L’avertissement de Christian Harbulot sur la stratégie suicidaire de la France

cause sans peuple

Si une nation oublie qu’elle est en guerre économique, elle court vers l’abîme. C’est le diagnostic brutal de Christian Harbulot, figure centrale de la pensée stratégique française et directeur de École de Guerre Économique. Dans un long entretien, il décrit une France désarmée, dirigée par une élite aveugle, incapable de mobiliser le pays autour des batailles décisives de l’économie mondiale.

 

Une cause sans peuple

Pour Harbulot, la France mène une guerre économique qu’elle refuse de nommer. Les États-Unis, explique-t-il, exercent depuis 1945 une domination structurelle sur le pays. Cette réalité a été acceptée sans débat politique, sans pédagogie envers les citoyens et sans volonté de résistance des élites. Résultat : « Nous avons une cause sans peuple ». La guerre économique touche pourtant tous les secteurs — de la banque à l’agriculture, en passant par l’énergie et l’industrie — mais ni la société civile ni les décideurs ne s’en emparent. L’influence américaine s’est infiltrée par le droit, les fondations, les big data, la formation des élites économiques et politiques. Et face à cette hégémonie, la réaction reste minimale.

 

 L’influence étrangère et la désorganisation interne

La France subit des stratégies d’influence coordonnées : Washington impose son droit extraterritorial, comme l’illustre l’affaire BNP Paribas ou encore la vente d’Alstom. Bruxelles relaie des politiques énergétiques qui sapent le modèle français. L’Allemagne pousse contre le nucléaire. Les ONG écologistes, souvent soutenues de l’extérieur, fragilisent des secteurs entiers sans contre-discours structuré. Harbulot observe une France qui laisse s’effriter ses atouts stratégiques au nom de logiques idéologiques ou d’intérêts étrangers. « Nous avons perdu la bataille de l’influence avant même d’avoir combattu », affirme-t-il.

 

L’agriculture en première ligne

L’agriculture, pilier historique de la souveraineté française, est désormais ciblée par des acteurs étrangers. Les grandes firmes technologiques américaines investissent dans la viande artificielle et cherchent à remodeler le modèle agricole européen. Les banques suivent ce mouvement par pur opportunisme. Pour Harbulot, la riposte passe par la création d’un « cœur stratégique agricole » : une vision collective plaçant l’agriculture au service de la souveraineté alimentaire nationale, non des marchés spéculatifs. Il appelle à structurer un mouvement d’appui populaire autour de cette bataille, en alertant sur les risques sanitaires, environnementaux et sociaux d’un basculement non maîtrisé vers des modèles imposés de l’extérieur.

 

Industrie automobile : un « canard sans tête »

Harbulot est particulièrement sévère envers la politique de transition forcée vers le tout-électrique. Selon lui, la décision du président Emmanuel Macron d’aligner la France sur les normes européennes d’abandon du moteur thermique relève d’une « stratégie suicidaire ». Le pays n’a ni les infrastructures de recharge suffisantes ni une industrie compétitive face à la Chine. Pourtant, les acteurs de la filière — industriels et salariés — restent silencieux. C’est, pour Harbulot, le symptôme d’une désagrégation profonde : « Quand ceux qui devraient défendre leur outil de travail ne parlent plus, le pouvoir avance comme un canard sans tête. »

 

 Nucléaire : une abdication programmée

Le même scénario se reproduit dans le nucléaire. L’influence allemande et les ONG écologistes ont réussi à affaiblir une filière jadis considérée comme une force stratégique nationale. Les ingénieurs et cadres techniques ont quitté le débat public, laissant le champ libre à leurs adversaires. Harbulot rappelle que le nucléaire civil est né d’un consensus stratégique entre gaullistes et communistes. Ce front a disparu. Résultat : une France dépendante, perdant son avance technologique et industrielle sur un secteur vital pour son autonomie énergétique.

 

La fracture entre élites et peuple

Cette absence de mobilisation collective illustre une rupture entre le sommet et la base. Les grandes fédérations patronales parlent peu aux syndicats, les syndicats se replient sur leurs luttes sectorielles, et l’État ne joue plus son rôle d’architecte stratégique. Les « forces vives » de la nation ne se parlent plus, laissant à Bruxelles, Washington ou Pékin le soin de tracer l’avenir industriel du pays. Pour Harbulot, le débat sur la souveraineté est devenu une incantation, pas une stratégie. « Nous sommes dans une guerre civile froide, pendant que d’autres mènent contre nous une guerre économique totale. »

 

Passer de la cause sans peuple à la cause avec le peuple

L’enjeu central, pour Harbulot, est de créer des alliances internes capables de formuler et d’imposer des positions françaises cohérentes. Il appelle à un sursaut collectif : que les industriels dialoguent avec leurs salariés, que les syndicats se réapproprient les enjeux stratégiques, que les citoyens cessent de subir. Il évoque la possibilité d’un mouvement comparable aux Gilets jaunes, mais structuré autour d’un projet national d’indépendance économique. « Il faut passer de la cause sans peuple à la cause avec le peuple », martèle-t-il.

 

La guerre économique est déjà là

Harbulot conclut en rappelant que le président Macron avait déclaré : « Nous sommes en guerre ». Mais cette guerre n’est pas seulement militaire ou sanitaire, elle est avant tout économique. Elle se joue sur le droit, les normes, les infrastructures, la technologie, l’agriculture et l’énergie. Or la France, dit-il, avance sans boussole stratégique. Pour éviter de sombrer, elle doit redevenir une nation consciente de ses batailles vitales. Cela exige d’abandonner les postures, d’organiser la résistance et de renouer avec l’esprit de stratégie nationale. Car dans une guerre économique, l’ignorance n’est pas une option — c’est une capitulation.

 

 

Carlo de Cristofori du CESTUDEC de Milan

 

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