La guerre de l'information avant l'invasion de la Libye (2010-2011)

La guerre de l'information, « combinaison d’actions humaines ou technologiques destinées à l’appropriation, la destruction ou la modification de l’information »[i]. Son action peut parfois modifier la réalité par rapport à la perception de l'opinion publique et à influencer les acteurs internationaux. Elle a été un élément clé dans les événements qui ont conduit à l'invasion de la Libye en 2011. Sous la direction de Mouammar Kadhafi, la Libye était un régime qualifié d’autoritaire par l’occident avec une politique extérieure souvent perçue comme radicale. Cela a intensifié les tensions avec les puissances occidentales et certains pays voisins. À cette époque, les débats géopolitiques étaient particulièrement vifs, et la Libye est devenue un terrain de confrontation entre différentes visions politiques.

L'invasion de la Libye par l'OTAN en 2011 n'a pas été simplement le résultat d'une action militaire, mais d'une vaste campagne de manipulation de l'information qui a façonné l'opinion publique mondiale[ii]. Ainsi, il est crucial de comprendre comment cette guerre de l'information a préparé le terrain pour l'intervention militaire. Comment les différents acteurs ont-ils diffusé des récits pour justifier cette intervention ? Et comment leurs stratégies de communication ont-elles influencé la perception des événements, tant au niveau international qu’auprès des populations locales ?

Nous aborderons ces questions par une analyse des principaux acteurs de cette guerre de l'information, tels que les États, les médias et les réseaux sociaux. Ensuite, nous verrons comment ces acteurs ont utilisé des stratégies pour présenter Kadhafi comme un tyran et justifier l’intervention militaire.

Les acteurs de la guerre de l’information

Pour mieux comprendre cette guerre de l’information, il est important d’identifier les différents acteurs qui ont façonné les événements.

Les médias traditionnels et leur rôle

Les médias occidentaux comme CNN, BBC et France 24 ont eu un rôle central dans la construction d’un consensus mondial en faveur de l’intervention en Libye[iii]. Par une couverture souvent alarmiste des événements, ces chaînes ont largement contribué à créer l’image de Kadhafi comme un tyran impitoyable. Cette présentation des faits a facilité la mobilisation de l’opinion publique pour justifier une intervention militaire. Parallèlement, des médias arabes comme Al Jazeera ont soutenu les rebelles, amplifiant leur voix et leur cause[iv]. Cependant, cette dynamique n’a pas été sans manipulations, notamment à travers l’utilisation d’images de violences qui ont parfois été exagérées pour enflammer l’opinion publique mondiale.

Les organisations internationales et les ONG

L’ONU a légitimé l’intervention en Libye en imposant une zone d’exclusion aérienne par sa Résolution 1973. Mais cette décision a reposé sur des rapports parfois contestés, jugés exagérés[v]. La Cour pénale internationale (CPI) a également joué un rôle clé dans la mise en accusation de Kadhafi, contribuant à sa stigmatisation à l’échelle internationale. Parallèlement, des ONG comme Amnesty International et Human Rights Watch ont exercé une pression médiatique sur les gouvernements pour qu’ils interviennent, amplifiant les récits de violations des droits humains en Libye et contribuant ainsi à justifier l’intervention[vi].

Les réseaux sociaux et acteurs numériques

Les réseaux sociaux comme Twitter, Facebook et YouTube ont permis de diffuser des témoignages directs sur les événements en Libye. Ces plateformes ont facilité la mobilisation des acteurs locaux et la diffusion de vidéos virales qui ont influencé l’opinion publique internationale. Mais ces réseaux ont aussi été utilisés pour manipuler les faits. Des campagnes de désinformation ont été menées, avec des bots amplifiant les appels à l’intervention, ce qui a contribué à créer un sentiment d’urgence justifiant l’action militaire. Cette ingérence numérique a montré le pouvoir des réseaux sociaux dans la formation des opinions mondiales.

Le rôle des États dans la guerre de l’information

La France a joué un rôle clé en reconnaissant le Conseil national de transition (CNT) dès mars 2011 et en plaidant activement pour une zone d’exclusion aérienne[vii]. L’implication de Bernard-Henri Lévy, intellectuel proche des cercles de pouvoir français, a également été déterminante dans la justification de l’intervention[viii]. En parallèle, des manipulations de l’information ont eu lieu, comme la diffusion de faux rapports sur des bombardements à Tripoli. D’autres pays, comme l’Arabie Saoudite et le Qatar, ont soutenu les rebelles en Libye, tant financièrement que médiatiquement, en utilisant la Ligue arabe pour légitimer l’intervention. Les États-Unis et le Royaume-Uni ont, eux aussi, joué un rôle important, en orientant les discours à travers des think tanks et des témoignages officiels.

Stratégies et manipulations dans la guerre de l’information

Dans ce conflit, les différents acteurs ont manipulé l’information pour influencer l’opinion publique avant l’intervention militaire[ix].

Manipulation de l’information par les puissances occidentales

Les puissances occidentales ont utilisé plusieurs techniques pour manipuler l’information en faveur de l’intervention en Libye[x]. Elles ont, par exemple, sélectionné des sources biaisées et amplifié des narrations spécifiques, notamment en exagérant les violences du régime de Kadhafi. Des think tanks influents, comme le CFR ou la Brookings Institution, ont orienté la politique étrangère, et des lobbys ont exercé des pressions sur les instances internationales[xi]. Des documents diplomatiques fuités ont aussi révélé des stratégies de communication manipulées, comme la création d’une menace de massacre à Benghazi pour justifier une intervention militaire.

La contre-stratégie du régime de Kadhafi

Face aux accusations occidentales, le régime de Kadhafi a réagi en cherchant à défendre sa version des faits[xii]. Le gouvernement libyen a nié les accusations de répression violente, affirmant que la situation était un complot des puissances étrangères. Kadhafi a utilisé ses propres médias d’État, comme Al-Jamahiriya TV, pour diffuser cette version. Sur la scène internationale, il a tenté d’obtenir du soutien diplomatique de la part d’institutions africaines et arabes, cherchant à contrer la narration dominante en Occident.

L’intervention occidentale en Libye en 2011 a été largement rendue possible grâce à une guerre de l’information qui a influencé les perceptions et préparé l’opinion publique à accepter l’usage de la force[xiii]. À travers les médias[xiv], les puissances occidentales ont amplifié les violations des droits humains[xv] et ont peint le régime de Kadhafi comme un oppresseur brutal. Ce traitement a facilité la justification de l’intervention militaire. Les organisations internationales, les ONG et même les réseaux sociaux ont soutenu ce discours, appelant à l’action[xvi].

Les États, comme la France, ont joué un rôle clé en faisant pression pour obtenir un soutien international, notamment par la Résolution de l’ONU. D’autres puissances, comme les États-Unis et le Royaume-Uni, ont également contribué à façonner un climat favorable à l’intervention. Tous ces acteurs ont construit une image de la situation en Libye qui a convaincu une grande partie de l’opinion publique mondiale de la nécessité d’agir.

En fin de compte, bien que la protection des civils ait été présentée comme la raison principale de l’intervention, la guerre de l’information a largement influencé la manière dont les événements ont été perçus, transformant une intervention militaire en Libye en un symbole de la lutte pour la justice et la liberté. Mais derrière ce discours se cachaient aussi d’autres objectifs géopolitiques[xvii].

Massamba Niang (MSIE47 de l’EGE)


Notes


[i] Serge Théophile Balima, « guerre de l’information », Hermès n° 40, no 3 (2004): 205, https://doi.org/10.4267/2042/9540.

[ii] H, « The Media Lies and Deception Libya 2011 – Ola Tunander », Herland Report, 1 août 2021, https://hannenabintuherland.com/mideast/the-media-lies-and-deception-libya-2011-ola-tunander/.

[iii] Mahdi Darius Nazemroaya Network Voltaire, « The media misinformation campaign behind the war, by Mahdi Darius Nazemroaya », Voltaire Network, 16 mai 2011, https://www.voltairenet.org/article169874.html.

[iv] « Libya: The propaganda war », Al Jazeera, consulté le 25 avril 2025, https://www.aljazeera.com/program/the-listening-post/2011/3/12/libya-the-propaganda-war.

[v] Alan J. Kuperman, « Obama’s Libya Debacle », Foreign Affairs, 18 février 2019, https://www.foreignaffairs.com/articles/libya/2019-02-18/obamas-libya-debacle.

[vi] René Backmann, « Guerre en Libye: comment le mandat de l’ONU a été détourné », Mediapart, 25 mars 2018, https://www.mediapart.fr/journal/international/250318/guerre-en-libye-comment-le-mandat-de-l-onu-ete-detourne.

[vii] « La France reconnaît le Conseil national de transition comme seul “représentant légitime” de la Libye », Le Point, 10 mars 2011, https://www.lepoint.fr/societe/la-france-reconnait-le-conseil-national-de-transition-comme-seul-representant-legitime-de-la-libye-10-03-2011-1304755_23.php.

[viii] « Révolution libyenne : le serment de Tobrouk de BHL », Bernard-Henri Lévy, consulté le 28 avril 2025, https://bernard-henri-levy.com/fr/photos/revolution-libyenne-le-serment-de-tobrouk-de-bhl/.

[ix] « Le rôle des médias de masse dans les conflits armés : une étude de cas libyenne », consulté le 25 avril 2025, https://www.polity.org.za/article/the-role-of-mass-media-in-armed-conflict-a-libyan-case-study-2011-10-19.

[x] « Libye, OTAN et médiamensonges.  Manuel de contre-propagande (Michel Collon) (z-lib.org) », s. d.

[xi] Philippe Droz-Vincent, « La Libye toujours en prise avec les interventions : de l’intervention internationale de 2011 à l’escalade et la multiplicité d’interventionnismes extérieurs : », Hérodote N° 182, no 3 (9 septembre 2021): 109‑27, https://doi.org/10.3917/her.182.0109.

[xii] « Watch Gaddafi’s speech », Al Jazeera, consulté le 28 avril 2025, https://www.aljazeera.com/news/2011/2/25/gaddafi-addresses-tripoli-crowd.

[xiii] « Les Mensonges de la guerre de l’Occident contre la Libye par Jean Paul Pougala – La Voix De La Libye », consulté le 18 avril 2025, https://lavoixdelalibye.com/2011/09/28/les-mensonges-de-la-guerre-de-loccident-contre-la-libye/.

[xiv] Mahdi Darius Nazemroaya Network Voltaire, « The media misinformation campaign behind the war, by Mahdi Darius Nazemroaya », Voltaire Network, 16 mai 2011, https://www.voltairenet.org/article169874.html.

[xv] « Des policiers pendus par des manifestants en Libye », 18 février 2011, https://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/02/18/face-a-face-meurtrier-entre-manifestants-et-forces-de-l-ordre-en-libye_1481836_3212.html.

[xvi] Hanan Salah, « War on the Media », Human Rights Watch, 9 février 2015, https://www.hrw.org/report/2015/02/09/war-media/journalists-under-attack-libya.

[xvii] « Les Mensonges de la guerre de l’Occident contre la Libye par Jean Paul Pougala – La Voix De La Libye ».

 

Sources

Al Jazeera. « Libya: The propaganda war ». Consulté le 25 avril 2025. https://www.aljazeera.com/program/the-listening-post/2011/3/12/libya-the-propaganda-war.

Al Jazeera. « Watch Gaddafi’s speech ». Consulté le 28 avril 2025. https://www.aljazeera.com/news/2011/2/25/gaddafi-addresses-tripoli-crowd.

Amnesty International. « Le Conseil de sécurité doit saisir la Cour pénale internationale de la situation en Libye », 25 février 2011. https://www.amnesty.org/fr/latest/press-release/2011/02/security-council-must-refer-libya-international-criminal-court-1/.

Backmann, René. « Guerre en Libye: comment le mandat de l’ONU a été détourné ». Mediapart, 25 mars 2018. https://www.mediapart.fr/journal/international/250318/guerre-en-libye-comment-le-mandat-de-l-onu-ete-detourne.

Balima, Serge Théophile. « guerre de l’information ». Hermès n° 40, no 3 (2004): 205. https://doi.org/10.4267/2042/9540.

Bernard-Henri Lévy. « Révolution libyenne : le serment de Tobrouk de BHL ». Consulté le 28 avril 2025. https://bernard-henri-levy.com/fr/photos/revolution-libyenne-le-serment-de-tobrouk-de-bhl/.

Black, Ian, Ian Black, rédacteur en chef du Moyen-Orient, et et Martin Chulov à Manama. « Bahrain, Libya and Yemen Try to Crush Protests with Violence ». The Guardian, 18 février 2011, sect. World news. https://www.theguardian.com/world/2011/feb/18/bahrain-libya-yemen-protests-violence.

Brookings. « Everyone says the Libya intervention was a failure. They’re wrong. » Consulté le 28 avril 2025. https://www.brookings.edu/articles/everyone-says-the-libya-intervention-was-a-failure-theyre-wrong/.

Brookings. « Protecting Civilians in Disasters and Conflicts ». Consulté le 28 avril 2025. https://www.brookings.edu/articles/protecting-civilians-in-disasters-and-conflicts/.

« Des policiers pendus par des manifestants en Libye ». 18 février 2011. https://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/02/18/face-a-face-meurtrier-entre-manifestants-et-forces-de-l-ordre-en-libye_1481836_3212.html.

Droz-Vincent, Philippe. « La Libye toujours en prise avec les interventions : de l’intervention internationale de 2011 à l’escalade et la multiplicité d’interventionnismes extérieurs: » Hérodote N° 182, no 3 (9 septembre 2021): 109‑27. https://doi.org/10.3917/her.182.0109.

H. « The Media Lies and Deception Libya 2011 – Ola Tunander ». Herland Report, 1 août 2021. https://hannenabintuherland.com/mideast/the-media-lies-and-deception-libya-2011-ola-tunander/.

Kuperman, Alan J. « Obama’s Libya Debacle ». Foreign Affairs, 18 février 2019. https://www.foreignaffairs.com/articles/libya/2019-02-18/obamas-libya-debacle.

Le Nouvel Obs. « Guerre de Libye : faire la part de la propagande », 25 novembre 2011. https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-monde/20111125.RUE5963/guerre-de-libye-faire-la-part-de-la-propagande.html.

Le Point. « La France reconnaît le Conseil national de transition comme seul “représentant légitime” de la Libye », 10 mars 2011. https://www.lepoint.fr/societe/la-france-reconnait-le-conseil-national-de-transition-comme-seul-representant-legitime-de-la-libye-10-03-2011-1304755_23.php.

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Mathias.delori. « Guerre en Libye. Un rapport lucide sur des décideurs qui le sont moins ». Mediapart, 1 novembre 2016. https://blogs.mediapart.fr/mathiasdelori/blog/280916/guerre-en-libye-un-rapport-lucide-sur-des-decideurs-qui-le-sont-moins.

Morris, Laura. « Contextualizing the power of social media: Technology, communication and the Libya Crisis ». First Monday, 22 novembre 2014. https://doi.org/10.5210/fm.v19i12.5318.

Network, Mahdi Darius Nazemroaya, Voltaire. « The media misinformation campaign behind the war, by Mahdi Darius Nazemroaya ». Voltaire Network, 16 mai 2011. https://www.voltairenet.org/article169874.html.

———. « The media misinformation campaign behind the war, by Mahdi Darius Nazemroaya ». Voltaire Network, 16 mai 2011. https://www.voltairenet.org/article169874.html.

Roberts, Hugh. « Qui a dit que Kadhafi devait partir ? » London Review of Books, 17 novembre 2011. https://www.lrb.co.uk/the-paper/v33/n22/hugh-roberts/who-said-gaddafi-had-to-go.

Salah, Hanan. « War on the Media ». Human Rights Watch, 9 février 2015. https://www.hrw.org/report/2015/02/09/war-media/journalists-under-attack-libya.