Guerre hybride : quand la géopolitique se joue aussi dans le cyberespace !

Février 2022. Alors que les blindés russes franchissent la frontière ukrainienne, Kiev, la capitale, a été la cible dans le même temps de cyberattaques. Ces dernières ont bloqué des ministères, désorganisant les banques et ralentissant les trains. Les fake news et les images truquées se sont alors multipliées sur les réseaux sociaux. Cette guerre n'était pas uniquement une guerre de terrain. Elle s'est avant tout jouée via les câbles, les serveurs, les cerveaux et jusque dans les relations internationales. Cela s'appelle une guerre hybride. L’Ukraine n’est pas un cas isolé. Désormais, les puissances frappent sur tous les fronts : militaire, numérique, informationnel, économique. Un pare-feu bien configuré vaut parfois autant qu’un blindé. Derrière les négociations, ce sont les analystes cyber qui tiennent les lignes.

 

Qu'est-ce que la guerre hybride ?

Définition et composantes

La guerre irrégulière, ce n’est pas un concept théorique réservé aux think tanks. C’est en réalité une méthode de confrontation bien réelle, déjà à l’œuvre sur plusieurs fronts. Elle repose sur un principe simple : frapper l’adversaire sur plusieurs plans en même temps : militaire, économique, informationnel, numérique sans, pour autant, déclencher officiellement une guerre. Les genres sont mélangés, les lignes sont effacées rendant ainsi la riposte plus difficile.

L’État menant ce type de guerre ne se contente pas d’envoyer des soldats. Il active aussi très souvent des groupes paramilitaires, s’appuie sur des relais politiques locaux, lance des cyberattaques, manipule les médias, fait pression via le gaz ou les marchés et s’offre même le luxe de nier toute responsabilité. Concrètement, une opération hybride peut mobiliser :

  • des forces classiques, comme des troupes déployées aux frontières ou des frappes ciblées ;
  • des forces irrégulières, difficiles à identifier : milices locales, mercenaires, combattants sans insignes ;
  • des armes économiques : restrictions d’exportation, ruptures d’approvisionnement énergétique, mesures de rétorsion ;
  • des leviers diplomatiques, pour bloquer des résolutions ou désunir des alliances ; • des offensives cyber, capables de paralyser des hôpitaux, des réseaux de transport ou des sites gouvernementaux ;
  • des campagnes d’influence, orchestrées via de faux comptes, des médias contrôlés, des vidéos truquées, le tout pour façonner la perception des faits.

 

Ce type de guerre joue en définitive sur "les angles morts". Personne ne revendique les attaques, les groupes en action sont difficiles à identifier et tout va trop vite pour que la réponse puisse être claire ou immédiate. Résultat ? Les États visés hésitent, doutent, réagissent trop tard ou pas du tout.

 

Exemples historiques de guerres hybrides

L'Ukraine n'est pas un cas isolé. Avant elle, d’autres terrains avaient déjà servi de laboratoire aux stratégies hybrides. Rien de nouveau dans l’idée de brouiller les lignes entre guerre militaire, guerre médiatique et guerre de l’ombre. Les moyens ont toutefois changé et les cibles aussi.

Au Liban en 2006. Le Hezbollah n’a pas affronté Israël à armes égales : tirs de roquettes sur les villes, embuscades contre les blindés, relais médiatiques bien rodés. L’organisation a utilisé la guérilla autant que la communication pour compenser sa faiblesse militaire. C’était déjà une guerre sur plusieurs fronts.

En Crimée en 2014. Officiellement, la Russie n’a rien envahi. Dans les faits, des hommes en treillis, sans insignes, ont pris le contrôle de bâtiments publics. Des campagnes d’influence ont été lancées en parallèle, sur les réseaux russes et occidentaux. Pendant que l’Occident tergiversait, Moscou, elle, a enterré son annexion. Tout s’est joué en quelques jours.

En Syrie. Le conflit a rapidement dépassé la rébellion locale. Des groupes armés soutenus par l’étranger, des frappes russes, des interventions turques, des cyberattaques ponctuelles, des récits contradictoires sur chaque événement. La guerre y est devenue un mille-feuille stratégique dans lequel se croisent intérêts régionaux, opérations secrètes et propagande à grande échelle.

Dans chacun de ces cas, l’enjeu n’était pas seulement militaire. Il s’agissait de contrôler le terrain, mais aussi le récit, l’économie, mais aussi la légitimité. La guerre hybride, vous l'aurez deviné, ne cherche pas toujours à écraser un ennemi. Elle vise parfois à le noyer dans le flou.

 

Le rôle du cyberespace dans la guerre hybride

Cyberattaques et paralysie des infrastructures critiques

Nul besoin de missiles pour couper l’électricité ou clouer des trains au sol. Un virus bien conçu suffit. Dans une guerre hybride, le clavier remplace parfois le champ de bataille. Quand les systèmes informatiques tombent, c’est tout un pays qui vacille. Les groupes derrière ces attaques ne visent pas au hasard : centrales, hôpitaux, administrations, banques. Tout ce qui fait tourner un État au quotidien.

En 2017, le malware NotPetya s’est infiltré via une mise à jour de logiciel comptable ukrainien. Résultat ? Des milliers de serveurs HS, des entreprises paralysées de Kiev à Copenhague, jusqu’aux filiales américaines de géants européens. Des jours d’activité perdus, des millions envolés et aucun avion bombardier n’a décollé pour cela.

Ce n’est pas juste du sabotage. C’est une démonstration de force. La preuve qu'il est tout à fait possible de semer la pagaille à l’échelle mondiale sans sortir d’une salle informatique.

 

Désinformation et manipulation de l'opinion publique

Dans une guerre hybride, les bombes ne sifflent pas toujours : parfois, elles tweetent. La guerre cognitive vise moins à convaincre qu’à semer le doute, brouiller les repères et fatiguer l’attention. Les réseaux sociaux deviennent des armes : rapides, massives, incontrôlables.

Autour du Brexit ou de la présidentielle américaine de 2016, les campagnes russes ont montré ce que cela donne : faux comptes, sites douteux, trolls organisés. Le but ? Créer le chaos, pas choisir un camp. Un deepfake peut aujourd’hui renverser un ministre. Une fake news bien placée suffit à retourner une urne.

 

L'espionnage économique et politique

Dans une guerre hybride, plus besoin de micros cachés ou de valises diplomatiques. L’espionnage se fait à distance, via une faille, un courriel piégé ou un logiciel obsolète. Un accès discret à un serveur suffit pour lire des plans de défense, des échanges confidentiels ou des contrats sensibles.

APT28 et APT29, les bras armés numériques du renseignement russe, opèrent ainsi depuis des années. Pas de coups d’éclat, mais un grignotage méthodique : vol de données industrielles, surveillance politique, anticipation militaire. Une guerre sans uniforme, mais avec un impact bien réel.

 

Études de cas récents

Les cyberattaques russes en Ukraine

Depuis l’annexion de la Crimée, l’Ukraine sert de terrain de test à la guerre hybride russe. Les cyberattaques s’y enchaînent sous forme de coupures de courant en 2015, de blocage du métro de Kiev, de piratage de chaînes de télévision. Le conflit a franchi un cap en 2022. Les groupes Sandworm et Gamaredon, liés au renseignement militaire russe, ont visé les satellites, les infrastructures ainsi que les banques. L'objectif ? Désorganiser.

 

L’usage des fake news dans les élections occidentales

En 2016, la présidentielle américaine est devenue un terrain d’attaque numérique. Des récits truqués, poussés par des bots et des fermes à trolls, ont saturé les réseaux. Le débat s'est radicalisé. Depuis, le même schéma se répète : France, Allemagne, Catalogne. Derrière les campagnes électorales, une autre bataille se joue : brouiller le jeu démocratique, semer la méfiance, affaiblir l’Europe en tirant sur ses lignes de fracture.

 

Les cyberattaques contre les industries stratégiques européennes

Les secteurs clés tels que l’énergie, la défense ou encore le transport sont devenus des cibles de choix. Pas pour les saboter, mais pour les siphonner. Le groupe chinois APT10, qui est lié au renseignement de Pékin, a ainsi été accusé d’avoir piraté des entreprises européennes du secteur aéronautique et nucléaire. Pourquoi ? Afin de voler des fichiers techniques ultra-sensibles.

L’approvisionnement en carburant d’une partie des États-Unis a été coupé net en 2021. La raison ? Une attaque orchestrée contre Colonial Pipeline. L’Europe n’est pas non plus épargnée. EDF, Airbus, Thales, mais aussi la SNCF sont régulièrement visés. La guerre hybride vise ici le cœur économique, tout en servant une influence géopolitique discrète mais décisive.

 

Comment se protéger contre ces menaces hybrides ?

Rôle des agences de renseignement

Identifier une attaque hybride, c’est comprendre ce qui se cache derrière un bug, une rumeur ou encore une coupure de réseau. Ce travail, ce sont les agences de renseignement qui le mènent. Leur force ? Croiser les signaux faibles, relier les points, lire entre les lignes. En France, c'est l’ANSSI qui en est chargée, en Europe, l’ENISA, et aux États-Unis, le Cyber Command. Tous montent en puissance, avec une approche complète : humaine, technologique et psychologique. C’est dans cette logique de montée en compétence que s’inscrit un MBA en Risques, Sûreté Internationale et Cybersécurité : former celles et ceux capables d’anticiper les nouvelles formes de conflictualité, d’en décrypter les mécanismes invisibles et de construire des réponses adaptées à la complexité du cyberespace.

 

Mise en place de politiques de cyberdéfense efficaces

Penser la cyberdéfense comme une simple extension de l’informatique est une erreur stratégique. C’est en réalité un pilier central de la sécurité nationale. Cela implique notamment :

  • des budgets solides pour sécuriser les systèmes critiques ;
  • des tests de crise réguliers, en conditions réelles ;
  • une coopération étroite entre armée, institutions et acteurs privés ;
  • une doctrine claire : quand riposter, comment, et contre qui.

 

L’OTAN ne s’y est pas trompée et classe désormais le cyberespace parmi ses terrains d’opération officiels.

 

Éducation et sensibilisation des citoyens aux manipulations numériques

Le point faible, c’est souvent l’humain. Un clic mal placé, un article relayé sans vérifier, un mot de passe trop simple. Pour tenir face aux manipulations numériques, il faut une culture du doute, du réflexe critique et de la vigilance. Dès l’école, il est nécessaire d'apprendre à repérer une fausse information, à croiser les sources, à comprendre comment une vidéo peut être truquée. Dans les entreprises comme dans les ministères, des formations régulières ne sont, par conséquent, plus une option, mais une nécessité.

 

La guerre hybride n’a plus rien de théorique. Elle s’infiltre partout : dans les serveurs, dans les récits, dans les décisions. Elle ne bombarde pas, elle déstabilise. Elle ne déclare pas ses offensives, elle les insinue. Pour y faire face, il ne suffit plus d’avoir une armée bien équipée. Il faut se doter de réseaux solides, des institutions capables d’encaisser le choc et une population sachant décoder ce qui circule. Ce n’est donc plus uniquement une affaire de missiles ou de diplomates. Une rumeur, un virus informatique ou un vol de données peut désormais faire basculer un rapport de force. La ligne de front passe par les écrans, les logiciels, les messageries chiffrées. C’est là que se joue la nouvelle cyberguerre, diffuse, silencieuse, mais stratégique. Il est temps que la sécurité nationale intègre pleinement cette réalité : la prochaine crise ne viendra peut-être pas d’un tank, mais d’un clic.