepreneurs de France organisée par le Medef. Cette annonce, effectuée en pleine régression de la pandémie a amorcé une nouvelle phase de rigueur économique. Dans un contexte économique tendu, de forte augmentation des dépenses publiques et sur fond de guerre en Ukraine, cette rigueur a pris un nouveau tournant en 2022 se traduisant notamment par une forte pression dans l’établissement des projets de loi de finances.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) est dans le feu des projecteurs depuis la rentrée, au-delà du 49-3 et de la réforme des retraites les laboratoires sont entrés depuis la présentation du projet de loi dans une bataille dont les enjeux sont à première vue purement économiques. Le 26 septembre 2022, le PLFSS 2023 est présenté au conseil des ministres et le projet de loi déposé le même jour à l’Assemblée nationale, renvoyé à la Commission des affaires sociales toujours le 26 septembre.  Les laboratoires décident alors de rentrer dans l’échiquier médiatique en publiant une salve de communiqués appelant à la grève des laboratoires et menaçant de ne plus transmettre les données des patients Covid au SIDEP.

La confrontation entre l'Etat et les lobbies pharmaceutiques

Les pouvoirs publics, le législateur, les organismes de financement de la santé publique font face aux laboratoires surreprésentés par l’Association pour le Progrès de la Biologie Médicale (APBM) notamment, qui a réussi à devenir un interlocuteur incontournable dans cette bataille de chiffres.

L’APBM, association crée en 2012 et présidée par le Dr Alain le Meur, en charge du développement pour BIOGROUP, regroupe les principaux réseaux français de biologie médicale. L’APBM réclame depuis 2017 « un financement plus équitable de l’innovation en biologie et donc, d’un meilleur accès aux tests innovants » et affichent une volonté forte de faire évoluer la biologie médicale classique vers une biologie prédictive.

Interrogés par les rapporteurs lors de l’élaboration du Rapport Évaluation des politiques publiques face aux pandémies, Biogroup, Synlab et CerbaHealthCare à la commission d'enquête ont déclaré «n'avoir été destinataires, alors, d'aucune instruction des autorités sanitaires afin de se préparer à tester massivement, en étant tenus à l'écart de toute décision, en dépit de leurs sollicitations, du fait d'une stratégie délibérément ciblée sur les hôpitaux. ».

Il n’est pas étonnant dans ce contexte de les revoir surgir avec des leviers de poids pour la négociation. S’inquiétant de la baisse annoncée de 170 millions d’euros du financement de la biologie médicale et des « risques majeurs que cela peut engendrer sur les laboratoires de biologie médicale et le suivi médical de la population » 4 syndicats de biologistes : le SDB, le SNMB, le SLBC, le SJBM et l’APBM publient un communiqué commun le 18 septembre appelant à la grève des laboratoires. Le 28 septembre, l’APBM publie un nouveau communiqué[i] en s’alarmant des conséquences sur l’emploi et sur le maillage territorial des laboratoires, de la contribution annuelle supplémentaire demandée par la CNAM de 250 millions d’Euros sur les actes de biologie médicale.

L'attaque informationnelle du nouveau lobby médical

Une nouvelle alliance se crée alors : L’Alliance de la Biologie Médicale (ABM) fédérant des acteurs de la biologie médicale française, représentants syndicaux (Biomed, SDB, SLBC, SNMB) comme réseaux de laboratoires (Biogroup, Cerba HealthCare, Eurofins, Inovie, LBI, Synlab, Unilabs), ils annoncent dans communiqué, le 26 octobre, la suspension de la transmission des données SIDEP[ii].

"C'est inadmissible", a fustigé François Braun, ministre de la Santé et de la Prévention au sujet de la grève : "Ils prennent en otage l'ensemble de la population", a-t-il ajouté au micro d'Europe 1 le 28 octobre 2022 Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement joint sa voix au ministre pour dénoncer le durcissement de la position des laboratoires. La presse se fait alors le relai de ces joutes verbales et des positions de chacun dans cet espace temporel réduit (le conflit a duré à peine plus d’un mois).

Peu d’expression de la part des usagers, France Assos, association d’usagers très influente s’est déclarée le 14 novembre inquiète de la dérive financière du système de santé sans relever l’importance de la nouvelle guerre d’influence en cours autour de la DATA.

Finalement Le 15 novembre le Sénat modifie l’article 8 du projet a voté un amendement au projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2023(PLFSS) transformant cette "baisse pérenne en contribution exceptionnelle de 250 millions d'euros en 2023", une «solution qui va dans le bon sens", a réagi dans un communiqué l'Alliance de la biologie médicale qui représentées par les laboratoires (Biogroup, Cerba, Eurofins, Inovie, Synlab).

La captation des données comme arme de négociation

Il n’est pas étonnant que les prises de positions soient ambiguës dans ce contexte puisque l’enjeu fondamental est bien la captation de la donnée, l’encerclement cognitif s’est effectué ici autour d’un enjeu immatériel et peu accessible : la DATA, représentée ici par des données détenues par des représentants du secteur privé et dont l’Etat a besoin dans sa politique de prévention de l’épidémie de Covid. La stratégie d’influence s’est développée en appuyant sur des leviers peu connus jusqu’alors et peu commun dans les négociations classiques.

La prise d’otage s’est organisée autour d’une véritable prise des données, nouvelle forme de prise de position dominante, au-delà du simple aspect économique ce sont aussi les possibilités que ces données promettent qui sont le nouvel enjeu de domination. La campagne médiatique pour convaincre l’opinion que sans ces laboratoires de proximité la biologie médicale n’a plus d’avenir. Tous ces laboratoires de proximités étant aujourd’hui de grands groupes dont CERBA ou Biogroup pour ne citer qu’eux, font partie. Ils ont réussi à imposer leur position d’acteur incontournable, victime d’une position gouvernementale trop ferme.

Mais Il ne faut pas se tromper d’enjeu, il est difficile de croire que ce n’est qu’un enjeu économique pour les laboratoires soit l’unique nerf de la bataille. Et même si les véritables ambitions ne sont pas affichées, le contexte parle de lui-même. Le nerf de la guerre pour l’APBM n’est peut-être pas la somme de 250 millions demandés par le gouvernement mais plutôt une véritable opération d’influence pour l’accès à l’innovation et à la manne gigantesque représentée par la biologie prédictive, associée à la question de la DATA et des GNAFAM autour des données de santé.

Une nouvelle forme de chantage à la donnée Enfin, le 21 novembre au soir après 3 heures de débat le gouvernement s’est rabattu à nouveau sur le psi aller du 49.3. Cependant au-delà de l’aspect économique, ce qui a émergé ici c’est bien un nouveau rapport de force qui s’impose sans force mais bien avec les données des citoyens usagers du système de santé publique.

 

Pierrette Setor
Auditrice de la 40ème promotion MSIE de l'EGE

Notes

[i]« Alors que le gouvernement entend imposer une coupe d’au moins 250 millions d’euros dans les tarifs de la biologie médicale courante, l’ensemble de la profession présente un front uni pour maintenir une offre de biologie médicale de qualité pour les patients et alerter l’opinion et Bercy. Si nous sommes favorables à participer aujourd’hui à une régulation des dépenses liées au Covid, nous refusons que la biologie des usagers soit sacrifiée sur l’autel du « quoi qu’il en coûte » et de la rigueur budgétaire. Amalgamer, comme le fait le gouvernement, l’activité Covid des laboratoires, qui résulte d’une situation exceptionnelle et temporaire, et leur activité courante aura des conséquences délétères sur l’innovation, le déploiement du numérique, l’emploi, l’offre de soins et notre capacité à répondre aux situations de crise sanitaire ».

[ii] Le système d'information de dépistage (SI-DEP), mis en service depuis le 13 mai 2020, est une plateforme sécurisée où sont systématiquement enregistrés les résultats des laboratoires des tests réalisés par l'ensemble des laboratoires de ville et établissements hospitaliers concernant le SARS-COV2.