Tentative de déstabilisation de la néo-banque Revolut

La néo-banque Revolut, en pleine expansion en Europe, fait face à une attaque politique et médiatique dans un contexte géopolitique tendu. Décryptage de l’affrontement informationnel

L'Ascension de Revolut : Entre Succès et Défis

Fondée en 2015 au Royaume-Uni, la néo-banque Revolut a connu une ascension fulgurante[i], atteignant plusieurs millions d'utilisateurs en seulement quelques années. À titre de comparaison, le taux de croissance des banques traditionnelles demeure nettement inférieur, peinant à suivre le rythme imposé par les fintechs[1]. Toutefois, cette expansion rapide s'est accompagnée d'une série d'attaques informationnelles, exploitant divers angles de vulnérabilité sur le terrain médiatique.

Les principaux acteurs impliqués dans cette confrontation sont : 

  • Stasys Jakeliūnas, parlementaire lituanie, figure de proue des acteurs politiques en campagne contre Revolut

  • Revolut, identifié par son PDG, Nikolay Storonsky d’origine russe

  • La Banque de Lituanie, l’organisme attributeur des licences bancaires 

  • Les médias britanniques et lituaniens, relais des accusations et des débats.

Confrontation dans un contexte tendu

Dans un contexte post-Brexit, Revolut, visant le marché européen, a stratégiquement choisi de développer ses activités en Lituanie. Etat-membre de l’UE, la Lituanie a l’ambiton d’attirer les fintech en leur proposant un environnement et un cadre réglementaire qui leur est favorable[ii]. L'entreprise y a déposé une demande de licence bancaire pour opérer en Europe. Elle a obtenu une réponse favorable en décembre 2018. Cependant, cette expansion a suscité l’opposition de Stasys Jakeliūnas, parlementaire lituanien qui a indiqué que Revolut était une menace pour l’intérêt de la nation lituanienne. Pour mettre en cause la néo-banque, il a mis en avant la filiation du PDG de Revolut : Nikolay Storonsky est le fils d’un ingénieur russe travaillant pour une division de Gazprom.
Dans l’optique de révoquer la licence de la fintech, Stasys Jakeliūnas a demandé à plusieurs reprises la reprise des enquêtes concernant Revolut pour évaluer un risque d'ingérence russe. Dans la même période, des médias britanniques ont publié des articles qui relaient ce soupçon et qui mentionnent des dysfonctionnements internes à Revolut[iii].

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Figure 1: Chronologie des événements

Les Armes de l'Attaque Informationnelle

Les attaques contre Revolut ont reposé sur une stratégie narrative structurée autour de plusieurs axes :

Exploitation du contexte géopolitique

Dans un climat européen tendu vis-à-vis de la Russie, la filiation russe des fondateurs de Revolut a constitué un levier d'attaque privilégié pour les opposants. La nationalité d'origine de Nikolay Storonsky et les liens présumés avec des investisseurs russes ont été mis en avant pour instaurer un climat de suspicion.

Un narratif affirmatif et anxiogène 

Stasys Jakeliūnas a réclamé l'ouverture d'enquêtes supplémentaires sur Revolut, en présentant l'entreprise non pas comme un simple risque, mais comme une menace avérée[iv]. L'usage d'un ton affirmatif lui a permis de transformer des interrogations en présomptions lourdes, renforçant ainsi la pression politique et médiatique.

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Figure 2 : Publication à charge de Stasys Jakeliunas à l'encontre de Revolut, sur son profil facebook en 2022

Evocation de sources perçues comme incontestables

Les sources mentionnées dans ces accusations sont des entités jugées crédibles et difficilement évaluables : des employés lanceurs d'alerte, les services lituaniens de renseignement financier (VSD et FNTT). Cette stratégie a complexifié la contestation des allégations.

Amplification médiatique et encerclement cognitif sur une période courte 

Une couverture médiatique intense a été orchestrée en un laps de temps réduit (4 mois). Les médias lituaniens ont massivement relayé les accusations. 

Ils ont été rapidement suivis par les journaux britanniques, qui ont réactivé d'anciennes polémiques, notamment sur une éventuelle faille dans la détection de fraudes par Revolut. En parallèle, des critiques sur la culture d'entreprise de Revolut, qualifiée de "toxique", sont venues renforcer l'attaque sur le plan sociétal. Cette attaque est d’autant plus réussie grâce à l’exploitation de Linkedin, réseau social où la culture d’entreprise est un sujet très prisé.

 

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Figure 3: Illustration visuelle pour un article sur la culture toxique de Revolut

L’oppression est imagée par l’entassement des salariés et la séparation entre les dirigeants et les employées.
Les couleurs utilisées évoquent également les couleurs du drapeau ukrainien, rappelle l’enjeu géopolitique qui pèse sur l’entreprise.

Multiplication des angles d'attaque 

Revolut a été attaquée simultanément sur trois fronts et sur deux zones géographiques distinctes :

  • Politique : suspicions d'ingérence russe.

  • Économique : présumées failles dans les dispositifs anti-blanchiment.

  • Sociétal : critiques sur la culture d'entreprise.

  • Royaume-Uni avec des journaux de forte couverture médiatiques tels que Telegraph, BBC

  • Terrain médiatique lituanien avec des médias locaux.

 

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Figure 4 : Analyse des jeux d'acteurs selon la grille de lecture de l'EGE

Stratégie et Manipulation : Une Analyse Critique

L’exploitation de biais cognitifs

La méfiance à l’égard de la Russie a fourni à Stasys Jakeliūnas un terrain favorable pour faire écho à ses accusations.  L’exploitation ce biais cognitif de permet de renforcer l’impact des accusations et de l’emmener sur un terrain médiatique d’ampleur. Ce levier a été employé plus tard contre Huawei accusé d’espionnage à cause de ses téléphones.

La légitimité : Stasys Jakeliūnas en tant que membre du parlement est légitime dans son rôle de protecteur des intérêts de l’Etat lituanien. Cette posture renforce la crédibilité des accusations qu’il porte contre la start-up. 

La répétition 

la réitération de ses accusations renforce l’idée de danger imminant et permet d’imprimer le message dans l’esprit du public.

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Figure 5: Publication facebook d'un média lituanien qui mentionne l'acharnement de S. Jakeliûnas sur Revolut.

Le titre de la vidéo indique : Stasys Jakeliûnas refuse de lâcher Revolut

La presse britannique a permis de faire deux coups d’une pierre.

Encerclement médiatique

L’attaque simultanée sur deux zones géographiques permet aux médias de rebondir de part et d’autre et renforce l’idée de consensus. Les médias lituaniens ont eu une posture descriptive de la polémique. Les journaux britanniques à l’instar de Telegraph nourrissent un climat anxiogène autour de l’enseigne.

Le transfert du débat dans une langue internationale

Les articles en anglais ont favorisé l’élargissement de l’audience en le sortant de l’espace médiatique lituanien. Un débat sur le blog hackers news, illustre bien la sape réputationnelle de l’enseigne à une échelle internationale.

Réaction et Conséquences : Quel Impact sur Revolut ?

Cette offensive a eu engendré de la méfiance à l’égard de la Banque chez plusieurs consommateurs. 

Figure 6 : Débat sur la fiabilité de Revolut sur un blog[v]

Face à cette offensive, Revolut a adopté une posture défensive, conforme aux réflexes traditionnels des entreprises confrontées à une crise.

Un démenti institutionnel 

L'investisseur DST Global et Yuri Milner ont rejeté toute connexion avec Gazprom. Nikolay Storonsky a nié tout lien avec le Kremlin en dehors de ses attaches familiales[vi].

Une posture justificative

Storonsky a réagi par le biais de lettres ouvertes adressées au Parlement lituanien et de publications sur le blog officiel de Revolut, tentant d'expliquer son absence de liens politiques. Lors de la crise en Ukraine, Nikolay Storonsky a publié une lettre ouverte avec un ton émotionnel et personnel susceptible de susciter de l’émotion chez les lecteurs.

Une contre-attaque économique

Pour contrebalancer les accusations, Revolut a souligné les risques qu'une mauvaise publicité ferait peser sur l'attractivité économique de la Lituanie, décourageant ainsi les investisseurs et menaçant la création d'emplois locaux.

Cette campagne de déstabilisation bien qu’étant ficelé a eu peu d’écho et d’impacts économique sur la néo-banque. La Banque de Lituanie a refusé d’entreprendre une troisième investigation sur la fiabilité géopolitique de Revolut. L’institution a considéré que l’acharnement était injustifié, mettant ainsi un terme à la polémique politique. Cependant, l'attaque a eu un impact marquant sur son PDG, qui, en 2022, a pris la décision symbolique d'abandonner sa nationalité russe[vii], en vue de dissiper toute ambiguïté et d'affirmer son indépendance vis-à-vis du contexte politique russe.

La néo-banque doit ce revirement positif à :

  • L’ambition de la Lituanie à se positionner comme un environnement favorable à la fintech. Le refus de la licence à une étoile filante de la fintech aurait renvoyé un signal négative aux autres start-ups désireuses de s’y installer.

  • À son image de marque positive auprès de ses clients lituaniens qui y voient une alternative aux banques scandinaves traditionnelles.

  • Bien que les motivations réelles des parlementaires ne soient pas publiques l’opinion publique lituanienne envisage que l’attaque informationnelle sont liées au lobbying de banques traditionnelles scandinaves[viii] [ix] et à des ambitions politiques à l’approche des élections législatives européennes.

Cette guerre illustre parfaitement la manière dont un narratif politique bien construit, combiné à une stratégie médiatique efficace, peut fragiliser temporairement la réputation d'un acteur économique peu préparé, même en l'absence de preuves tangibles.

Ornella AVEKO (MSIE45 de l’EGE)

Sources 

[i] La fintech est par définition la fusion des mots "finance" et "technologie". Une fintech est donc une entreprise mettant à profit les avancées technologiques et numériques pour les appliquer aux secteurs bancaire ou financier. Source : infonet