Entre février et avril 2025, l’Europe a vécu une séquence aussi brève que révélatrice : l’abandon du Nutri-Score comme système d’étiquetage nutritionnel harmonisé. Ce qui n’aurait dû être qu’un ajustement réglementaire s’est transformé en confrontation informationnelle. Car derrière une simple lettre colorée s’est jouée une bataille d’influence, opposant science et storytelling, intérêt général et intérêts sectoriels.
Du green deal à la guerre narrative : anatomie d’un recul stratégique
Initialement pensé comme levier central de la stratégie Farm to Fork, le Nutri-Score devait incarner une Europe régulatrice, protectrice, engagée dans la lutte contre les maladies non transmissibles. Mais à l’heure de le généraliser, ce dispositif – pourtant validé scientifiquement – s’est heurté à une coalition de refus, menée tambour battant par l’Italie et ses alliés. Et ce sont les récits, pas les données, qui ont gagné.
Un conflit informationnel a émergé. L’étiquetage, outil de santé publique, a été transformé en symbole d’une Europe qui menacerait les patrimoines gastronomiques. Le parmesan noté D ? L’huile d’olive classée C ? Scandale narratif. Ferrero et la Coldiretti[i] orchestrent une contre-offensive parfaite : en coulisses, un lobbying institutionnel redoutable ; en surface, un discours de défense identitaire. Résultat : la Commission recule.
Et pendant que les ONG, les chercheurs, les citoyens pro-transparence – ce qu’on pourrait appeler la société nutritionnelle civile – tentaient de défendre les mérites d’un algorithme lisible, leurs adversaires avaient déjà déplacé le terrain du débat : de la preuve vers le ressenti, de l’expertise vers la tradition.
Une partie des ambitions du Green Deal, celles qui touchaient à l’alimentation saine et à la transparence, se sont effacées dans un silence politique. Le signal est clair : la santé publique n’est pas (encore) un levier d’unité européenne. En tout cas, pas face à des intérêts agroalimentaires capables de coaliser vite, fort, bien !
L'assaut informationnel contre le nutri-score
Le Nutri-Score, ce logo coloré apposé sur les produits alimentaires, n’était pas censé déclencher une guerre. Initié en 2017 par la France, fondé sur des bases scientifiques solides, adoubé par l’Organisation Mondiale de la Santé et la communauté scientifique européenne, il devait s’imposer comme le bras armé de la stratégie "From Farm to Fork". Un étiquetage clair, lisible, pédagogique, conçu pour orienter les comportements d’achat dans une logique de santé publique. Mais en février 2025, l’histoire bascule.
Le Nutri-Score n’était pas une invention isolée, mais bien l’un des premiers outils concrets déployés dans le cadre de la stratégie Farm to Fork[ii], qui ambitionne de transformer durablement les systèmes alimentaires européens. Avoir déjà un système opérationnel, scientifiquement validé, adopté par sept États membres et soutenu par l’OMS, aurait dû constituer un avantage compétitif. Mais au lieu d’accélérer son extension, la Commission a reculé, laissant le champ libre à des narratifs concurrents moins robustes mais plus bruyants.
Sous la surface, une guerre narrative est déjà en cours depuis plusieurs mois, mais c’est dans cette fenêtre février-avril 2025 qu’elle atteint son apogée. Un conflit cognitif émerge, non sur la base de données contestées, mais sur des représentations, émotions et récits rivaux. La santé publique, bien que légitime, ne résiste pas à l'assaut d’une coalition hétéroclite, entre États membres, industriels, parlementaires européens et relais d’opinion..
Offensive narrative et contournement stratégique : l’Italie en tête de file
Dès février 2025, un front anti-Nutri-Score structuré émerge, mené par l’Italie (avec la Coldiretti[iii]), suivie par la Hongrie, la République Tchèque, la Roumanie, Chypre, la Grèce et la Lettonie. Le cœur du discours : le Nutri-Score serait un outil biaisé, pénalisant les produits méditerranéens emblématiques — huile d’olive classée C, parmesan noté D. L’indignation devient un récit.
Ce discours repose sur trois piliers :
- Identité nationale : un “outil de désintégration culturelle”, selon Paolo De Castro.
- Injustice économique : les produits AOP dévalorisés par “un algorithme obscur” (ministre grec).
- Surcharge technocratique : “Encore une norme de Bruxelles !” (Il Giornale).
Mais derrière ce vernis politique se cache une offensive industrielle. Ferrero, en lien avec Coldiretti, orchestre une campagne méthodique : lobbying discret auprès des eurodéputés, promotion active du NutrInform Battery, une alternative jugée floue et calibrée pour brouiller la lisibilité nutritionnelle.
« Une honte italienne, une contorsion pour protéger les intérêts industriels », dénonce Great Italian Food Trade (2025).
Cette stratégie est complétée par une diplomatie parallèle : événements à Bruxelles, relais médiatiques, mobilisation régionale. Résultat : le débat scientifique est remplacé par un théâtre politique, où l’émotion écrase l’expertise. Le Nutri-Score n’a pas été débattu. Il a été contourné, puis effacé.
Focus : Le Nutri-score n’est pas l’ennemi des produits du terroir
Ce que révèle cet affrontement, c’est une divergence de fond dans la manière d’envisager l’alimentation. Pour les promoteurs du Nutri-Score, l’étiquetage est un outil scientifique au service de la santé publique. Il vise à objectiver la qualité nutritionnelle, indépendamment du marketing ou des traditions. Pour ses opposants, à l’inverse, l’alimentation relève d’un imaginaire culturel, identitaire, émotionnel – que l’algorithme ne peut ni saisir ni respecter.
Cette opposition cognitive a permis à certains industriels de retourner l’étiquetage contre lui-même. Plutôt que de le contester frontalement sur le fond (où les données sont solides), ils l’ont repositionné comme un outil technocratique agressif, aveugle à la diversité des produits régionaux. C’est ici que l’intelligence tactique de Ferrero est remarquable : détourner l’attention des produits ultra-transformés pour faire croire que l’ennemi, c’est le parmesan ou l’huile d’olive.
Pourtant, une analyse objective montre que de nombreux produits de terroirs peu transformés bénéficient de bonnes notations Nutri-Score : fromages allégés, conserves de légumes, produits bruts. Le utri-Score pénalise surtout l’ajout excessif de sucres, de sel ou de graisses saturées – c’est-à-dire la malbouffe industrielle, pas la cuisine locale. Mais ce message n’a pas été incarné ni amplifié. Il y avait là une opportunité stratégique inexploitée : montrer que le Nutri-Score pouvait devenir l’allié des circuits courts, de la transparence et des produits authentiques
L’arène numérique : hashtags, indignation et saturation
La guerre se joue sur X (ex-Twitter), LinkedIn et TikTok. Les hashtags Entre mi-février et fin mars, les réseaux sociaux deviennent l’arène d’un affrontement symbolique. Les hashtags #StopNutriScore, #InjusticeAlimentaire, #PatrimoineMenacé ou encore #TradizioneControAlgoritmo se propagent à grande vitesse, structurant un récit émotionnel qui relègue la donnée scientifique à l’arrière-plan.
Exemple in situ : sur LinkedIn, Edouard Morhange publie le 4 mars un post partagé plus de 10 000 fois :
« Le Nutri-Score européen est en train de mourir, victime des lobbys et de l’inaction politique. »
Sur X/Twitter : Serge Hercberg, concepteur du Nutri-Score, est pris pour cible par des comptes anonymes l’accusant de promouvoir un “score idéologique” ou une “croisade technocratique contre les terroirs”.
Sur TikTok : une vidéo virale commente, sur fond d’image d’oléiculture méditerranéenne : « Le Nutri-Score dit que le Coca Light est mieux que notre huile d’olive. Voilà le respect pour nos grands-mères. »
→ Résultat : 2,4 millions de vues en 48 heures. Puissant. Émotionnel. Irrationnel. Mais redoutablement efficace.
Tous les codes de la guerre cognitive sont réunis :
Lexique clivant et accessible : punition, algorithme, traditions assassinées.
Transfert émotionnel : le Nutri-Score devient le symbole d’une Europe qui oublie ses racines.
Discrédit ciblé : chercheurs assimilés à des idéologues, institutions suspectées de connivence avec l’agro-industrie.
La stratégie française : blocage, ambiguïté et défausse
Le 6 mars 2025 marque un tournant : Annie Genevard, ministre française de l’Agriculture, reconnaît avoir délibérément bloqué la signature du décret de mise à jour du Nutri-Score.
« Ce système pénalise nos filières laitières », affirme-t-elle sur RTL.
→ C’est un aveu de confrontation informationnelle interne, dans laquelle l’État devient son propre contradicteur.
Le paysage institutionnel français s’en trouve profondément fracturé :
- Le ministère de la Santé soutient le Nutri-Score.
- Le ministère de l’Agriculture le bloque.
- Santé Publique France, prise entre deux logiques contradictoires, est réduite à une posture défensive, inaudible dans le tumulte médiatique.
- Réaction emblématique : l’UFC-Que Choisir publie un post sans appel :
- « Une ministre contre la santé publique. Une victoire pour les lobbys, une défaite pour les consommateurs. »
Bruxelles capitule : le grand silence de la Commission
Le 28 février, la Commission européenne, par la voix de Stella Kyriakides (DG Santé), annonce l’abandon du projet d’étiquetage nutritionnel harmonisé. Aucun logo ne sera imposé. Une partie des ambitions du Green Deal, celles liées à l’alimentation saine et à la transparence, s’est effacée dans un silence politique. Une victoire discrète mais décisive pour les lobbys agroalimentaires.
Le Nutri-Score n’est pas rejeté. Il est effacé. Stratégie de brouillage classique : ne pas s'opposer frontalement, mais vider de substance.
Analyse tactique : une guerre cognitive bien rodée
Acteurs | Narratif dominant | Cadrage émotionnel |
---|---|---|
Italie / Hongrie | Défense du patrimoine | « On tue nos traditions » |
Industriels agroalimentaires | Algorithme punitif | « Le Nutri-Score détruit des emplois » |
Réseaux politiques conservateurs | Technocratie imposée | « Encore une norme de Bruxelles » |
Objectif commun : neutraliser le Nutri-Score non par réfutation scientifique, mais par saturation émotionnelle et dilution institutionnelle.
Focus acteur — Serge Hercberg, la rigueur face à la tempête
Pilier scientifique du Nutri-Score, Serge Hercberg incarne une parole rationnelle dans un débat devenu émotionnel. Face aux attaques, il adopte en 2025 un ton plus offensif :
• Sur X, le 28 février :
« La Commission tourne le dos à la santé publique. Abandonner un outil validé scientifiquement, c’est céder aux intérêts économiques. »
• Sur LinkedIn, le 5 mars :
« Le Nutri-Score est victime d’un lobbying intense, fondé sur la désinformation et la manipulation identitaire. »
• Le 12 mars :
« C’est un outil d’information, pas une attaque contre les traditions. Ne pas le dire, c’est faire le jeu des marchands de confusion. »
S’il reste une figure morale de la santé publique, son discours, trop factuel, peine à rivaliser avec la viralité émotionnelle du camp adverse. Pour peser, sa parole nécessite aujourd’hui des relais stratégiques, collectifs, médiatiques.
Passer à l’action : stratégie d’influence institutionnelle post-Nutriscore
Stratégie 1 : ICE + Article 114 TFUE = créer une pression double BOTTOM-UP / TOP-DOWN
Objectif : imposer un nouveau label européen “transformations + sucres ajoutés”, sous couvert d’harmonisation du marché intérieur.
Dispositif :
1. Lancer une ICE (Initiative Citoyenne Européenne)
→ Titre : “Pour une transparence obligatoire sur le sucre et les procédés industriels dans l’alimentation”
Contenu :
- Affichage obligatoire du niveau de transformation (ex. NOVA 4).
- Affichage du total de sucres ajoutés.
- Interdiction d’allégations nutritionnelles sur les produits notés D ou E.
Effet escompté :
→ Obligation formelle pour la Commission européenne de se positionner.
→ Ouverture d’un débat public structuré.
→ Mobilisation des ONG et des relais médiatiques engagés.
2. Activer l’article 114 TFUE
Déjà utilisé pour interdire les plastiques à usage unique ou harmoniser les règles de TVA, cet article permet d’unifier la réglementation lorsqu’une distorsion du marché menace le bon fonctionnement du marché intérieur.
Proposition stratégique :
- Faire valoir que la coexistence de plusieurs étiquetages (Nutri-Score, Nutrinform Battery, Feu vert, etc.) crée une instabilité réglementaire nuisible à la libre circulation des biens.
- Proposer un cadre harmonisé volontaire, adossé à des données scientifiques robustes et à une finalité de santé publique.
Le futur label pourrait intégrer :
- Un score de transformation (degré NOVA),
- L’origine des ingrédients critiques (huile de palme, soja, cacao),
- Un signal couleur spécifique sur les sucres ajoutés.
Narration : “Un label européen, fondé sur la science, lisible dans tous les pays.”
Avantages :
- Combine la mobilisation citoyenne (bottom-up) et l’assise juridique solide (top-down).
- Permet de reformuler le Nutri-Score comme un outil élargi, difficilement attaquable par le prisme identitaire ou culturel.
- Donne aux États et à la Commission une voie de sortie honorable : celle de la consolidation scientifique et de l’unité du marché.
Stratégie 2 : attaque ciblée sur les financements publics + saisie de la direction général de la concurrence
Objectif : délégitimer moralement et juridiquement les industriels recevant des subventions publiques pour des produits notés D ou E.
Dispositif :
Saisir la cour des comptes européenne
→ Demander un audit spécial sur l’utilisation des fonds FEDER, Horizon Europe et PAC indirecte.
Argumentaire :
- L’argent public finance des produits à forte charge pathogène.
- Cela entre en contradiction directe avec les engagements de santé publique et les ambitions du Green Deal.
Narratif fort à construire autour d’un rapport visuel ou mini-documentaire :
“Combien d’argent public pour rendre les enfants accros au sucre ?”
Saisir la direction générale de la concurrence (DG COMP)
→ Déposer une plainte officielle pour distorsion de marché et abus de position dominante.
Cibles possibles :
- La domination de Ferrero sur le segment des pâtes à tartiner (Nutella = 66% du marché UE[iv] )
- La concentration de parts de marché dans les céréales sucrées pour enfants.
- Argument : l’absence d’étiquetage uniforme trompe le consommateur par omission.
Objectif secondaire :
→ Ouvrir une enquête formelle.
→ Créer un effet de levier médiatique.
→ Enclencher une onde de choc réputationnelle au sein même des actionnariats.
Avantages :
- S’appuie sur des dispositifs d’investigation déjà disponibles dans le droit européen.
- Permet de produire un choc narratif : “L’UE finance la maladie pendant qu’elle prêche la santé.”
- Rend les grandes marques vulnérables face à l’opinion publique et face à leurs actionnaires institutionnels.
Stratégie 3 — Mobiliser le droit de la consommation pour attaquer les omissions nutritionnelles
Objectif : Faire reconnaître juridiquement l’absence de Nutri-Score — ou la mise en avant de systèmes alternatifs flous — comme une omission trompeuse, au titre du droit européen de la consommation.
Fondement juridique mobilisable :
Directive 2005/29/CE sur les pratiques commerciales déloyales, notamment :
- Article 6 : sur les affirmations trompeuses (ex. : un étiquetage volontaire qui se prétend neutre mais induit en erreur).
- « Car dans un contexte où la donnée est marginalisée, l’omission devient une stratégie. L’article 7 de la directive 2005/29/CE sur les pratiques commerciales déloyales est pourtant limpide : priver le consommateur d’une information essentielle est une pratique trompeuse. Autrement dit : refuser un étiquetage lisible comme le Nutri-Score, ou le remplacer par un système confus à base de batteries, n’est pas qu’un choix politique — c’est potentiellement une infraction. »
- Article 7 : sur les omissions trompeuses, si l'information manquante empêche le consommateur de faire un choix éclairé.
- Jurisprudence CJUE (notamment affaire Ving Sverige AB, C-122/10) : le simple fait de rendre une information peu accessible ou difficile à comprendre peut être considéré comme une omission trompeuse.
- Affaire C‑363/19 – Konsumentombudsmannen c. Mezina AB (allégations nutritionnelles)
- Affaire CJUE, C-19/12, Euronics : la CJUE rappelle que l’absence d’information essentielle, même implicite, suffit à qualifier une pratique d’omission trompeuse.
Plan d’action opérationnel :
Axe | Action concrète | Objectif |
---|---|---|
1. Juridique | Rédiger une plainte juridique argumentée auprès de la DGCCRF (ou DG JUST à Bruxelles) | Qualifier l’absence de Nutri-Score ou d’alternative lisible comme omission d’information essentielle |
2. ONG / société civile | Mobiliser des ONG de consommateurs (ex. UFC-Que Choisir, Foodwatch, BEUC) pour porter l’action | Créer un effet levier collectif, via une plaintes croisées dans plusieurs États membres |
3. Pédagogique / Communication | Produire des visuels comparatifs entre Nutri-Score et NutrInform, démontrant la clarté vs. la confusion | Sensibiliser l’opinion publique sur les effets d’un étiquetage volontaire biaisé |
4. Plaidoyer européen | Rédiger une note politique à l’attention de la Commission IMCO (marché intérieur et protection des consommateurs du Parlement européen) | Exiger un rapport d’initiative sur les omissions d'information nutritionnelle |
5. Jurisprudence stratégique | Identifier un cas test (marque, produit, comparatif) et initier un contentieux stratégique dans un État membre | Créer un précédent juridique utilisable à l’échelle européenne |
Effet recherché :
- Judiciariser le débat : montrer que le refus du Nutri-Score ne relève pas d’une liberté commerciale absolue, mais d’un manquement à l’information loyale du consommateur.
- Créer une pression réglementaire : en poussant la Commission à reconsidérer une harmonisation, non plus sous l’angle de la santé publique, mais sous celui de la transparence commerciale.
- Ouvrir une brèche stratégique pour d’autres combats narratifs en matière de transition alimentaire (ex : origine des produits, mention “naturel”, etc.).
Alliés potentiels :
- Organisations de consommateurs : BEUC, Foodwatch, Test-Achats.
- Juristes spécialisés : avocats en droit agroalimentaire ou droit européen.
- Députés européens sensibles au droit de la consommation (groupe S&D ou Verts/ALE).
- Agences nationales : DGCCRF (France), AGCM (Italie), Verbraucherzentrale (Allemagne).
Piste d’action complémentaire : initier un rapport parlementaire européen
Dans ce contexte de brouillage normatif et d’opacité organisée, le Parlement européen reste un levier stratégique sous-exploité. À défaut de relance officielle par la Commission, une initiative parlementaire autonome, via un rapport d’initiative, pourrait permettre de :
- Documenter les mécanismes actuels de désinformation nutritionnelle, notamment à travers des systèmes alternatifs peu lisibles (ex : NutrInform Battery).
- Evaluer l’applicabilité des articles 6 et 7 de la directive 2005/29/CE (omissions et affirmations trompeuses), y compris à travers des jurisprudences comme l’affaire Ving Sverige AB (CJUE, C-122/10).
Proposer des outils juridiques pour restaurer la loyauté de l'information alimentaire à l’échelle européenne.
Un tel rapport permettrait de replacer le débat dans une logique de transparence citoyenne et de défense des droits des consommateurs, sans attendre une relance top-down par la Commission. Il serait opportun de mobiliser un député européen actif au sein de la commission IMCO, ou engagé sur les sujets de santé publique, pour porter cette initiative (en attente ITW député européen).
Mise en évidence de lignes de faille
La séquence Nutri-Score (février-avril 2025) n’a pas seulement marqué l’abandon d’un outil d’étiquetage : elle a révélé les lignes de faille d’une Europe à la croisée des chemins — entre régulation fondée sur la science, et souveraineté économique dictée par les intérêts industriels. Un logo censé guider les choix des citoyens est devenu le terrain d’un affrontement symbolique. Résultat : le silence des institutions a laissé place aux narratifs les mieux structurés.
Mais cette défaite n’est pas terminale — elle est stratégiquement féconde. Car elle montre que dans l’arène européenne, influencer vaut autant qu’innover. Avoir raison scientifiquement n’est plus suffisant : il faut maîtriser les codes du récit, occuper les arènes décisionnelles, et anticiper les tactiques adverses.
« L’abandon du Nutri-Score n’est pas seulement un renoncement à un outil. C’est un échec d’alignement stratégique entre vision politique (Farm to Fork), moyens disponibles (le score existant), et volonté de confrontation narrative. »
Pendant que certains acteurs publics bataillaient à découvert, des géants comme Ferrero, Lactalis ou Nestlé ont pratiqué la guerre d’influence à livre fermé : lobbying feutré, contre-narration identitaire, réécriture des discours, pression diplomatique sectorielle. Leur victoire tient à une stratégie millimétrée : ne pas s’opposer frontalement, mais submerger l’adversaire de complexité et d’ambiguïtés.
Alors oui, le Nutri-Score a perdu une bataille. Mais il peut encore gagner la guerre. À la condition que les acteurs engagés — PME agroalimentaires, distributeurs responsables, foodtech, alliances ONG-recherche — changent d’échelle.
Ce changement implique :
- Créer un score de confiance européen enrichi (transformation, sucres, ingrédients critiques).
- Lancer des coalitions intersectorielles, capables de peser collectivement dans les débats.
- Activer le levier démocratique : pétition européenne, ICE, initiatives parlementaires.
- Installer une diplomatie alimentaire offensive, assumée, stratégique, éthique.
- Intégrer les think tanks, plateformes consultatives et hubs de régulation à Bruxelles.
C’est à cette condition que l’Europe pourra dépasser le Nutri-Score… non pour l’enterrer, mais pour le réincarner dans un récit plus large : celui d’une souveraineté alimentaire fondée sur la transparence, la santé et l’intelligence collective.
Car dans une Europe fragmentée, le vrai pouvoir, c’est de savoir rassembler autour d’un récit clair, inclusif, et mobilisateur.
Sandrine Doppler MSIE47 DE L4Ecolede Guerre Economique
Sources
Coldiretti. (2025). Comunicato stampa: No al Nutri-Score, sì alla trasparenza alimentare
Commission européenne. (2025). Communication sur l’étiquetage nutritionnel harmonisé dans l’Union. DG SANTE. u
EFSA. (2024). Scientific opinion on front-of-pack nutrition labelling. European Food Safety Authority
Federalimentare. (2025). Position paper sur le Nutri-Score et alternatives.
France Info. (2025, mars 6). La Commission européenne enterre le Nutri-Score obligatoire au sein des 27 pays membres.
Google Trends. (2025). Recherche “Nutri-Score” janvier-avril 2025.
Hercberg, S. [@hercbergs]. (2025). Publications et threads Twitter/X sur l’opposition au Nutri-Score.
Le Monde. (2025, mars 6). Nutri-Score : Annie Genevard reconnaît bloquer délibérément la mise à jour du système de notation des aliments.
LinkedIn. (2025). Publications de S. Hercberg, E. Morhange, J. Chapon, UFC-Que Choisir, France Assos Santé
Novethic. (2025). Nutri-Score : l’UE abandonne le déploiement obligatoire sous pression des lobbys.
Politico Europe. (2025). Europe’s nutrition label fight intensifies.
StripFood. (2025). Nutri-Score : alimentation sous influences.
Brussels Signal. (2025, mars). Leaked documents: Italians torpedo EC’s plans to implement EU-wide nutrition labelling
Challenges. (2025). Quand les lobbys s’en prennent à la science : Danone face au Nutri-Score.
CELEX / EUR-Lex. (2025). Dossier INCO – Article 114 TFUE.
CJUE, 12 mai 2011, C-122/10, Ving Sverige AB.
Directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005, articles 6 et 7.
Notes
[i]La Coldiretti est la principale organisation agricole italienne. Elle représente plus d’un million d’exploitants et joue un rôle actif dans les débats européens, notamment sur les politiques alimentaires et l’étiquetage nutritionnel.
[ii] European Commission, “A Farm to Fork Strategy for a fair, healthy and environmentally-friendly food system”, COM(2020) 381 final, 20 May 2020.
[iii]La Coldiretti est la principale organisation agricole italienne. Elle représente plus d’un million d’exploitants et joue un rôle actif dans les débats européens, notamment sur les politiques alimentaires et l’étiquetage nutritionnel.
[iv] Source Nielsen 2025.