Une nécessaire remise en question française sur l’emploi des drones militaires

DHARAN, Arabie Saoudite, 17 janvier 1991, un F117 furtif s’élance marquant le début de la première guerre du golfe et d’une redéfinition de l’emploi de l’arme aérienne. Outre la furtivité, cet avion préfigurait une autre qualité qui s’est imposée à travers l’usage des drones : la capacité à observer et agir de façon prolongée sans être détecté.

Une révolution copernicienne

Jusqu’à présent, les satellites d’observation, placés en orbite autour de la Terre, observaient silencieusement mais de façon intermittente. La coordination de plusieurs d’entre eux était nécessaire pour assurer une surveillance permanente. Les ballons d’observation remis en lumière avec la Chine récemment et la destruction de ceux survolant les USA, sont une autre approche de l’observation depuis la haute altitude entre 20 et 30 km. Le couple avion radar type AWACS et radars au sol assurent le contrôle de l’espace aérien du champ de bataille. Enfin, les drones MALE (Moyenne altitude longue endurance) apportent un outil complémentaire dans l’approche tactique de la supériorité et de la surveillance aérienne dont l’importance s’est accrue de façon décisive lors des conflits du Haut Karabakh et en Ukraine.

Ces deux derniers conflits ont amené un changement de paradigme dans la conception des drones hautement sophistiqués et couteux vers une plateforme plus rustique à bas coût et de ce fait pose une nouvelle équation industrielle pour la maitrise souveraine de cette technologie par la France.

Bien qu’experte dans le domaine aéronautique, force est de constater que la France a raté le virage des drones militaires comme le confirme le rapport annuel de la Cour des comptes publié en février 2020 faisant le constat d’une « rupture stratégique mal conduite » :

. Militaires en retard d’une guerre technologique.

. DGA sans vision stratégique.

. Industriels sans partenariats.

.  Pouvoir publics impuissants à favoriser une filière industrielle.

Le nécessaire changement de cap

Par leur polyvalence, les drones permettent de répondre à de nombreuses configurations. L’achat en urgence des drones Reaper en 2013 pour combler l’incapacité à surveiller une zone grande comme l’Europe lors de l’intervention au Mali avait démontré l’impossibilité de mener des missions sans drone désormais. L’objectif désormais est de remobiliser le complexe militaro-industriel français pour rééquiper les armées des prochains modèles de drones et permettre à la France de rattraper son retard technologique.

Parmi les drones militaires les plus avancés du moment, on peut identifier :

. Le MQ-9 Reaper (USA) surveillance longue portée et haute altitude.

. Tai Aksungur (Turquie) longues missions de surveillance.

. Wing Loong II (Chine) surveillance et frappes de précision.

. EADS Barracuda (Allemagne-Espagne).

. Avenger (USA) furtif et 3 tonnes d’armement.

. Okhnotnik B Sukhoi S70 (Russie) prototype en 2025.

. Neuron Dassault (France) coopération européenne.

. XQ-58 Valkyrie (USA) quasi-autonome.

Repenser l’approche industrielle d’un modèle haute technologie et d’un modèle à bas coût

Aujourd’hui, plus de 80 pays sont détenteurs de drones militaires armés ou destinés à la surveillance.

Le marché des drones est en pleine expansion, garce à la forte demande militaire.

Avec une signature radar plus faible que celle d’un avion, le coût perte-efficacité est d’avantage favorable au drone sans compter l’absence de perte humaine du côté des opérateurs.

Longtemps dominé par les USA et Israël, le marché a vu apparaitre de nouveaux acteurs comme la Turquie et l’Iran qui ont profité de l’adaptation à faible coût des drones civils « grand public » pour un usage militaire ce qui dès lors peut être vu comme un équipement consommable et redéfinissant par la même son emploi dans les conflits.

Comme aime à le rappeler le président Turc Erdogan, l’emploi systématique de drones armés peut changer le cours d’un conflit. Exemple en 2020, avec les drones Bayraktar TB2 dans le conflit du Haut-Karabagh et la neutralisation de plus de deux cents chars et blindés arméniens.

En septembre 2022, l’ancien chef d’état-major de l’armée de l’Air, le général Mercier considérait que les missions tactiques d’appui, de reconnaissance et d’attaque au sol, moins stratégiques selon le niveau de maîtrise des espaces, pourront s’accommoder de plateformes rustiques.

Suivant cela, l’approche industrielle des drones doit être repensée pour intégrer, en parallèle des programmes longs et couteux, des drones fabriqués à bas coût permettant à des entreprises plus petites du complexe militaire français d’apporter leur souplesse et leur innovation.

En suivant les recommandations des députés Fabien Gouttefarde et Thierry Berthier, il nous faut impérativement réduire la durée des cycles de programmes de développement des équipements militaires de moins de 24 mois et à coût unitaire réduit (moins de cinq millions d’euros l’unité) et disposer d’escadrilles ou essaims de drones aériens en configuration munitions rodeuses et d’essaims anti-drones.

Cette nouvelle approche est une réponse aux industriels et aux politiques européennes menées avec le projet EURODRONE qui devrait équiper les armées en 2029, ou le projet NEURON conçu par Dassault, qui a atteint le stade du démonstrateur sans aller plus loin.

La mobilisation des industriels historiques de la BITD doit s’accompagner de nouveaux acteurs, souvent issus du monde civil, pour développer des drones complémentaires aux drones issus de programmes plus lourds qui tendent à ressembler à un avion sans pilote.

Parmi les nouveaux acteurs, le ministère des armées a signé un contrat d'achat de plusieurs centaines de nano et micro-drones civils avec le français Flying Eye. En janvier 2021, les armées ont également commandé au fabricant français Parrot des centaines de micro-drones.

Fort de ce soutien institutionnel, Parrot a été sélectionné par l'armée américaine pour développer la nouvelle génération d'engins de reconnaissance dans le cadre d’un programme de 11 millions de dollars.

Identifier les innovations dont la limite ne semble qu’être l’imagination de leurs concepteurs

Exemples des innovations révélées lors d’un évènement tenu dans l’Etat de Virginie en 2022 :

. Le drone Hunter de Fortem Technologies détecte les drones ennemis et les emprisonne en plein vol dans un filet.

. La Darpa, l'agence de recherche du Pentagone, a mis au point un spray qui emprisonne le drone avec des fils qui font penser à ceux qu'utilise le superhéros de comics Spiderman pour capturer ses ennemis.

. L’israélien D-Fend a développé un programme de prise de contrôle pour forcer l’atterrissage du drone cible atterrir en toute sécurité.

Ce dispositif est désormais utilisé par Tsahal, mais aussi pour protéger les aéroports, les sites sensibles, les sommets du G7 et le pape François lors des messes en plein air

En 2021, à Shanghai, le record du nombre de drones volants synchronisés a été battu avec 3281 drones. Cette performance, pose la question de l’autonomisation de la décision de ces équipements une fois armés.

Elargir la BITD aux nouveaux acteurs industriels des drones à bas coût

De nombreuses entreprises françaises évoluent dans l’industrie des drones civils et professionnels.

1- Dans le domaine militaire nous trouvons les groupes Thalès ou Sagem (Safran) qui va équiper l’armée de terre avec son drone tactique baptisé Patroller.

2- Dans le domaine civil à usages professionnels (agriculture, industrie, surveillance) et loisirs, la société Parrot domine.

3- D’autres structures ont un fort potentiel de croissance :

. Drone Volt, qui a dégagé un chiffre d’affaires de 3,5 millions d’euros en 2015, en croissance de 117% sur un an.

. Le groupe Delta Dronei dispose déjà de filiales en Afrique du Sud, aux États-Unis et au Maroc et est spécialisé dans la surveillance et la logistique.

. La PME DELAIR développe des drones pour les industriels.

. La PM bretonne RTSYS développe des drones sous-marins communicants

Faciliter l’accès au financement des acteurs industriels

Pour que ces entreprises puissent trouver les débouchés à l’étranger et développer le savoir-faire de la France dans l’industrie des drones, les acteurs financiers doivent être mobilisés.

Euronext qui regroupe 27 places financières, occupe un rôle central pour participer au financement de l’innovation et de la croissance des entreprises de défense en sensibilisant les acteurs financiers aux problèmes de financement rencontrés par les industriels de la défense.

Les marchés financiers sont plus propices aux risques que les fonds d’investissements et être coté en bourse assure une visibilité publique et un effet médiatique important.

L’AID (Agence Innovation Défense) est un nouvel acteur dans l’organisation institutionnelle de la défense et promeut une amélioration fonctionnelle du ministère des armées afin de relever le défi de l’autonomie stratégique de la France. En cela, l’AID participe à l’élaboration d’une politique d’innovation soutenue par les entreprises (startup comprises) + développement d’expertises technologiques en IA / recherche quantique / Cyber / NRJ / fonds marins. L’AID soutient l’innovation et la DGA soutient l’exportation. Le soutien financier passe par l’accès aux marchés financiers des PME (4000) constituant le tissu industriel sous-traitant de l’industrie d’armement française

Dans cet objectif il s’agit de confirmer le rôle de l’Etat stratège :

. Mise en place d’un fonds d’investissement.

. French Tech souverain label.

. Plan 2030 pour développer les activités DUAL des entreprises.

. Promouvoir les initiatives des défenses angels (financement privé).

. Solliciter Bpifrance pour le financement des startups via le Fonds Innovation Défense.

Augmenter l’éligibilité des dossiers de financement

Avec la mise en place des critères ESG (environnement ; social ; gouvernance), les entreprises françaises font actuellement et encore face à des difficultés de financement auprès des banques françaises et courent le risque d’une exclusion sectorielle.

Du fait que les Fonds ESG ne s’appliquent qu’aux entreprises réalisant moins de 10% de CA dans le secteur de la défense :

. L’Etat via le trésor public doit donc apporter sa garantie dans le financement dans le respect des traités et l’interdiction des armes controversées.

. Conséquence, il est recommandé de mettre en place dans les banques un référent défense pour s’assurer de la conformité des projets avec les critères d’évaluation banque-Etat

L’industrie de défense a des singularités qui doivent être prises en en compte par les textes ce qui implique une pédagogie au niveau du parlement et faire qu’investir dans la défense doit devenir un geste citoyen, durable et démocratique.

Loik Jamon

auditeur de la 40è promotion de la MSIE de l’EGE