Tesla au cœur d’une lutte informationnelle en Allemagne

Dans un marché automobile anéanti par la crise, le constructeur de véhicules électriques américain Tesla qui a dépassé en 2020 les 500 milliards de dollars de valorisation boursière a fait le choix de construire des usines de production en Asie et en Europe au cœur même de ses marchés cibles dans sa stratégie de conquête de marchés à l’international. Mais il se heurte à une opposition d'origine sociétale et sociale en Allemagne à propos du projet de construction d'une usine.

En termes de mémoire opérationnelle, ce cas d'attaque informationnelle nous rappelle un cas d'école : l'échec de l'implantation du groupe Walmart en Allemagne à cause d'un conflit de nature sociale  qui avait été mal mesuré par le management américain, trop centré sur une grille de lecture monoculturelle "à l'américaine".  Cet échec eut des conséquences importantes car il mit fin au plan d'implantation de Walmart en Europe.

La construction de la nouvelle « Gigafactory » du constructeur de véhicules électriques Tesla

Ainsi, après la construction des usines géantes de Nevada, New York et Shanghai en Chine, son dirigeant charismatique Elon Musk lance la construction à Berlin de sa nouvelle gigafactory en Europe, devenue le premier marché mondial du véhicule électrique.

Forte mobilisation des groupes écologistes et d'initiative citoyenne pour stopper la construction de l'usine

Tesla vise une production annuelle de 500 000 véhicules électriques dans son usine près de Berlin qui doit ouvrir courant l’été 2021.La construction de la nouvelle gigafactory d’Elon Musk en Allemagne met la pression sur les constructeurs automobiles traditionnels allemands comme Daimler, BMW et Volkswagen tout simplement parce qu’ils sont clairement à la traîne dans cette course à l’électrique.

Depuis le 23 septembre 2019, des citoyens en colère et des militants écologistes de la NABU, une des plus importantes ONG écologistes du pays et du collectif écologiste Grüne Liga font face à la direction de Tesla. Leur objectif : stopper la construction de l’usine. Ces associations écologistes ont ainsi déposé plainte en référé contre l’abattage prévu de 82,8 hectares de forêt pour l’agrandissement du chantier de l’usine de voitures électriques.

On peut légitimement s’interroger au sujet des constructeurs automobiles allemands, certainement jaloux de leur suprématie sur le marché national et pris de court par la décision d’Elon Musk, le PDG du groupe américain, de les défier sur leurs terres. Les deux associations écologistes ont estimé que cette opération portait atteinte à la législation environnementale allemande, en détruisant l’habitat d’espèces protégées de lézards et de serpents.

Les attaques des associations écologistes se succèdent et mettent en avant les Inquiétudes sur l’impact de l’usine au niveau de l’équilibre écologique et les ressources en eau de la zone forestière dans une région sujette à la sécheresse. Tesla est ensuite nouvellement attaquée sur le fait que le site de 300 hectares abrite une population de chauves-souris menacée d’extinction car en hibernation de janvier à mars, période à l’issue de laquelle elles se reproduisent … Les associations écologistes mettent en avant une solution, celle de déplacer les chauve-souris mais il faut pour cela que Tesla obtienne un permis spécial. Tesla est donc freiné dans la construction de l’usine ne disposant toujours pas de permis de construire définitif car soumis à des procédures évaluant notamment l'impact environnemental du projet.

Elon Musk répond directement aux attaques des associations écologistes via les réseaux sociaux

Elon Musk compte plus de 40 millions d’abonnés Twitter. Il assure lui -même sa communication via le réseau social en répondant aux différentes attaques des écologistes. Il met en avant que la Gigafactory de Berlin assemblera des véhicules propres en utilisant de l’énergie propre et que l’impact net sur l’environnement sera donc extrêmement positif tout en minimisant également l'impact de la déforestation. Selon lui, les arbres abattus pour la construction de l’usine ne sont pas des arbres naturels puisqu’ils ont été plantés pour fabriquer du carton et seulement une toute petite portion sera rasée pour la Gigafactory.

D’après lui, les technologies développées par Tesla contribueront à sauver le climat, qui « n’attend pas ». Face aux attaques des associations écologistes au sujet de la déforestation et protection des animaux, Tesla s’est engagée à replanter 3 fois plus d’arbres que ceux qui ont été coupés. Pour protéger les animaux, le constructeur a fait profil bas en faisant la promesse de déplacer les colonies de reptiles et de chauves-souris qui seront relocalisées à l’aide de pelles et d’excavateurs. L’entreprise a également promis d'accrocher 400 nichoirs pour les oiseaux.

Face à la polémique au sujet des ressources en eau sur le site de l’usine, Elon Musk s’est efforcé de rassurer et mettant en avant dans sa communication toujours sur Twitter que Tesla n’utilisera pas cette quantité nette d’eau de façon quotidienne. Selon lui, il s’agira « d’un éventuel pic de consommation, peu fréquent ». Devant les demandes insistantes des militants, Tesla a finalement accepté de réduire la consommation d'eau de sa nouvelle usine de plus d'un tiers.

Sur le site Twitter GigaBerlin-Brandenburg, une vidéo filmée par un drone est proposée dans un décor enneigé « 25 décembre 2020 Survol avec le Père Noël » pour montrer l’avancement des travaux de l’usine. Depuis début Janvier, il est possible de suivre en vidéo l’avancement des travaux au jour le jour…

En complément de la communication d’Elon Musk sur les réseaux sociaux, un site web a été crée pour communiquer sur l’avancement des travaux de l’usine. Ainsi, Sur le site web TM - Tesla Mag, deux images satellites et des vidéos montrent l’évolution et l’avancement de la construction de l’usine Gigafactory Berlin.

Le syndicat IG Metall contre Tesla 

IG Metall comptant plus de deux millions de membres a beaucoup de poids auprès de tous les constructeurs automobiles allemands. En parallèle de la construction de l’usine, Tesla recrute massivement. Tesla a notamment débauché le directeur de l’usine berlinoise de Daimler pour les besoins de son usine. Un « transfert » qui n’est pas du tout du goût du syndicat allemand des métallurgistes IG Metall qui a organisé  une manifestation en signe de protestation. Tesla a également été accusé par IG Metall d'enfreindre le droit du travail au sujet de la réglementation collective des salaires et des conditions de travail.

Tesla refuse de signer les conventions collectives sur les salaires et fait valoir que les futurs employés de Tesla seraient mieux lotis sans syndicat. Tesla communique également sur le fait que ses employés  se verront offrir des options d'achat d'actions Tesla, ce qui fera d'eux des copropriétaires de l'entreprise. Si Tesla parvient à satisfaire ses employés, ce qui est fort probable… elle risque de mettre en péril les objectifs d'IG Metall et lui fera ainsi perdre sa crédibilité auprès de ses adhérents.

Suspension temporaire des travaux de l'usine 

La justice allemande a finalement donné raison aux associations écologistes qui estimaient que la construction de l’usine portait atteinte à la législation environnementale allemande, en détruisant l’habitat d’espèces protégées de lézards et de serpents. Les autorités allemandes ont donc suspendu temporairement une partie du chantier de l’usine tant que le constructeur américain n’aura pas versé une caution de 100 millions d’euros garantie demandée par l’Etat du Brandebourg en échange d’une procédure d’autorisation accélérée des travaux. Tesla, pour aller plus vite, travaillait jusqu’alors avec des autorisations provisoires des autorités, et prenait le risque de poursuivre la construction.

La construction de l’usine prend donc du retard et cela pourrait repousser le début de la production des véhicules électriques Tesla à l'année prochaine voire au-delà. La société avait pour objectif de produire ses véhicules électriques localement en Allemagne d'ici juillet 2021. C’est une victoire pour les groupes écologistes en Allemagne et surtout pour les constructeurs automobiles allemands de la région, qui, pendant ce temps, se préparent au combat après un démarrage tardif… pour contrer leur concurrent américain, avec pour enjeu la domination du marché des voitures électriques. Tesla va devoir rapidement faire face à une réelle concurrence, avec la montée en puissance de jeunes pousses, comme Lucid ou Rivian et les constructeurs automobiles traditionnels qui ont récemment accéléré leurs investissements sur le segment des véhicules électriques.

 

Jérôme Volclair
Auditeur de la 35ème promotion MSIE