La lutte pour le contrôle des secteurs de l'eau minérale et des boissons gazeuses au Cameroun 2013-2023

Le secteur des eaux minérales et des boissons gazeuses au Cameroun a connu plusieurs transformations majeures entre 2013 et 2023, marquées par une guerre informationnelle intense entre les différents acteurs de ce segment de marché. Cette décennie a vu s'affronter des entreprises locales et internationales pour le contrôle d'un marché en pleine expansion. Dans cette confrontation, les stratégies de communication, l'innovation et la politique des prix ont été les principaux champs de bataille. 

Boissons du Cameroun anciennement Société Anonyme des Brasseries du Cameroun (SABC), leader historique depuis 1983 avec son eau minérale Source Tangui et sa gamme de jus Top, a été surpris et confronté à la montée en puissance de Source du Pays après son rachat par ABN, un groupe détenu par le Libanais Nessrallah el-Sahely, producteur de l'eau minérale Supermont et de la gamme de jus Planète

C’est entre ces deux principaux concurrents que la rivalité a été la plus intense aux vues de leurs capacités logistiques et financières. Un fait marquant a cristallisé cette guerre informationnelle : la bataille autour de la saveur bitter Lemon, lancée par Source du Pays, et rapidement imitée par Boissons du Cameroun et UCB, chacun déployant des campagnes publicitaires massives pour s'approprier cette tendance. 

Les autres acteurs de ce secteur tel que Gracedom Invest (distributeur des produits Coca-Cola originels), Union Camerounaise de Brasseries (distributeur de l’eau minérale Madiba et de la gamme de jus Spécial) se sont tout de même battus pour faire bonne figure face aux deux géants. D’autres marques telles que Semme Mineral Water, ou Nabco (distributeur d’Opur) ont tout simplement disparu. Cet affrontement concurrentiel a été marquée par des campagnes publicitaires agressives, des innovations produits, packagings et différentes stratégies prix dans ce secteur où la perception des consommateurs est un enjeu clé. 

Contexte du marché des eaux minérales et des boissons gazeuses au Cameroun (2013-2023)

Boissons du Cameroun (groupe Castel est le leader historique du secteur brassicole camerounais. Avec Source Tangui et les jus Top, il dominait le secteur des eaux minérales et des boissons gazeuses. L’alerte est donnée quand pour son exercice 2012, sa filiale, la Société des Eaux Minérales du Cameroun (Semc), annonce avoir enregistré une baisse de 11 % sur les ventes de Source Tangui. On ne parle alors que d’une perte de 51 millions de francs CFA (77 750 euros). Une première depuis le début de ses activités, en 1983 donc suffisante pour s’inquiéter d’autant plus que cette perte se fait au profit de son concurrent Source du pays.

Source du pays est le challenger avec son eau Supermont et les jus Planète. Cette société a une trajectoire assez particulière. Créée en 2005 par Thomas Fodouop, ne produisait que l’eau minérale Supermont. Elle est reprise en 2011 par ABN, un groupe détenu par le Libanais Nessrallah el-Sahely. Désormais elle pèse environ 12 milliards de francs CFA. En deux ans, elle va grâce à une politique agressive de prix se hisser à la deuxième place du marché. En 2012 elle se retrouve avec environ 20% de parts de marché. Et ce n’est que le début.

 

Les autres acteurs les plus en vue 

Semme Mineral Water  a été créée en 2002. Jusqu’en 2012, cette firme détenait environ 5% de part du marché de l’eau minérale et était considérée comme le principal protagoniste de Boissons du Cameroun. Mais son fonctionnement battait déjà de l’aile depuis 2009, à cause des problèmes de management. La crise sécuritaire dans les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest du Cameroun va lui donner le coup de grâce définitivement en 2017. 

Union Camerounaise des Brasseries (UCB) créée en 1972 est l’un des plus vieux acteurs du secteur brassicole du Cameroun. Elle produit les jus Spécial et l'eau minérale Madiba qu’elle crée en 2002. Gracedom Invest n’est présent dans le secteur que sur le segment des boissons gazeuses et ce depuis 2022. Après l'arrêt de la collaboration entre Boisson du Cameroun et The Coca Cola Company, après 59 ans de collaboration. Elle distribue donc désormais les produits de la marque Coca-Cola (Sprite, Coca-Cola, Coca-Cola zéro, Fanta et Schweppes) au Cameroun. D’autres distributeurs existent mais sont d’une importance assez marginale.

 

La croissance de la demande en eau minérale et en boissons gazeuses,

Le Cameroun, comme presque tous les pays africains, connaît l'émergence d’une nouvelle classe moyenne. Ce qui a considérablement augmenté le pouvoir d’achat général. Si la commercialisation des boissons gazeuses se porte généralement bien avec des millions d’hectolitres vendus par, l'eau minérale longtemps considérée comme un produit de luxe vu son coût s’est donc fortement démocratisé en cette période. La préférence des consommateurs pour des formats pratiques et abordables, des exigences de qualités sont des critères auxquels doivent désormais se plier les entreprises. 

Pour les boissons gazeuses par exemple, avant l’arrivée de Planète, ce sont les bouteilles de verre et les bouteilles PET de 0,5 litre et 1,5 litre qui étaient trop petites ou difficilement transportables. Elles ont été quasi totalement remplacées par des bouteilles PET de 1 litre. 

Pour ce qui est de l’eau minérale, on a vu apparaître des bonbonnes de 10 litres. Ce sont ces deux innovations qui ont donné un avantage certain à Source du pays tant sur les boissons gazeuses que sur l’eau minérale.

Pendant près de 30 ans, Boissons de Cameroun était quasiment le seul acteur de ce secteur d’activité. Depuis le début des années 2000, de nombreux acteurs l’y ont rejoint connaissant diverses fortunes et la concurrence s’est accrue. Malgré la disparition de certains acteurs, de nouveaux arrivent aujourd’hui encore preuve de la vitalité de ce secteur. En 2014, il est évalué à 185 milliards de francs CFA (282 millions d’euros).

 

L’enjeu de la communication

C'est  Source du Pays, “nouvelle version” qui va lancer les hostilités pour acquérir des parts de marché. Après avoir repris la production de l’eau minérale Supermont, elle va s’attaquer à la production de sodas. Elle choisit d’axer sa communication principalement sur le fait que ses produits sont moins chers et aux formats adaptés par rapport à ceux des concurrents. Dans toutes ses campagnes publicitaires, un accent particulier est mis sur le prix bas et le packaging toujours plus innovant qui font son originalité. Des micros-trottoirs sont organisés pour interroger les consommateurs qui disent que l'entreprise a démocratisé l’eau minérale, la rendant accessible pour tous. A l’inverse de Source Tangui qui en avait fait un produit de luxe. On trouve généralement dans la communication sur ses boissons gazeuses, les termes comme la qualité au bon prix; l'original, c’est l’original !; le maître (faisant référence à Boisson du Cameroun) est brut, l'élève est raffiné.

Boisson du Camerounva réagir à cette agression par une campagne de communication encore plus agressive. A presque tous les carrefours dans les grandes agglomérations comme les petites villes, une affiche publicitaire géante montre l’image d’un homme buvant une boisson gazeuse top donnant un coup de pied à une bouteille certes sans branding, mais l’on reconnait bien la forme des bouteilles de Source du pays. Par ce type de message agressif, Boisson du Cameroun apporte la preuve de son assise territoriale et de sa force logistique. 

Des annonces sont aussi faites sur le renforcement de ses capacités de production et ses certifications. Des publireportages dans différentes chaine de télévision locale montrent clairement des médecins prescrivant l’eau minérale Source Tangui aux femmes enceintes et aux nouveaux nés car cette eau serait « meilleure pour leur santé ». Dans les spots publicitaires pour les boissons gazeuses, les termes comme le maître, premium, le vrai sont utilisés pour montrer que les concurrents sont des amateurs.   

Pour exister les autres concurrents n’ayant pas les mêmes ressources que ses deux géants du secteur vont essayer de jouer les arbitres. Pour UCB, le slogan durant la bataille était « le goût n’aime pas la guerre ». Gracedom Invest qui représente désormais les produits de The Coca-cola Company s'appuie sur la renommée de ses produits sur les affiches publicitaires, le champ lexical utilisé est « le seul, le vrai, l’unique ». 

L’amorce d’une bataille informationnelle sur le plan sociétal

Habituellement l’Etat du Cameroun n’intervient pas pour recadrer les écarts des publicitaires qui ne respectent pas la réglementation en la matière, malgré les plaintes des populations ou de la société civile pour des affichages intempestifs et même nuisibles à la limite. C’est donc avec un certain étonnement que l’on verra les autorités administratives de la ville de Douala ordonner le retrait et l’interdiction d’une affiche publicitaire sur laquelle un homme frappe du point sur la table avec écrit en gras « ça suffit, trop c’est trop , le peuple doit savoir la vérité ». On découvrira plus tard que ces affiches étaient un teasing qui annonçait que la vérité est que Source Tangui  est le « partenaire naturel de votre santé et de votre bien être ».

Après la publication d’informations sur les réseaux sociaux indiquant que les produits de Boissons du Cameroun étaient impropre à la consommation, le président de la ligue camerounaise des consommateurs (LCC) prendra la parole  pour rassurer les consommateurs camerounais que les produits de Boissons du Cameroun respectent les critères de qualité et sont certifiés ISO 9001: 2008 et FSSC 22000. Il ne manque pas de rappeler au passage que l’entreprise vient d'acquérir une chaîne d’embouteillages d’une valeur de 10,7 milliards de francs CFA qui a été inaugurée par le ministre des Mines, de l’Industrie et du Développement Technologique en novembre 2015.  

En 2018, Boisson du Cameroun décroche un partenariat avec l’ordre national des médecins du Cameroun (ONMC) pour repositionner sa marque Source Tangui. Concrètement à travers ce partenariat, apprend-on, « l’ONMC autorise l’exploitation de son image par Boisson du Cameroun dans ses campagnes publicitaires et dans les actions effectuées par la marque Source Tangui dans le secteur de la consommation de l’eau », d’une part, et s’engage à « assurer une visibilité de la marque pendant la durée du contrat » (2018-2021).

Les ONG camerounaises, malgré le peu de moyen s’attachent tout de même à dénoncer la pollution de l’environnement par les bouteilles en plastique utilisées par ces entreprises à travers des interventions sur les plateaux de télévision. Boissons du Cameroun pour ne pas se retrouver dans le collimateur de celles-ci, lance en 2012 le projet « Plastic Récup » pour dire non aux déchets plastiques. En 2019, elle annonce qu’avec son partenaire Namé Recycling, ils ont collecté et recyclé en trois ans 100 millions de bouteilles plastiques de tous types qui soient utilisés par les producteurs d’eau minérale et de boissons gazeuses sur le territoire camerounais. 

La confrontation informationnelle pour le contrôle des secteurs de l'eau minérale et des boissons gazeuses au Cameroun entre 2013 et 2023 a été un véritable laboratoire de stratégies marketing et commerciales pour les spécialistes du secteur. Source du Pays, avec ses innovations en matière de prix, de packaging et de produits, sa communication très offensive a réussi à bousculer le leader historique, Boissons du Cameroun, au point de prendre la première place sur le segment des eaux minérales. Forçant ainsi ce dernier à s'adapter pour maintenir sa position dominante sur le reste du secteur. 

Cette bataille informationnelle a redéfini les habitudes des consommateurs, les prix et les produits. Les différents concurrents se sont déployés avec des campagnes publicitaires massives offensives et défensives, une course à l'innovation qui ont redéfini les règles du marché. Cette décennie de compétition intense a montré que, dans un marché en pleine mutation, la capacité à communiquer efficacement, à anticiper les tendances et à innover restent des atouts clé pour survivre et prospérer sur un marché fortement concurrentiel.

Emmanuel Momodidier (MSIE47 de l’Ecole de Guerre Economique)