Rapports de force autour de l’exploitation artisanale de l'or au Sahel

L’espace saharo-sahélien connaît aujour­d’hui une intense dynamique extractive liée à la découverte de l’or dans ces marges désertiques particulièrement instables. Au Sahel Central, en l’occurrence au Mali, au Burkina Faso et au Niger, le boom aurifère représente une nouvelle source de financement, voire un terrain de recrutement pour divers groupes armés, y compris djihadistes. Les Etats sahéliens devraient rétablir leur présence aux abords des mines d’or et mieux formaliser l’exploitation aurifère artisanale.

Le contexte

Au Sahel, un boom aurifère suscite la convoitise croissante de divers groupes armés. Les forces de sécurité peinent à contrôler les zones d’orpaillage dans des régions délaissées et parfois même abandonnées par l’Etat.

Des groupes armés, dont des djihadistes, trouvent dans l’exploitation aurifère artisanale une nouvelle source de financement, voire un terrain de recrutement, et cherchent donc à prendre le contrôle des mines d’or ou assurer la sécurité des sites et des routes d’évacuation du minerai.

Au Mali, au Burkina Faso et au Niger, des pays du Sahel central, des groupes armés s’emparent depuis 2016 de sites d’orpaillage dans des zones où l’Etat est faible ou absent, confortés par le boom du secteur aurifère artisanal depuis la découverte, en 2012, d’un filon saharien allant du Soudan jusqu’en Mauritanie.

Des réseaux plus ou moins structurés sont de plus en plus impliqués dans le transport de l’or. L’orpaillage artisanal risque donc d’alimenter la violence et les réseaux criminels transnationaux.

Les forces en présence

Le Sahel est devenu une sorte de creuset où évoluent divers acteurs armés (groupes d’autodéfense, bandits, trafiquants, groupes rebelles, djihadistes).

Les groupes extrémistes violents et acteurs non étatiques armés

Ces mouvements extrémistes violents, qui n’hésitent pas à commettre des attentats sanglants dans la région, sont excessivement morcelés, certains faisant allégeance à al-Qaïda, d’autres à Daech. Ce morcellement reflète souvent des choix tactiques plutôt que de quelconques préférences idéologiques ou confessionnelles.

Les principaux groupes extrémismes présents sont :

. L’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) actif depuis 2015 dans la « zone des trois frontières » ;

. L’État islamique en Afrique de l'Ouest (EIAO) depuis 2015 ;

. Le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM), depuis mars 2017 ;

. Le Groupe sunnite pour la prédication et le djihad (Boko Haram), depuis 2002 au Nigéria.

 

 

  1. L'EIGS est actif principalement au sud-ouest du Niger, dans la région de Tillabéri, au sud-est du Mali, dans la région de Ménaka et au nord du Burkina Faso, dans les régions de Soum et d'Oudalan.
  2. L'État islamique en Afrique de l'Ouest (EIAO) ou la Province d'Afrique de l'Ouest de l'État islamique apparaît en mars 2015 avec la déclaration d'allégeance de Boko Haram à l'État islamique.
  3. Le GSIM est né de la fusion d'Ansar Dine, des forces d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) dans le Sahel, de la katiba Macina et de la katiba Al-Mourabitoune.
  4. Formé en 2002 à Maiduguri par le prédicateur Mohamed Yusuf, Boko Haram est à l'origine une secte qui prône un islam radical et rigoriste, hostile à toute influence occidentale.

 

Réponses et initiatives dans la région du Sahel

Plusieurs initiatives ont été lancées dans la région du Sahel pour répondre à l’insécurité ou renforcer l’ordre sécuritaire, social et politique. Ces initiatives restent confrontées à des problèmes de coordination, d’embouteillage, ce qui a pour effet de submerger les structures étatiques qu’elles sont censées aider (International Crisis Group, 2018).

L’Union africaine a lancé deux initiatives dans la région – le Processus de Nouakchott, en 2013, et la Stratégie pour la région du Sahel, en 2014 – dans le but d’encourager la coopération et une meilleure coordination entre les parties prenantes responsables de la sécurité dans la région.

La Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), entité régionale de 15 membres, a organisé une mission militaire afin d’aider les autorités maliennes pendant le conflit dans le nord du pays. Elle a donné le coup d’envoi à la MISMA (Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine) en décembre 2012.

Le G5 Sahel (G5 S), l’une des principales composantes des initiatives destinées à régler les questions dérangeantes qui submergent le Sahel créé en février 2014, se veut une réponse aux échecs militaires et diplomatiques de la CEDEAO. C’est une structure de coopération réunissant cinq pays sahéliens (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad). En 2017, le G5 Sahel a mis sur pied la Force conjointe G5 S, qui se compose de 5 000 hommes des forces armées des cinq pays membres et qui a pour mission de combattre les groupes extrémistes violents.

La Mission des Nations Unies au Mali (MINUSMA) créée par l’ONU en avril 2013 regroupant actuellement plus de 15 000 personnes est opérationnel au Mali avec pour objectif de protéger la population civile tout en encourageant le dialogue national et local. Son mandat doit être renouvelé chaque année par le Conseil de sécurité.

En 2011, le service européen pour l’action extérieure (SEAE) de l’Union Européenne a adopté la Stratégie pour la sécurité et le développement du Sahel. Cette vise à traiter les problèmes interdépendants qui se posent à la région du Sahel.

En juillet 2017, la France, l’Allemagne et l’UE ont annoncé la création de l’Alliance Sahel, destinée à aider les pays sahéliens à restaurer les fondations de sociétés stables capables d’œuvrer durablement au développement et à la paix dans la région. L’objectif visé est, d’une part, l’intensification de la coordination entre partenaires s’occupant de développement et, d’autre part, l’accélération de la concrétisation de l’aide et des projets tout en répondant aux besoins exprimés par les bénéficiaires et par le Secrétariat du G5 Sahel.

Avec l’opérationnalisation du Commandement des États-Unis pour l’Afrique (AFRICOM), de petites unités des forces spéciales américaines conseillent les militaires et les milices locales au Sahel sur la façon de venir à bout des extrémistes violents (Foreign Policy, 2020).

Sans régulation du secteur, cela risque d'alimenter la violence au Sahel central.

La production artisanale représenterait désormais près de 50% des volumes produits industriellement, selon l’étude « L’or à la croisée des chemins », Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), 2018.

Elle atteindrait chaque année 20 à 50 tonnes au Mali, 10 à 30 tonnes au Burkina Faso et 10 à 15 tonnes au Niger, soit une valeur monétaire globale située entre 1,9 et 4,5 milliards de dollars par an, si l’on se réfère au cours mondial de l’or. La majorité de l’or issu de l’exploitation artisanale est exporté à Dubaï, qui déclare 1,9 milliards de dollars d’importations d’or en provenance de ces pays (plus le Togo). Au Sahel Central, plus de deux millions d’acteurs seraient directement impliqués dans l’orpaillage artisanal : un million au Burkina Faso, 700 000 au Mali, et 300 000 au Niger selon des estimations de Crisis Group.

Au-delà des problématiques sociales, environnementales et de gouvernance politique majeures, l’exploitation artisanale de l’or, suscite de nouvelles préoccupations sécuritaires au Sahel. Le Sahel Central constitue l’épicentre de l’insécurité dans la région sahélienne, et la plupart des récentes découvertes aurifères sont dans des zones où les Etats sont historiquement peu présents ou dont ils se sont retirés parce qu’ils ne disposent pas des ressources humaines et techniques suffisantes pour encadrer une activité de cette envergure. Divers acteurs armés (groupes d’autodéfense, bandits, trafiquants, groupes rebelles, djihadistes) profitent de la situation pour soit contester l’autorité de l’Etat, ou coopérer avec l’Etat et être dépositaires informels de l’autorité publique. Jugée tolérable voire acceptable, la délégation de la responsabilité de la sécurisation des mines d’exploitation artisanale de l’or, de l’Etat au privé, montre d’importantes limites : ces derniers risquent de s’autonomiser et d’exploiter les ressources aurifères en contournant de plus en plus l’Etat et/ou même ces forces de sécurité déléguée peuvent se transformer en des éléments prédateurs.

Aussi la non régulation du secteur par les autorités a favorisé la formation de réseaux commerciaux locaux, régionaux et internationaux informels spécifiques. Ceux-ci peuvent contribuer au financement de groupes armés et/ou du terrorisme et à une augmentation du blanchiment d’argent dans la région en raison de l’immixtion de trafiquants dans l’économie aurifère artisanale.

Pour rééquilibrer le rapport de force, les Etats devraient soit déployer leurs forces de sécurité à proximité des sites, soit formaliser le rôle des acteurs locaux non étatiques en matière de sécurité des espaces miniers et mieux les encadrer. Enfin, les dispositifs de sécurisation des sites doivent s’accompagner de mécanismes de gouvernance afin d’éviter que les forces chargées de la sécurité deviennent des éléments prédateurs, ce qui pousserait les orpailleurs dans les bras des groupes armés qui s’opposent à l’Etat.

 

Assane Ouedraogo

 

Source

  1. Reprendre en main la ruée vers l’or au Sahel central
  2. L’or à la croisée des chemins : Étude d’évaluation des chaînes d’approvisionnement en or produit au Burkina Faso, au Mali et au Niger
  3. Burkina Faso : sortir de la spirale des violences
  4. Nord du Burkina Faso : ce que cache le jihad - Rapport Afrique N°254
  5. Développement et sécurité dans la région du sahel
  6. Quatre clés pour comprendre comment le terrorisme frappe le Burkina Faso