L’asie et l’europe à l’assaut du lng en afrique et au moyen orient

Le LNG, peu coûteux, facilement transportable, peu émetteur de CO2, s’impose petit à petit comme une alternative au pétrole. Il devrait représenter 25% du portefeuille mondial de l’énergie d’ici 2035. L’Afrique et le Moyen Orient concentrent plus de 50% des réserves mondiales. Alors que le terme de « transition énergétique » est devenu à la mode, l’Asie et l’Europe s’activent en coulisse pour mettre la main sur cette nouvelle énergie. En Iran, au Qatar, au Mozambique, les pays occidentaux et asiatiques, s’allient avec leur major de l’industrie pétrolière afin de s’assurer une indépendance énergétique.

Du pétrole au gaz

L’effondrement du prix du baril de pétrole entre 2013 et 2014 a fait chuter les investissements dans de nouveaux projets. Les majors de l’industrie pétrolière ont été amenés à se tourner vers de nouvelles énergies. Entre temps l’opinion publique et nombreuses associations ont fait part de leur demande croissante pour une énergie décarbonée et moins nocive pour l’environnement.  L’industrie pétrolière est donc dans l’obligation de se tourner vers de nouvelles ressources.

Le gaz, composé majoritairement de méthane, propane, d’hélium ou de butane, est devenu depuis moins d’une dizaine d’année, l’énergie fossile la plus en vogue. L’émergence du LNG, ou Liquefied Natural Gas, avec une masse 600 fois plus faible que sous forme gazeuse, s’offre comme une alternative crédible et durable au pétrole. Ce procédé a rendu le gaz transportable par voies maritimes et a permis de faire tomber les barrières physiques qui limitaient son développement.

Pourquoi le LNG ?

Le gaz est une énergie qui émet 20% de CO2 en moins que le pétrole et 40% de moins que le charbon. Il peut être utilisé comme carburant pour le transport routier ou maritime, comme en atteste la mise à l’eau du plus gros porte conteneur du monde, propulsé au LNG. Le gaz naturel est composé d’une multitude d’autres gaz, utiles dans toutes les industries. L’hydrogène peut par exemple être fabriqué à partir de méthane (CH4), ce qui explique en partie la corrélation entre NordStream 2 et le développement de l’hydrogène par l’Allemagne. En 2019, 354 millions de tonnes de gaz ont été transportées sous forme de LNG (+13% vs 2018). Soit 39% du commerce mondial du gaz et 2,6% de la consommation mondiale en énergie.

L’Asie et l’Europe précurseurs

L’Afrique et le Moyen-Orient ont, durant les années 60-70, connu une monopolisation de leur ressources par les sociétés occidentales. Plus récemment les sociétés asiatiques et notamment chinoises ont infiltré le marché de l’Or noir. L’objectif annoncé est clair : disposer d’une souveraineté énergétique. Comme Matthieu Auzanneau l’explique dans son ouvrage l’Or Noir, la capacité de puissance est proportionnellement liée à la capacité à consommer de l’énergie, l’Asie et donc la Chine, ont un besoin croissant d’énergie. La Corée du Sud et le Japon sont aujourd’hui les plus gros importateurs de LNG au monde. En Chine, Inde ou à Taiwan, la demande est croissante.

En Europe, l’Allemagne a fait du gaz une des ressources les plus importantes de son mix énergétique. C’est un outil de souveraineté économique et cela lui permet de préserver son indépendance vis-à-vis des États-Unis notamment. La France, l’Italie ou le Royaume-Uni, avec l’aide de leurs compagnies historiques, ont fait du gaz un acteur central de leur économie.

Deux compagnies européennes, Shell et Total, sont aujourd’hui les plus grosses entreprises productrices de LNG au monde. L’exploitation du gaz et sa transformation en LNG nécessite des technologies de pointes très coûteuses. Afin d’exploiter et d’exporter le gaz sous forme liquide il est nécessaire de s’assurer un avantage compétitif dans  :

  • La construction  tankers spécifiques et des terminaux de réception.
  • La conception des trains de liquéfaction.

La maîtrise de ces technologies offre un avantage économique important. L’Asie se pose aujourd’hui comme le leader technologique de cette industrie. Des entreprises comme Chiyoda Corporation (Japon), ou comme Samsung et DSME (Corée du Sud) ou enfin China State Shipbuilding Corp, permettent à l’Asie de disposer d’acteurs économiques leader dans ce domaine.

Cependant l’Europe dispose :

  • De grandes compétences techniques grâce à des sociétés telle que Technip (sa partie française), Saipem (Italie) ou même GTT (transport du gaz, filiale d’Engie).
  • D’un savoir-faire inégalé dans la réalisation de projet gaziers par les très nombreux projets réalisés à travers le monde (projet Ichthys, Yamal).
  • D’une nouvelle règlementation incluant le gaz comme pouvant être financé par le fond « pour une transition juste » de l’Union Européenne

Un Enjeu de souveraineté économique

Le gaz devrait représenter 25% du portefeuille mondial de l’énergie d’ici 2035. Il est donc devenu crucial pour l’Europe et l’Asie de se positionner sur les projets en développement. La Chine dont la volonté de puissance est forte, souhaite s’assurer une indépendance énergétique. Il est urgent pour le pays de Xi-Jinping de nouer des alliances, quitte à prospecter au Moyen-Orient, zone où les américains sont installés. Pour les pays du golfe et d’Afrique, les États-Unis, grand producteur de gaz et de pétrole, ne sont pas un débouché intéressant pour leurs ressources. C’est dans ce cadre que l’Asie et la Chine se positionnent pour nouer des relations de plus en plus solides avec des partenaires historiquement proches des USA.

Enfin l’Europe, dont presque 50% du gaz importé provient de Russie, souhaite diversifier ses sources d’approvisionnement. Ne souhaitant pas se retrouver entre le marteau et l’enclume (USA/Russie), il convient de chercher d’autres partenaires. Enfin au-delà de cette volonté souverainiste, les entreprises pétrolières européennes cherchent par-dessus tout à maintenir les dividendes de leur actionnaires.

Prise de participation dans des projets en Afrique et au Moyen Orient

Les entreprises européennes et asiatiques ont donc recours à des contrats de « shareorders » qui visent à partager le financement, les ressources et la production. La signature de ces contrats donne lieu à de nombreux rapports de force. De par le passé colonialiste de l’Europe, les compagnies européennes jouent la carte des partenariats économiques. Procédé que la Chine et l’Asie utilisent depuis 10 ans. Au travers de 3 pays, nous verrons comment s’articule ces rapports de forces.

Le cas du Qatar

Le Qatar, 2ème pays exportateur de LNG, partage avec l’Iran les plus grosses réserves prouvées de gaz au monde. l’Émirat envisage d’en être le leader en 2027 grâce au projet North Field Expension Project. Comme ses congénères africains et moyen orientaux, le pays ne dispose pas de ressources techniques pour réaliser ce projet vital pour son économie. Afin de se voir réserver une part importante de ce futur projet, les compagnies françaises et italiennes ont cédé un certains nombres de leur actif à l’entreprise Qatar Petroleum.

Le petit émirat, soucieux de trouver des débouchés pour son gaz, se tourne aussi vers l’Asie et la Chine, à qui elle vient de passer commande pour la construction de 15 tankers géants. La Corée du Sud et le Japon devraient aussi être impliqués dans le projet au travers de leurs entreprises d’ingénierie et de construction. La décision des contrats de shareolders devrait être rendue publique en début d’année 2021.

Le cas de L’Iran

Le pays perse, possède les plus grosses réserves de gaz au monde mais l’exploitation est au ralenti du fait des sanctions économiques américaines. Il était convenu que l’entreprise française TOTAL, réalise le projet South-pars et permette ainsi à la République islamique d’Iran de mener à bien l’exploitation de ses immenses réserves. A la suite des sanctions américaines, c’est le groupe chinois CNPC qui a récupéré la majeure partie des parts de la production. L’Europe a bien tenté de mettre en place un mécanisme, qui permettrait d’aider ses entreprises à rester sur le marché Iranien, mais l’initiative est restée lettre morte dans l’œuf tant les entreprises européennes sont dépendantes du dollar.

Le cas du Mozambique

Ce pays de l’Afrique de l’Est, situé entre l’Afrique du sud et la Tanzanie, rêve de devenir le 5ème producteur mondial d’ici une quinzaine d’années. Soumis à des conflits internes grandissants, notamment dans le nord du pays avec une incursion djihadiste, le pays ne peut faire face seul. C’est dans ce cadre que le gouvernement de Maputo a cédé des concessions à des entreprises étrangères, notamment asiatiques et européennes.

  • Total qui a racheté en 2019 les actifs africains d’Anadarko, lancera en 2021 Mozambique LNG, en partenariat avec des sociétés japonaises et indiennes.
  • ENI (Italie) et le projet Rovuma LNG vient s’associer à Exxon Mobil et CNPC

Le gouvernement de Maputo, n’hésite plus à utiliser le gaz pour demander de l’aide à ses partenaires. La Chine soutient aussi le Mozambique à travers des aides financières.

Russie et États-Unis grands absents ?

Les affrontements économiques dans le domaine du LNG entre l’Europe et l’Asie ne sont pas passés inaperçus. Alors que la Russie est aujourd’hui le premier producteur de LNG, celle-ci voit d’un très mauvais œil les sources d’approvisionnement en Afrique au MO. La Russie qui s’est consacrée principalement à son territoire se sent aujourd’hui menacée. Les États-Unis qui sont un de plus gros producteur de gaz souhaite des débouchés pour son gaz. Le pays de l’oncle Sam est en train de réagir et ne compte pas se laisser dépasser. Présent au Qatar, au Mozambique il va user de tous ces atouts pour empêcher l’Europe et l’Asie de mettre la main sur cette énergie nouvelle.

Il devient donc urgent pour l’Europe de se doter d’une politique commune forte concernant le gaz. Alors qu’en Chine l’état est clairement à la manœuvre, derrière l’industrie énergétique, il devient nécessaire de surcroit pour l’Europe, de se doter d’une vraie politique énergétique. La mise en place d’un cadre juridique et d’un soutien diplomatique aux compagnies pétrolières doivent dépasser l’idéologie écologiste. Sans une vraie politique commune, elle sera incapable de se battre à armes égales avec la Chine mais aussi face aux Etats-Uns d’Amérique ou la Russie.

 

Pierre Gonsolin

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