Ville de Paris : mise en place d'un encerclement cognitif autour de la limitation de vitesse à 30km/h

Née en Europe au début des années 90, l’idée d’une généralisation de la limitation de la vitesse à 30 km/h en zone urbaine s’est largement diffusée depuis. Le 8 juillet 2021, la Ville de Paris, comme un symbole pour la France, signait à son tour un arrêté limitant la vitesse à 30 km/h sur la quasi-totalité de ses rues.

Cet article ne vise pas à discuter le bien fondé, ou non, des arguments avancés en faveur de la limitation à 30 km/h (ce qui a déjà fait l’objet de nombreux articles disponibles dans la presse) mais bien à éclairer le lecteur sur la mise en place progressive d’un encerclement cognitif par la Ville de Paris et diverses associations à ce sujet.

Une stratégie établie dès 2014

Après avoir précisé que “les gains apportés par la mise en place de zones 30 ne sont pas clairement évalués”, une étude de mars 2014, co-signée par la Ville de Paris, posait la question des gains de la limitation de vitesse à 30 km/h sur les axes structurants en milieu urbain. 

Le livrable 1 mettait ainsi en avant plusieurs exemples de villes passées aux 30 km/h tout en présentant la chronologie établie pour chacun des cas. Ce document pointait entre autre les raisons de l’échec du référendum sur la limitation à 30 kmh à Strasbourg (67) pour lequel 55 % des personnes consultées se sont prononcées contre la proposition. Selon le chercheur Frédéric Héran, cet échec proviendrait de l’envoie de ce référendum à toutes les personnes inscrites sur les listes électorales accompagné d’un manque d’informations et d’études sur les impacts positifs d’une extension des zones 30.

Dans sa conclusion, le rapport préconise ainsi que “la mise en place de ces zones 30 implique nécessairement des aménagements de voiries (marquage au sol, chicanes, rétrécissement des voies) qui participent à transformer le rapport des habitants à la ville. Bien que l’adhésion à ce type de projet ne soit pas un prérequis à leur instauration, elle peut cependant le faciliter et le renforcer. La sensibilisation peut alors se faire via différents supports et médias : site internet, revues spécialisées, flyers… Le but de ces campagnes n’est pas de créer une acceptabilité sur le long terme mais bien un changement de perception direct.”

Dès mars 2014, la Ville de Paris envisage le passage aux 30 km/h mais comprend que la transition doit se faire en douceur. Les Parisiens et Franciliens doivent comprendre par eux-mêmes les bienfaits. La mise en place d’un encerclement cognitif va alors se faire, et des associations vont prendre le relais pour en faciliter la mise en place et la légitimité.

Le relais d’associations très offensives

L’association Rue de l’avenir

Remettant en cause le fonctionnement des villes et la place centrale de l’automobile dans un système jugé décadent, l’association Rue de l’avenir a développé le concept de “Ville à Vivre“. Une synthèse de ce concept développe les thèmes régulièrement repris par l’association pour justifier le passage aux 30 km/h : “La ville ne respecte plus ses citoyens qui sont exposés à l’insécurité, au bruit, aux pollutions”. L’association poursuit sa synthèse avec un inventaire à la Prévert des conséquences de l’excès de l’automobile et propose de « réduire le nombre de véhicules motorisés, leur place dans l’espace public et leur vitesse, à ce qui est strictement nécessaire, c’est à dire fonctionnellement efficace et socialement utile » tout en encourageant le développement d’alternatives à l’automobile.

Particulièrement offensive, l’association explique aux élus, dans un document issu de sa campagne de 2013, la stratégie à adopter par les communes :

“Afin que le projet de «zone 30» soit efficace, il est important de mener à bien un processus de sensibilisation et de communication. Il faut tout d’abord sensibiliser les populations aux bienfaits d’une zone 30, tant du point de vue de la sécurité que du bien-être (réduction des nuisances sonores, convivialité, etc.). Il s’agit d’informer pour lutter contre les idées reçues, trop souvent associées à la limitation de la vitesse. Mais il faut également communiquer tout au long du projet afin d’accompagner le changement et impliquer réellement les usagers. De cette façon, on pourra modifier peu à peu les opinions concernant la vitesse et changer durablement les comportements. Il sera utile, au préalable, de bien identifier les différents types d’usagers pour mettre en place un processus de concertation le plus représentatif possible. Cela permettra ainsi d’être plus efficace en adaptant la communication à des publics ciblés (ex: les parents d’élèves, les cyclistes, les enfants, les PMR, les automobilistes…”

Comme explicité supra, cette argumentation correspond à la stratégie qui sera reprise un an plus tard par la Ville de Paris et que la capitale va s’attacher à suivre jusqu’à la signature de l’arrêté en 2021. Le développement du Vélib’, la montée en puissance des pistes cyclables, les aménagements urbains initiés de longue date n’ont ainsi été que les précurseurs, la condition sine qua non à la mise en place une alternative crédible à la voiture et permettre ainsi le passage à 30 km/h. 

L’association Rue de l’avenir a ainsi joué un rôle central dans l’établissement de la stratégie de la Ville de Paris qui contribue activement au budget de l’association. Les recettes de Rue de l’avenir proviennent principalement des subventions (environ 50.000€ / an) mais également des cotisations (environ 7.000€ / an) et des prestations de services. Parmi les organismes qui contribuent aux subventions, on retrouve certains ministères (intérieur, cohésion des territoires, éducation) mais il est intéressant de noter que la Ville de Paris est la seule ville et la seule organisation non étatique qui finance  l’association Rue de l’avenir. Les contributions de la Ville de Paris ont augmenté ces dernières en passant de 7.500€ en 2018 à 9.000€ en 2019 et 2020.

La question de la limitation de la vitesse à 30km/h n’est qu’un élément parmi d’autres pour l’association Rue de l’avenir qui défend une idée plus large de la « Ville à vivre ». C’est pourquoi, afin de concentrer ses efforts, la promotion des 30 km/h passe notamment par le collectif “Ville 30”, véritable fer de lance de nombreuses associations, dans ce combat informationnel contre les 30 km/h.

Le Collectif “Ville 30”

Lancée en 2010 par Rue de l’avenir, la démarche “Ville 30” est portée depuis 2011 par un collectif d’associations (Rue de l’avenir, FUB, les droits du piéton, Fnaut, Peep, Club des villes et territoires cyclables…). Ce mouvement s’est notamment traduit par la signature d’un manifeste pour une ville à 30 km/h par ces associations. Une ville est ainsi dite “ville 30” lorsque les zones apaisées (zones 30, zone de rencontre et aire piétonne) couvrent la majeure partie de l’espace public.

Comme cela est explicitement écrit sur son site internet, “Ville30.org a pour objectif  de diffuser le concept de ville 30 au travers d’argumentaires et de la capitalisation des expériences réalisées en France et au-delà.”

Le développement d’argumentaires et de diffusion :

Les arguments décrits sont les mêmes que ceux présentés par Rue de l’avenir (sécurité, nuisances sonores, pollution…) mais le collectif s’attache particulièrement à diffuser l’information et à créer cet encerclement cognitif. Le collectif propose en outre des solutions concrètes pour aménager les villes et accompagner ainsi le passage à la ville 30. Par exemple, des aménagements légers permettent notamment de réaliser facilement des chicanes et donc de commencer une transition en douceur avec peu de moyens financiers.

Le collectif Ville 30 a ainsi développé un arsenal complet d’armes informationnelles qu’il met à disposition de tous, mais surtout des élus, sur son site internet : dépliant Ville 30, plaquette Ville 30, brochure Ville 30 ça marche, autocollant “Ville à vivre” ainsi qu’un dossier Ville 30. De nombreux supports possibles sont mis à disposition afin de toucher le public le plus large possible.

Le dossier regroupe l’argumentaire de plusieurs associations (dont le document issu de la campagne de 2013 de l’association Rue de l’avenir) et vise à la fois à prendre la défense de la limitation à 30 kmh et à attaquer les dérives des 50 km/h. Il présente également une liste des villes “démarches Ville 30” réalisées avec une liste nominative d’individus, leur fonction et parfois leur mail, afin d’établir un réseau pouvant faciliter la réalisation d’un projet Ville 30.

La capitalisation d’expériences :

Ville 30 assure un suivi du développement des villes qui sont devenues « ville 30 ». Selon Patrice Nogues, créateur du site ville30.org, “environ 250 villes en France sont passées à 30 km/h sur la majorité de leurs axes et environ 15 % de la population vit aujourd'hui dans une ville où l'on ne peut pas dépasser cette vitesse” (source). 

L'association "Ville 30" présente le nombre de villes qui ont adopté la généralisation des 30 km/h ainsi que la part cumulée de la population qui réside au sein de ces villes. L'analyse des villes présentes permet d'établir que ce mouvement est d’ampleur nationale, avec un engagement davantage prononcé pour les régions Bretagne et Île de France. "Ville 30" incite les villes à s’engager à suivre la cadence. Les premières villes à avoir franchi le cap sont jugées comme des bons élèves, précurseurs et innovants, affirmant ainsi de façon péremptoire que le passage aux 30 kmh est une avancée certaine. Les communes qui ne se sont pas engagées dans cette dynamique ne peuvent que culpabiliser et doivent se dépêcher sous peine de faire partie des retardataires pour qui la sécurité routière, l’écologie et le bien-être social n’importe pas ou peu.

Soucieuse de faire bonne figure et souhaitant figurer parmi les premiers à être engagés dans cette démarche, c’est dans ce contexte que la Ville de Paris a décidé de franchir le cap et de s’engager dans la démarche Ville 30.

Dernière pierre à l’édifice, la Ville de Paris n’a pas voulu commettre la même erreur que Strasbourg  : pour ne pas prendre de risque, l’enquête publique obligatoire n’a pas fait l’objet d’un référendum avec un envoi nominatif à l’ensemble des individus inscrits sur les listes électorales, (comme à Strasbourg), mais d’une simple consultation publique disponible en ligne pendant un mois et dont le rapport d’analyse rapportera une participation de 5734 avis. Dans le détail, sur ces 5734 avis, 4517 individus ont indiqué leur commune de résidence, dont 2845 parisiens. Parmi ces 2845 habitants, 1679 ont exprimé un avis plutôt favorable à la limitation de vitesse (soit 59 % des Parisiens). C’est sur le base de ces chiffres, que la Ville de Paris affiche  en gras et rouge sur son site : « 59 % des Parisiens favorables à la diminution de la vitesse ». Alors que seulement 1679 parisiens se sont exprimés en faveur de cette mesure, le chiffre de 59 % de parisiens favorables à cette mesure a été repris dans de nombreux médias :  Le Figaro, 20 minutes, Europe 1…

Une stratégie bien rodée

En conclusion, au vue de la faible réaction constatée à la suite de la prise de l'arrêté limitant la vitesse à 30 km/h, la stratégie établie en 2014 par la Ville de Paris semble avoir fonctionné. Les aménagements réalisés par la commune et les attaques informationnelles des associations ont permis la mise en place d'un encerclement cognitif qui a grandement contribué au changement de perception à ce sujet.

Louis Santos
Auditeur de la promotion MSIE