Le secteur automobile est depuis le début du 20ème siècle un acteur majeur sur les plans politiques, sociétaux et économiques. La mobilité et la liberté de déplacement des populations ont modifié durablement le paysage de nos pays ainsi que nos habitudes. L’automobile est au cœur de ces changements. Si elle n’est pas le facteur unique de ces évolutions, elle a contribué fortement au développement et à l’évolution de nos sociétés modernes.
En mettant un focal sur la France, nous connaissons 3 constructeurs majeurs historiques que sont Renault, Peugeot et Citroën. Ces 3 acteurs se sont livrés à une guerre commerciale et une course à l’innovation tout au long du 20ème siècle. Cette confrontation a été initialement nationale afin d’en conquérir le marché. À partir de la deuxième moitié du 20ème siècle, ils se sont adaptés et se sont tournés vers l’international afin de conquérir un espace commercial plus vaste. Ces opportunités de développement n’étaient pas sans risque puisque le marché national initialement acquis allait devenir la cible d’autres constructeurs extranationaux.
Rappel : la stratégie de développement du groupe PSA
C’est dans cette optique que le groupe PSA (Peugeot Société Anonyme) rachète un de ses concurrents historiques pour devenir en 1976 PSA Peugeot Citroën. Il est important ici de préciser que cette absorption de Citroën est initiée à la demande du gouvernement français. Cette influence de l’Etat montre l’importance stratégique du secteur automobile. Face à une succession de crises, à la mondialisation grandissante ainsi qu’à la faillite annoncée de Citroën, ces deux constructeurs français devaient s’unir afin d’améliorer leur business model et leur capacité de développement. En 1976, l’État français a joué un rôle stratégique dans cette union avec une vision à long terme. Une logique collective et patriotique a été privilégiée, contrairement à l’individualisme des profits économiques. La bonne gestion du groupe lui permet dès 1978 d’acheter Chrysler Europe pour devenir le premier groupe automobile en Europe et le quatrième mondial.
Le groupe PSA Peugeot Citroën consolide sa place d’acteur majeur dans la construction et la commercialisation d’automobiles dans le monde. En 2016, le nom est abrégé des marques françaises pour devenir Groupe PSA. On peut voir ici le début d’une stratégie de développement où il devient important de sortir au moins en apparence du giron de l’État français.
Cette succession d’événements va conduire en 2021 à la fusion du groupe PSA avec le groupe italo-américain Fiat Chrysler. Il aura été nécessaire d’attendre 2 ans avant de connaitre les contours exacts de cette fusion et la création de Stellantis. Une lutte d’influence fait notamment rage entre les intérêts français et ceux des Italiens. Stellantis affiche des résultats monumentaux depuis sa création en 2021. Carlos Tavares en qualité de directeur général dispose de 61 milliards d’euros de liquidités (sources Stellantis) pour en faire de l’investissement et consolider sa place dans le monde économique. C’est dans ce contexte particulier que Stellantis mène une « guerre de l’information » pour faire passer ses décisions stratégiques de développement de chaque côté des Alpes.
Le nouveau positionnement du groupe Stellantis
14, c’est le nombre de marques qui composent Stellantis. Parmi elles, cinq marques sont issues du français PSA (Citroën, DS Automobiles, Opel, Peugeot et Vauxhall) et neuf, du groupe italo-américain FCA (Abarth, Alfa Romeo, Chrysler, Dodge, Fiat, Jeep, Lancia, Maserati et RAM).
14,4 % représente la marge opérationnelle confortable affichée au premier semestre 2023.
5 millions est le nombre de véhicules électriques que Stellantis compte produire et vendre dans le monde en suivant son plan cadre « Dare Forward 2030 ».
924, représente le nombre de brevets déposés par Stellantis. Même si Stellantis perd sa première place, on notera que pour un groupe existant depuis 2021, il bénéficie de statistiques antérieures à sa création avec les chiffres de PSA. On relèvera la dernière place dans ce classement du groupe rival historique Renault.
On reviendra sur ce point ultérieurement.
36.5 millions d’Euros est la rémunération de son directeur Général Carlos Tavares. Cette somme et la communication qui en sera faite aura un rôle à jouer dans la guerre de l’information menée par Stellantis.
Les négociations au moment de la fusion ont nécessité une étude et une construction ne donnant aucun avantage stratégique à une entreprise particulière ou à une nationalité précise. Voici la répartition des actionnaires de Stellantis.
Répartition des actionnaires (Source zonebourse.com 07/06/2024)
Il est précisé qu’EXOR est la holding fondée en 1927 par la famille Agnelli comprenant les héritiers de Giovanni Agnelli, fondateur italien de Fiat. Pour s’unir et accepter la fusion, PSA et Fiat Chrysler ont fait le choix d’une fusion à 50 %. Les actionnaires des deux groupes respectifs détiennent donc chacun la moitié du capital de la nouvelle entité Stellantis. L’ex-premier actionnaire de Fiat Chrysler, la holding EXOR, devient le premier actionnaire de Stellantis, avec initialement 14,4 % du capital au moment de la fusion. (Source Les Echos 19/01/2021) Les trois actionnaires de référence de PSA ont un poids relatif avec, initialement, pour FFP, la holding familiale des Peugeot 7,2 % des parts, BPIFRANCE, qui représente l’État français, 6,2 %, et le constructeur chinois DONGFENG 5,6 %. Mais pour permettre un équilibre franco-italien, l’addition des parts des Peugeot et de l’État français se rapproche du niveau d’EXOR. Les Chinois, dans une stratégie d’apaisement, ont accepté de vendre une partie de leur part et de ne pas avoir de sièges au conseil d’administration. On comprend dans ce jeu l’intérêt qu’ils portaient à faire de cette fusion une réussite. Avec une lecture à court terme, ils peuvent apparaitre perdants.
Répartition géographique des ventes par activité (Source zonebourse.com 07/06/2024)
Dans cette répartition on comprend nettement mieux, le poids stratégique des Américains par rapport à leur poids dans la répartition des actions. On note la baisse des ventes dans la région asiatique.
L’alliance avec un groupe chinois
Dès le mois d’août 2023, Carlos Tavares, DG de Stellantis envoie les premiers signes d’un rapprochement avec le Chinois Leap-Motor. Le choix des mots est important ici, puisque le terme « étudie » permet d’avancer une idée sans pour autant s’engager sur cette option. On comprend dans cet article que c’est une volonté de se tourner vers les Chinois qui semblent être en avance sur la technologie des véhicules électriques. Cette communication non catégorique permet également de tester l’opinion publique et de voir les réactions de cette dernière. La communication est également tournée vers un objectif de conquérir une part du marché chinois en se rapprochant d’un de ses constructeurs. Celui-ci n’est pas un leader sur ce marché, mais une startup bénéficiant d’une bonne image. L’accession au marché chinois est hypothétique puisque Stellantis avait fait le choix de le quitter 3 ans plus tôt.
Fin octobre 2023, Stellantis annonce investir dans le groupe chinois Leap-Motor. Cet investissement est annoncé pour stimuler les ventes de Leap-Motor en Chine et permettre à Stellantis de gagner du temps sur la technologie des véhicules électriques. On note qu’il n’est pas caché que Stellantis permette par cet accord la vente de véhicules de la marque chinoise sur le territoire européen.
La manière de gérer le rapport de force avec Renault
Les résultats de Stellantis en décembre 2023 si on le restreint au marché français contrastent avec les résultats globaux du groupe sur l’année 2023. Un mois avant la publication et l’annonce des résultats de l’année 2023, ceux de décembre 2023 montrent une baisse sur le marché français qui se traduit par la première place du concurrent historique Renault sur cette période et sur ce marché. Cette ombre au tableau devra être combattue et si les résultats sont factuels, la tactique utilisée pour diffuser les informations peut permettre de réduire les aspects négatifs.
La première stratégie est de critiquer les choix faits par le constructeur concurrent. Carlos Tavares qui a été le numéro 2 du groupe Renault jusqu’en 2012, critique ouvertement les choix faits par Renault de se séparer en deux entités différentes. Le clivage entre les activités thermiques et électriques ne trouve pas grâce aux yeux du grand patron de Stellantis qui juge ce choix dangereux avec une perspective de rentabilité quasi inexistante. Dans cet article, il évoque la concurrence chinoise croissante en Europe. Il explique que l’Union européenne, en éliminant les moteurs thermiques à l’horizon 2035, favorise l’essor des marques chinoises sur le vieux continent. Il continue à évoquer les perspectives de développement par l’investissement et ne s’interdit pas de faire grossir encore un peu le groupe Stellantis par une croissance externe.
Stellantis à l’offensive sur le terrain informationnel
En février 2024, les résultats 2023 des groupes Renault et Stellantis marquent une année exceptionnelle. Avant cette séquence d’annonce des résultats, nous avons une double offensive de Stellantis portant sur une stratégie de menace et de peur.
Carlos Tavares annonce brutalement que la Chine risque de détruire l’industrie automobile européenne dans un article publié le 1er février 2021. Il jette la responsabilité sur la politique de l’Union européenne qui n’a pas écouté les alertes des grands dirigeants du secteur et que les conséquences sociales sont un risque majeur. Dans cette communication, il cherche à faire peur et ne propose rien pour maitriser ce risque. Il laisse infuser la peur de la destruction d’emplois en Europe et menace de faire porter toutes les responsabilités de ces destructions à la politique du parlement européen. Il annoncera ultérieurement sa solution, qu’il sait ne pas être populaire sur le vieux continent.
Dans un deuxième temps très rapproché, Stellantis qui dispose de liquidités très importantes laisse apparaitre une rumeur en Italie selon laquelle le groupe pourrait investir et financer un rapprochement avec le groupe concurrent français Renault. Sans que cela soit bien défini officiellement, la diffusion de cette information lui permet un double objectif. Elle ne durera pas longtemps et sera rapidement démentie par toutes les parties prenantes, certainement pour ne pas inquiéter les marchés financiers. Cette perspective de rachat permet à Stellantis de montrer à son concurrent français que Stellantis reste bien le numéro 1 malgré le ralentissement noté en France. Cette double stratégie marque aussi un intérêt du côté italien puisqu’elle permet de mettre la pression sur le gouvernement italien. Nous développerons cet aspect ultérieurement.
Si Renault annonce le 14 février 2024 de très bons résultats, Stellantis met en avant le 15 février des bénéfices nets records. La sémantique est différente et cherche à masquer le ralentissement de Stellantis dans un de ses marchés historiques, la France.
À l’issue de cette confrontation, Stellantis conclut la séquence en annonçant « un incroyable trésor de guerre (économique) » d’un montant de 61 milliards d’euros. Cette annonce relance la rumeur d’un rachat de Renault par Stellantis. Mais les deux constructeurs minimiseront en qualifiant cette éventualité de spéculation italienne. L’objectif de Stellantis est de paraître fort avec des liquidités importantes alors qu’il a déjà investi beaucoup dans la coentreprise avec Leap-Motor. Cette stratégie lui permet certainement de parler d’égal à égal avec d’autres acteurs du secteur dont certainement les Chinois.
En mars, le constructeur chinois Leap-motor annonce rencontrer des difficultés à se développer sur le marché français à cause de la nouvelle politique fiscale. On rappelle qu’une coentreprise a été créée fin octobre 2023, dont Stellantis possède 51 % des parts, ayant donc la majorité par rapport à l’entité chinoise. Cette communication est un signal faible des annonces futures qui seront faites concernant les ventes de véhicules de la marque Leap-motor sur le continent européen et en France.
Le débat sur le salaire de Tavares était-il un leurre pour masquer l’ouverture à un groupe chinois ?
Il va être temps pour Stellantis d’annoncer la véritable stratégie avec le constructeur chinois. La tactique est d’annoncer le salaire de Carlos Tavares. Cette annonce dans un contexte électoral en France est certains de faire polémique et d’occuper l’espace médiatique. Culturellement en France, le fait qu’un grand patron gagne de l’argent même si sous sa direction les résultats de l’entreprise sont fleurissants est interprété comme négatif voir même mauvais.
Tavares prend le contre-pied et annonce un rapprochement stratégique avec le chinois Leap-Motor et prévoit d’accélérer le développement du constructeur chinois en Europe et la vente dès septembre de véhicules chinois sur le vieux continent.
Amené à se justifier sur ses choix, Carlos Tavares invité sur le plateau du 20 h de France 2, passera plus de temps à justifier son salaire qu’à parler de la nouvelle stratégie de son groupe et du constructeur chinois Leap-Motor. Comme ils l’avaient certainement anticipé, l’annonce de permettre à leur allié chinois de contourner les nouvelles politiques commerciales françaises et européennes n’a amené que très peu de contestation. De plus, dans le contexte national avec l’approche des élections européennes et des Jeux olympiques, ils savent que cette information passera rapidement en second plan et sera mise de côté. Ils n’avaient cependant pas anticipé la dissolution de l’Assemblée nationale qui vient encore plus renforcer l’oubli médiatique de cette politique pouvant porter atteinte à l’image du groupe Stellantis en France et en Europe.
Stellantis a confirmé son partenariat avec le constructeur chinois de véhicules électriques Leap-Motor, visant cette fois à introduire les véhicules électriques de Leap-motor sur le marché européen. Cette opération marque une nouvelle étape dans l'intégration des marques chinoises dans le paysage automobile européen. Ce partenariat est vu comme une réponse à l'échec du groupe français sur le marché chinois et à sa nouvelle position de faiblesse. Stellantis a acquis une participation de 20 % dans la start-up chinoise Leap-Motor, créant ainsi une société commune pour développer et commercialiser des véhicules électriques. Cela permettra au groupe français de proposer des voitures électriques à moindre coût.
Cette collaboration souligne également la nécessité malheureuse pour Stellantis de devoir s’aligner sur les intérêts chinois, notamment en matière de politique commerciale. Les États-Unis ayant augmenté les droits de douane sur les véhicules chinois, le PDG Carlos Tavares estime que l’Europe ne devrait pas suivre cette voie. Selon lui, cela pourrait entraîner une hausse de l’inflation et une augmentation du nombre de clients européens pour des véhicules chinois en raison d’un manque de sensibilisation de la population et de la baisse du pouvoir d’achat, pour ne pas dire la paupérisation de cette population.
Ce partenariat met en lumière les défis économiques et géopolitiques auxquels l’industrie automobile européenne est confrontée. Alors que les marques chinoises continuent de dominer la scène mondiale, les constructeurs européens doivent trouver des stratégies pour rester compétitifs tout en évitant les partenariats avec le continent qui représente la principale menace pour les marques occidentales.
La confrontation avec le pouvoir politique italien
Début 2024, les tensions entre le gouvernement italien et le PDG de Stellantis, Carlos Tavares sont montées d'un cran. Tavares est accusé de favoriser les intérêts de la France au sein du groupe, tandis qu'une partie de la presse italienne s'y oppose. Giorgia Meloni n’est pas la dernière à attaquer Stellantis. Elle s'est inquiétée dès 2021 de la fusion entre Fiat-Chrysler et PSA. Elle a toujours affirmé que les choix industriels du groupe Stellantis prennent plus au sérieux les intérêts français que les intérêts italiens et de sacrifier ainsi la production et les emplois italiens. À travers la Banque publique d’investissement, la France détient en effet 6,1 % des actifs de Stellantis. C’est sur cette base d’argumentation que le thème d’une prédation française sur les groupes industriels italiens est récurrent dans le discours de la présidente du Conseil italien.
Stellantis, le constructeur automobile français, par le biais de son PDG Carlos Tavares, a mis un terme aux rumeurs d'une possible fusion avec Renault. Le Gouvernement français, qui détient une part importante dans les deux entreprises, a été accusé d'avoir poussé à cette fusion. Elle lui aurait permis d'accroître son influence dans le secteur automobile européen. Cette fusion viendrait également réduire la part italienne dans le groupe Stellantis, alors que lors de la fusion tout avait été fait pour équilibrer au mieux les influences des différentes parties prenantes. Cette rumeur alimente donc les craintes et les spéculations du gouvernement italien et leurs accusations récurrentes de favorisation des intérêts français.
Dans le même temps, Carlos Tavares attaque l’absence d’aide financière du gouvernement italien, qui selon lui, ne favorise pas la transition vers des véhicules électrisés. En réponse, Le gouvernement italien a annoncé des incitations financières de 950 millions d'euros pour encourager les Italiens à acheter des véhicules moins polluants en 2024.
Le gouvernement de la première ministre souverainiste Giorgia Meloni, cherche à faire venir en Italie un second constructeur automobile. L’objectif non dissimulé est d’augmenter la production de voitures, mais aussi de mettre fin au monopole de Stellantis. Cette stratégie a certainement l’objectif de mettre la pression sur le groupe Stellantis et d’obtenir de celui-ci une augmentation plus significative de la production automobile en Italie. Si Stellantis a déjà augmenté sa production en Italie de 9,6 % en 2023, pour atteindre environ 750 000 véhicules, en maintenant ce rythme, l'objectif du million de voitures pourrait être atteint rapidement.
Les démarches italiennes en direction de l’industrie automobile chinoise
Le géant automobile chinois BYD a effectivement indiqué avoir été contacté par le gouvernement de Giorgia Meloni, mais disposant déjà d’une usine de bus et de fournisseurs en Hongrie, il n’a pas souhaité donner suite à cet appel du pied de l’Italie.
Il faut rappeler que le gouvernement italien a donné satisfaction à Stellantis par une politique d’aide à a conversion vers des véhicules électriques sans pour autant obtenir quelque chose en contrepartie. Il est donc nécessaire pour eux de maintenir la pression sur le constructeur automobile.
Face à cette pression de permettre l’arrivée d’un constructeur chinois en Italie, Stellantis répond par la suppression de 3597 emplois dans trois de ses principales usines en Italie à Turin, à Cassino et à Pratola Serra.
Il ne ferme cependant pas la porte au gouvernement italien puisqu’il annonce prévoir produire un million de nouveaux véhicules en Italie d'ici 2030 grâce à l’injection d'un milliard d'euros de subventions du gouvernement italien.
La pression sociale de Stellantis sur la politique intérieure italienne
Dans sa stratégie, Stellantis montre au gouvernement italien qu’il peut lui faire mal à très court terme alors que l’intégration d’un nouveau constructeur prendra du temps. Le temps n’étant pas un luxe que peut se permettre un politique puisque les échéances électorales ne le permettent pas.
Tavares est contre la politique du gouvernement italien d’introduire des fabricants d’automobile chinois ou américains. Le gouvernement italien a annoncé qu'il était en pourparlers avec Tesla et des constructeurs automobiles chinois pour attirer l'un d'entre eux afin qu'il fabrique en Italie et augmente la production automobile nationale après des années de déclin. Le PDG de Stellantis est très clair et ne cache pas ses menaces et mises en garde. « Si quelqu'un veut introduire la concurrence chinoise, il sera responsable des décisions impopulaires qui pourraient devoir être prises », a déclaré Tavares lors de l’inauguration d’une usine à Turin. Il souffle donc le chaud et le froid pour maintenir la pression sur les Italiens, mais montre son intention de rester en Italie afin de conserver une bonne image pour ses consommateurs. Il déclare également : « De nombreuses promesses ont été faites aux consommateurs italiens pour faciliter l'accès aux véhicules électriques, mais malgré les promesses, les incitations n'ont pas encore été débloquées ». Il rejette donc habilement la faute sur le gouvernement italien qui n’a pas tenu ses promesses. La conséquence est concrète avec une demande de véhicules électriques qui s'effondre en Italie, car les acheteurs attendent toujours les nouvelles subventions annoncées par Rome début 2024.
À partir de mai 2024, la confrontation entre le gouvernement italien et Stellantis prend un nouveau tournant. En effet, la Fiat TOPOLINO construite au Maroc arbore un drapeau italien. L'Italie, fervente partisane du label "Made in Italy", estime que tous les produits portant des symboles nationaux doivent être entièrement fabriqués dans le pays. Des centaines de véhicules sont saisies par les douanes italiennes afin de protéger les consommateurs italiens. Les autorités italiennes estimant que Stellantis tente de le duper.
Peu avant cet évènement, c’est le nouveau SUV d’Alfa Roméo qui a fait l’objet d’attaque par le gouvernement italien. Là aussi Stellantis est accusé de tromperie en nommant ce nouveau SUV « Milano ». Avec ce nom, les consommateurs italiens peuvent imaginer qu’il est d’origine italienne alors qu’il est fabriqué en Pologne. Cela risque de les duper.
Stellantis réfute toute tentative de tromperie, mais se plie aux décisions.
Stellantis précise que l’autocollant du drapeau italien vise uniquement à rendre hommage aux origines historiques de la marque et à mettre en avant son héritage italien. Il est néanmoins décidé de retirer les autocollants des véhicules saisis et de ne plus les faire apparaitre sur les prochains modèles.
Pour le SUV Milano, bien que conçu par des ingénieurs italiens, cet argument n’a pas convaincu le gouvernement italien. Stellantis a dû se conformer aux exigences des Italiens et a changé le nom de son véhicule qui s’appelle maintenant « Junior ».
Pour finir cette séquence, Stellantis fait le choix d’apaiser les débats en annonçant vouloir affecter aux usines italiennes la construction de 2 modèles dont la Fiat 500 hybride à Turin et une Jeep à Melfi.
Il est étonnant que Stellantis n’utilise pas son rapprochement avec le chinois Leap-Motor pour faire baisser les tensions. Il avait pourtant annoncé dès le mois d’avril 2024 vouloir construire des véhicules chinois sur le territoire italien. Alors que les tensions sont importantes sur un sujet de délocalisation, le groupe automobile avait l’opportunité de reprendre la main. S’il ne l’a pas fait, c’est certainement qu’il a abandonné l’idée et Stellantis doit espérer que les Italiens ne lui rappellent pas ces communications passées.
Le problème principal reste la Chine
L’enjeu économique du groupe Stellantis est de consolider ses ventes en Europe avec la politique du tout électrique annoncée par l’Union Européenne. Tous les groupes occidentaux ont abandonné l’idée et ont fait le deuil d’une conquête du marché chinois. Cependant, le rapprochement d’un groupe chinois semble inévitable afin de bénéficier de leur avance technologique. Aujourd’hui, les Chinois construisent plus vite et moins cher que les Européens. La qualité et la sécurité des véhicules chinois se sont nettement améliorées. Les normes environnementales ne sont plus un frein à l’importation de modèles chinois sur le marché européen. Tous les facteurs qui jusqu’à présent bloquaient l’importation de véhicules chinois sont donc aujourd’hui déverrouillés. L’Union Européenne prend donc des mesures économiques en retirant les bonus écologiques aux véhicules non fabriqués sur le territoire européen. L’objectif est de rendre ces véhicules moins intéressants économiquement.
Le retard accumulé par les constructeurs automobiles européens et américains en matière de véhicule électrique par rapport aux constructeurs chinois est devenu trop important pour pouvoir être comblé par nos propres recherches et développements. Il faut donc aller chercher la technologie où elle est le mieux développée à savoir en Chine. L’enjeu de Stellantis est de faire passer ce rapprochement sans pour autant perdre en réputation en Italie et en France, où les marques Peugeot, DS ou Fiat sont fortement implantées. L’objectif principal de la guerre de l’information que ce groupe a menée est donc de devoir gagner cette lutte sur les échiquiers politique et sociétal afin de gagner par la suite sur le plan économique et de conserver sa place de leader sur le continent européen.
Le jeu difficile de Stellantis entre marché et expansionnisme chinois
Dans cette confrontation, un constructeur chinois a réussi à s’implanter en Europe et à vendre ses véhicules en contournant les nouvelles règles d’importation européennes et françaises. Aujourd’hui en septembre 2024, Leap-Motor vend des véhicules sur le vieux continent et personne ne relève cette information. L’image de marque Stellantis n’est pas entachée alors que cette politique aurait pu entraîner des conséquences désastreuses sur sa notoriété. Les Italiens restent très clairement perdus dans des polémiques sans aucune stratégie à long terme et gèrent leur communication dans un état émotionnel propre aux Latins qui les rendent hermétiques à une stratégie logique et tangible. Du côté français, c’est la même chose mais pour des raisons différentes. Le marasme médiatique autour de la politique intérieure ainsi que les Jeux olympiques ont complétement libéré Stellantis d’un risque médiatique. Ils doivent aujourd’hui rester vigilants car la politique intérieure pourrait bien se tourner vers eux au moment d’aborder des sujets sociétaux franco- français.
Cependant, il ne faut pas perdre de vue que les objectifs des Chinois n’étaient pas d’assurer la pérennité des profits du groupe Stellantis. Il est certain que le gouvernement chinois a validé aux dirigeants de Leap-Motor ce rapprochement avec Stellantis. Dans le montage de cette fusion, les Chinois ont accepté de ne prendre que 49 % des parts pour laisser croire aux Européens et aux Américains qu’ils garderaient le contrôle de cette fusion en restant minoritaires. L’égo des Occidentaux est utilisé contre eux pour servir les intérêts chinois. La technologie avancée étant chinoise, ce sont eux qui ont réellement la main et l’avantage. Dans l’idéal, il faudrait que Stellantis puisse rattraper son retard sur les véhicules électriques et permettre un transfert de savoir et de production sur le territoire européen. La réindustrialisation de nos économies occidentales doit être une priorité si nous ne voulons pas être dépendants des Chinois.
Si ce rapprochement va permettre aux Chinois de contourner les boucliers tarifaires de l’Europe, il ne doit pas leur permettre d’inonder et de prendre le contrôle du marché européen. Le marché chinois est imperméable aux entreprises occidentales, car la population est extrêmement patriote et achète chinois. Il est donc important pour nos populations de prendre en compte ce risque et de promouvoir les savoir-faire et les productions nationales et européennes.
Régis Condette (MSIE45 de l’EGE)