Latécoère : un cas d'école de manque de vision sur les actifs stratégiques dans le secteur aéronautique civil et militaire

 


 

La crise majeure du coronavirus a obligé certains membres du pouvoir exécutif français à s'interroger sur la question de la dépendance et de la guerre économique. Ce changement de posture est devenue une nécessité compte tenu de la dégradation de la situation internationale et des risques économiques engendrés par les mesures prises pour lutter contre la pandémie. Mais une telle prise de conscience a été précédée de cas d'école qui soulignaient l'importance du débat à venir sur la dépendance économique à l'égard de pays étrangers et sur la nécessaire vision du politique en termes de stratégie économique nationale et européenne. Latécoère est un de ces cas d'école.

 

Le cas d'école Latécoère

L’histoire du groupe Latécoère a tout du génie français. Pionnière dans son secteur de l’aéronaval et des aéronefs et précurseur de l’aéropostale, le groupe s’est positionné comme un leader de demain. Et pourtant au sein du territoire hexagonal et plus précisément dans le berceau de l’aéronautique à la française Latécoère est dans la tourmente suite à une tactique de déstabilisation sans précédent initié outre atlantique.

Groupe toulousain née sous l’impulsion de Pierre Georges Latécoère lors de la première guerre mondiale suite à une demande ministérielle pour la création de biplans, son activité s’est par la suite diversifié avec la production d’hydravions destiné aux transports de personne. L’entreprise se tourne dans les années 80 vers une nouvelle composante à savoir l’équipement aéronautique, composante avec laquelle il gagnera ses lettres de noblesse dans l’industrie française.

Le groupe présente un tout autre visage et conserve son enjeu de souveraineté sans oublié une dimension territoriale forte. Ce dernier est notamment présent sur la construction de parties entières d’avions civils et militaires mais aussi sur un secteur bien plus stratégie, les satellites. Leader mondial des systèmes d’interconnexion (câblage, harnais et meubles avioniques) et des macrostructures (portes, fuselages,). Latécoère se positionne comme un acteur stratégique dans l’industries mondiale face aux grands constructeurs et assembleurs que sont Boeing, Airbus, Dassault Aviations, Nexter, Thales pour ne citer que ces derniers.

Fort d’un siège historique dans la Ville Rose, Latécoère a su au fil du temps créer un ensemble d’émulations, de recherches et de développement et d’interactions entre des laboratoires de recherche, des universités et des cabinets d’étude afin de monter un réel savoir-faire dans l’aéronautique et électronique embarqué. Ce groupe est devenu une entreprise importante dans la Base Industrielle et technologie de la Défense française (BITD). Entreprise de taille intermédiaire (ETI) et de portée multinationale (5000 employées dont 3000 en France), le groupe se situe sur un échelon stratégique de « faible » mais stratégique.

 

Un groupe stratégique pour l’industrie française

Durant les années 2000, les technologies transversales deviennent de plus en plus stratégiques en raison du fait qu’elles permettent une diversification gamme de produits  mais aussi de toucher de nouvelles cibles commerciales.

Ainsi Latécoère s’est lancé dans la bataille de la technologie LiFi. Cette dernière méconnue du grand public mais pour autant hautement stratégique en raison de ses applications domestiques et militaires, se caractérise par la transmission des données, non plus par ondes électromagnétiques tel que le Wifi mais par la lumière. Ce procédé présente plusieurs avantages à savoir qu’il est plus rapide, moins énergivore, et la logistique pour sa mise en place est beaucoup plus simple. Cette nouvelle technique de transmission est actuellement en phase d’essai et de développement afin de permettre une utilisation aussi bien civile que militaires. Les possibilités sont multiples. Ainsi Air France et Latécoère ont durant la fin d’année dernière réalisé un premier essai de mise en condition de cette technologie dans des conditions réelles.

Fer de lance sur ce créneau, cette technologie constitue une richesse française dans le secteur et en seconde ligne un futur outil incontournable de cyber-sécurité pour le renseignement. Ainsi la maitrise de cette nouvelle technologie revêt une suprématie dans les domaines stratégiques et ouvrent de nouvelles perspectives de croissance pour Latécoere en raison de son usage possible aussi bien pour le grand public que pour l’industrie spatiale. De plus en pleine mouvance sur la transition écologique, le groupe dispose d’un levier de poids.

 

Une aura trop importante pour les intérêts américains

Le fond américain Searchlight Capital Partners a récemment annoncé vouloir procéder au rachat de Latécoère. Ce fond d’investissement est spécialisé dans la technologie de pointe. L’opacité en terme de gouvernance amène à se poser des questions. Searchlight détient des investissements dans la société Global eagle, société concurrente de Latécoère en Amérique du Nord et que le « Partner » de ce fond n’est autre que M. Olivier Haarmann ancien cadre du fond KKR dont les liens avec la CIA et son dirigeant David Petraeus sont établis. Bien évidemment en passant sous pavillon américain, le groupe pourrait perdre son ancrage territorial mais encore plus grave sa technologie LiFi pour ne citer qu’elle. Il est nécessaire de noter que bien que l’Etat n’est pas directement actionnaire de cette entreprise, cette OPA américaine pose la question de la capacité et de la volonté de l’Etat français à défendre une société dont la prospérité nationale est figé et de plus sur la capacité à muter une partie de l’Industrie énergivore vers une industrie durable.

Le scandale de cette absence de prise de conscience de la fuite d’un fleuron sous pavillon étranger se traduirait sur trois volets : Tout d’abord un changement de propriétaire pourrait aboutir à des plans sociaux comme l’histoire industrielle française en est particulièrement riche malheureusement (Alstom vs GE). Au niveau industriel la perte serait particulièrement préjudiciable sur la perte de cohérence de la BITD. Encore plus grave, la France s’expose au passage de certains composants centraux de ses aéronefs civils comme militaires, à la nome ITAR (International Traffic Arm Regulation). Cette dernière est la norme d’extraterritorialité juridique permettant de au gouvernement américain d’effectuer des audits ou de bloquer la vente et/ou l’utilisation de n’importe quel produit fini ou plateforme comprenant au moins 25% de technologie américaine ou une technologie considérée comme sensible.

Pour rappel Latécoère participe aussi à l’élaboration d’appareils militaires pour Airbus et Dassault. Un démantèlement industriel serait un coup porté à la souveraineté nationale économique et militaire

 

Prise de conscience au sein de l’exécutif

La vente de Latécoère n’est pas une simple perte industrielle mais s’annonce comme un jeu de dominos aux conséquences bien plus importantes. Le rappel du blocage des Américains pendant près d’une année pour la vente de rafales à l’Egypte en est le dernier exemple. Motif invoqué ? Le refus de voir passer sous pavillon égyptien des missiles de croisières (vendus dans le contrat initial) car comprenant des composants américains

Ainsi dans le cadre du contrôle des investissements étrangers en France et sous l’émoi local du changement de pavillon prochain, 17 députés en ont appelé à l’exécutif français pour renforcer les conditions de prises de contrôles par le fonds Searchlight.
Las. La condition de l’Etat français était que le fonds américain puisse permettre à un investisseur agréé par l’Etat à 10% du capital du groupe offrant ainsi un siège au conseil d’administration. bien maigre consolation. Ainsi pouvons-nous nous poser la question de la stratégie de l’Etat.

 

Vers une perte irraisonnée son savoir-faire industriel.

L’Etat Français par ce biais montre une fois de plus son abandon en son âme et conscience de son patrimoine industriel souverain. Ce cas ne constitue que la face visible de l’Iceberg. Alstom a été un électrochoc mais l’exécutif tarde à prendre la mesure et ses impacts à venir.

L'affaire Latécoère est édifiant en ce sens. La volonté d’OPA date de juin dernier et l’Autorité des Marchés Financiers avait donné son accord sur ce rapprochement. L'Américain, qui était entré dans le capital de Latécoère en avril dernier, à hauteur de 26,48%, en rachetant les parts d'Apollo et Monarch, a accédé à 65,5% du capital ce 20 décembre 2019, date à laquelle la seconde fenêtre d'achats d'action a été clôturée. Le fond américain n’a pas réussi son pari du rachat des 90% entraînant de facto une demande de retrait de côte.

Les perspectives pour Latécoère ne sont pas visibles sur le court terme et les pouvoir publics continuent de garder un œil sur ce dernier mais en l’absence d’une politique établie de gestion des intérêts nationaux et souverains, l’Etat français ne sera que le spectateur de long démantèlement déjà initié dans d’autres secteurs (énergie, télécom,).

Le gouvernement renforce depuis un an son dispositif de contrôle des investissements étrangers en France avec une attention particulière pour la cyber sécurité, l’intelligence Artificielle, les semi-conducteurs ou le stockage de l’énergie. L’exécutif dispose désormais suite à loi PACTE du pouvoir de bloquer une acquisition dès que la participation dépasse 25% du capital. Il n'est pas sûr que malgré cette nouvelle approche, le gouvernement prenne pleinement conscience de la tâche qui lui reste à accomplir à la vue du peu de manque d’intérêt de ce dernier pour la sauvegarde de son patrimoine industriel face à des offensives de plus en plus féroces des Etats Unis ou de la Chine pour ne citer qu’eux.

Yannick Pannacci 


 

 

POUR EN SAVOIR PLUS :

 


  • Latécoère :


  •  


https://www.latecoere.aero/

 

 


  • KKR Capital


  •  


https://www.kkr.com/

 

 


  • Search Light Capital  :


  •  


https://www.searchlightcap.com/

 

 


  • Global Fire Power :


  •  


https://www.globalfirepower.com/