The Walt Disney Company et la France : domination culturelle et convergence d’intérêts

L’histoire aurait pu commencer par « il était une fois... », comme pour toutes les adaptations cinématographiques réalisées par The Walt Disney Company Le 24 mars 1987, une convergence d’intérêts permet à la firme mondiale de divertissement et la France de signer, (Legifrance, 1987), une convention pour la création et l’exploitation d’un parc de loisir, aujourd’hui Disneyland Paris et un partenariat pour le développement foncier de 2000 hectares de terres fertiles à Marne-la-Vallée, en Seine-et-Marne. Les agriculteurs sont expropriés et dédommagés. Peu d’informations subsistent sur ce sujet ; il y a comme une omerta de la part de l’entreprise américaine et des instances publiques. (Lerolle, agriculteurs et Disnyeland Paris, 2021)

Sans arme, la firme impose ses exigences, ses valeurs, sa vision du divertissement et son modèle financier. Existe-t-il pour autant des perdants ? Car pour la France, c’est, aujourd’hui encore, une opportunité et une réussite économique.

L’art du Soft Power de la Walt Disney Company

Le Soft power est un principe repris et développé par Joseph Nye. (Nye, 2004). Il peut se traduire par la capacité de séduire, de persuader les autres sans avoir à user de la force, d’un État, d’une organisation ou d’une entreprise. L’État s’appuie sur son image, sa réputation, son prestige économique, social, culturel, militaire, scientifique. Ce précepte, The Walt Disney Compagny en a fait le sien dans le domaine de la culture économique.

Le bonheur est inscrit dans son ADN. Il se décline en quatre engagements  (DisneylandParis) : l’action citoyenne (« offrir soutien, bonheur et inspiration aux enfants et aux familles du monde entier), l’environnement (tourisme responsable, l’expérience Cast Member (sécurité au travail, respect et convivialité), un mode de vie équilibré.  Son bras armé, sa guerre de l’information se réalise de manière indirecte à travers ses films, sa marque, le marchandising et ses parcs d’attraction. L’entreprise déploie ses valeurs rassurantes, dans lesquelles le plus grand nombre peut se reconnaitre. (Gallerand, 2018). L’objectif ? la domination culturelle et financière.

Cela se retrouve dans ce que doit être un parc Disney. L’ensemble répond à une organisation stricte, que ce soit dans les codes vestimentaires des « Cast Menber » ou les attractions. Autre exemple, les personnages déguisés, avec lesquels on peut se prendre en photo, n’ont pas le droit de parler : le rêve doit continuer. Le paysage est refaçonné pour produire artificiellement une nature qui prend place parmi les attractions. (Alphandéry, 1986). Organisé comme dans un casino, le parcours du visiteur ne doit pas être perturbé par le monde réel extérieur. Tout au plus, les règles s’adaptent aux habitudes locales. Depuis 1993, en France, la consommation de vin est autorisée dans le parc Disneyland Paris (FR3, 1993), alors qu’elle reste interdite dans les autres parcs du groupe, car contraire aux valeurs familiales. Mais la ligne est tracée.

Une implantation réussie.

Pour conquérir le marché européen, Michael Eisner CEO de The Walt Disney Company choisit la France et obtient les avantages souhaités.    A court terme, il s’agit de réduction de la TVA, prêts à faible taux, des infrastructures facilitant le transport des visiteurs (prolongement du RER, gare de TGV, une sortie avant le péage de l’autoroute A4) ; de la création d’un pôle touristique. (deux parcs, six hôtels, un golf, un centre de divertissement). Sur les 2000 hectares achetés, la société développera aussi l’espace urbain avec l’Établissement public d’aménagement (EPAFRANCE) : construction de logements, d’espaces industriels et commerciaux selon ses normes architecturales prédéfinies, (Alphandéry, 1986) ; édification d’un centre commercial (le Val d’Europe) et d’un Village Nature (avec Pierre et vacances-Center parc).

En 2017, suite à de nombreuses difficultés financières, La maison mère rachète sa filiale européenne. En 2018, Elle annonce un nouveau plan validé par l’état : deux milliard de dollars seront consacrés à l’extension du parc Disneyland Paris, autour de 3 nouvelles thématiques. (Girometti & Rafalski, 2018). Dernier avantage et non des moindres, en cas de litige, la justice française ne s’appliquera pas. Une cour internationale sera nommée.

En 2019, avant l’épidémie de la Covid et la crise économique qu’elle engendre, le chiffre d’affaires de Disneyland Paris était de 1,77 milliard d’euro (Société.com, 2020). En 2020, celui du groupe s’élevait à  58 milliards d’euros en 2020. (The Walt Disney Company , Nov.2020) Tout cela va bien au-delà du simple développement de centre de loisirs.

Un partenariat opportun

La France n’a pas été instrumentalisée. Elle n’a subi pas cette domination culturelle et financière. Le projet Euro Disney Land est une opportunité pour son objectif de développement de l’Est parisien.

En 1965, les constats sont posés. L’Ile-de-France devra faire face à plusieurs défis. L’évolution démographique : la population de la région parisienne doit croitre de 8 à 14 millions à l’horizon de l’an 2000 ; les besoins d’emplois tertiaire seront supérieurs aux emplois industriels. La demande d’activités de loisirs se développera du fait de l’augmentation des temps libres…Il faut donc créer des villes nouvelles avec leurs propres emplois tertiaires, leur cadre social et festif, développer l’infrastructure et attirer les entreprises (Delouvrier, 1965).

Le choc pétrolier de 1974 et la crise économique qui s’en suit, ralentissent cette dynamique notamment pour l’est parisien, essentiellement composé d’exploitations agricoles. La courbe du chômage stagne à un niveau élevé à près de 10% de la population active. Enfin, La région reste peu attractive pour les entreprises du CAC 40. Paris reste Paris. (Effosse, 2004). En compétition avec l’Espagne, la France remporte ce projet stratégique, déclaré d’intérêt général pour l’aménagement de ce secteur de Marne-la-Vallée. Via EPAFrance, les terres identifiées sont réquisitionnées, viabilisées et revendues au Groupe Disney.

Pour la France, seul le projet et l’intérêt national priment, même si cela implique de l’apport monétaire d’une société étrangère, avec laquelle nous partageons des valeurs consensuelles. Est-ce une nouvelle forme de New Deal culturelle et économique ?

 ès 2008, soit 20 ans après l’ouverture des parcs, l’inspection générale des finances indique dans son rapport que « ce partenariat a porté ses fruits » ; …c’est un réel succès économique ». (Laffitte, Santel, & Wellhoff, 2008). Avant la crise de la Covid, le bilan positif est certain. 45 000 emplois directs ou indirect depuis 1992 sont créés, (Préfécture et service de l'état en région, 2019) faisant du groupe international le 1er employeur de la région  (SETEC, 2017). En moyen, 15 millions de visiteurs ont visité les parcs, dont 50% de visiteurs étrangers ; le plus grand centre commercial d’Europe a été développé avec autour le développement d’une ville de plus de 30 000 habitants.

C’est également 68 milliards d’euros de valeur ajoutée depuis son ouverture et une contribution de 6.2% aux recettes touristiques de la France. (SETEC, 2017). L’impact est important pour le tourisme francilien : Paris et Disneyland Paris sont en synergie, l’un et l’autre profitant de leur attrait mutuel.  Mais c’est un succès fragile. Seul employeur d’envergure, Marne-La-Vallée est dépendante. La fermeture des parcs, même ponctuelle pourra avoir des conséquences dramatiques sur l’emploi et l’économie régionale.

Ainsi, loin d’avoir subi un soft power d’une entreprise américaine, l’État français a su profiter de l’opportunité « Disney ». Une question reste ouverte. L’exportation de la culture française vers les États-Unis, d’un projet financier de cette envergure, serait-il envisageable, accepté ?

 

Wilfrid Leitt,
Auditeur de la 36ème promotion MSIE

 

Bibliographie

Alphandéry, P. (1986). La nature de Disneyland Paris. Courriers de l'environnement de l'INRA.

Delouvrier, P. (1965). Schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme de la région de Paris.

DisneylandParis. (s.d.). Nos engagements. Récupéré sur https://disneylandparis-news.com/nos_engagements/

Effosse, S. (2004). Deuxième campagne d’archives orales menée auprès des acteurs de la genèse des villes nouvelles françaises. Programme interministériel Histoire et Evaluation des villes nouvelles.

FR3. (1993). Euro Disney : le vin rouge arrive.

Gallerand, L. (2018). La Walt Disney Company à la conquête du monde : une entreprise culturelle entre mondialisation et soft power américain. Universitaires Europeennes.

Girometti, L., & Rafalski, N. (2018). Projet d'extension du parc Walt disneu Studios.

Laffitte, M., Santel, G., & Wellhoff, F. (2008). Perspectives de développement du secteur IV de Marne-la-Vallée et du projet Eurodisneyland.

Legifrance. (1987). Décret n°81-193 du 24 mars 1987 . Legifrance.

Lerolle, M. (2018). Macron et Disney vont bétonner des terres agricoles mais… chut ! Reporterre.

Lerolle, M. (2021, Février 19). Expropriation des agriculteurs et Disnyeland Paris. (W. Leitt, Intervieweur)

Nye, J. (2004). Soft Power : The Means to Success in World Politics. PublicAffairs.

Préfécture et service de l'état en région. (2019). Le projet Euro Disneyland : un projet stratégique, en constante évolution. Préfécture et service de l'état en région Ile de France.

SETEC. (2017). Analyse de la contribution économique d'Euro Disney dans le développment de l'Europe.

Société.com. (2019). Euro Disney Associés SAS. Société.com.

The Walt Disney Company . (Nov.2020). The Walt Disney Company Reports fourth quarter and full year earnings for fiscal 2020. thewaltdisneycompany.com.