Le pétrole, enjeu de puissance et d’influence dans le Golfe de Guinée

A l’aube de l’affrontement entre la Russie et l’Ukraine, le pétrole repris à nouveau une place prépondérante comme enjeu de puissance et d’influence.  La logique de positionnement des grandes puissances dans les pays producteurs comme zone d’influence prend ainsi toute son importance et reflète désormais une stratégie de contrôle et d’approvisionnement en cette ressource énergétique fondamentale aux enjeux de développement et de sécurité économique.  L’Afrique subsaharienne n’est pas en reste car sa production pétrolière devrait représenter environ 11% de la production mondiale en 2022.  Le Golfe de Guinée concentre 60% de la production du continent. Il est donc dorénavant un centre d’attention à l’heure ou ses clients classiques cherchent à diversifier leurs sources d’approvisionnement et par conséquent ne peuvent se détourner d’elle pour cause d’embargos et sanctions envers la Russie qui est le deuxième producteur mondial. Comment se positionnent les pays importateurs de pétrole en Afrique subsaharienne ?

Le conflit Russie - Ukraine ayant désormais des allures de guerre froide entre Etats-Unis et ses alliés occidentaux contre la Russie et la Chine va renforcer cette bataille de positionnement sur les pays producteurs de pétrole en Afrique subsaharienne et principalement dans le Golfe de Guinée. Cette ressource se fera rare à tel point que les spéculations sur le prix du pétrole ont atteint des niveaux records sur les marchés financiers, préemptant d’un nouveau choc pétrolier si la situation actuelle perdure.

Une zone pétrolière de premier plan

Depuis 1958, première année d’exploitation des premiers champs en Afrique subsaharienne précisément au Nigéria, l’or noir comme il est encore appelé, représente l’actif « star » des pays du Golfe du Guinée en matière de ressources. Il représente ainsi 95% des exportations du Nigéria, 85% des exportations du Gabon, 90% de celle du Congo, 97 % en Guinée Equatoriale, 80% au Tchad. Les recettes pétrolières contribuent à plus de 75% dans le budget de chacun de ces états. Son influence en Afrique est d’autant plus grandissante à l’heure actuelle ou les pays de l’ouest cherchent à limiter leur dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie. Au vu de ses réserves importantes, le positionnement des compagnies pétrolières étrangères, représentant les intérêts nationaux devrait donc se renforcer dans une logique de reconfiguration géostratégique. Cette dynamique est dominée par les firmes européennes (Total, Perenco, Shell ENI, Glencore, BP), américaines (Chevron, Exxon Mobil), malaisienne (Petronas), et chinoises (CNPC, Sinopec, CNOOC). Ils se livrent une bataille dans le Golfe Guinée et sont accompagnées chacune en ce qui leur concerne par des actions politiques, diplomatiques et même militaires de leur pays.

Si la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, plus précisément ceux du Golfe de Guinée sont producteurs de pétrole (Nigéria Angola Congo, Tchad, Cameroun, Guinée Equatoriale, Gabon …), les principaux clients de la zone restent les puissances étrangères notamment l’Union Européenne (30%), les Etats-Unis (20%), la Chine (25%) et l’Inde (15%). Ces pays opèrent sur cette zone au travers de leurs multinationales publiques ou privées qui achètent ainsi 90% de la production du continent.  A l’heure de la réorientation des sources d’approvisionnement des pays européens vers de nouveaux fournisseurs au détriment de la Russie, et des besoins croissants du marché asiatique, l’Afrique représente ainsi un intérêt géopolitique majeur et particulièrement pour les pays de l’Union Européenne.

Le Golfe du Guinée suscite également des convoitises. La Russie envisage également d’étendre son influence dans le domaine de l’énergie en Afrique. « Nous avons décidé d’un projet avec Chevron dans un bloc commun au Nigeria, que nous considérons prometteur », avait confié à Reuters, Vagit Alekperov, CEO de Lukoil.  A plusieurs reprises, l’arrivée du géant russe GAZPROM a été annoncé en Afrique subsaharienne et principalement dans le Delta du Niger disposant d’importantes réserves de gaz inquiétant les pionniers sur ce marché. Déjà en 2008, le groupe gazier russe engageait des négociations avec le gouvernement nigérian dans le but d’investir entre 1 et 2,5 milliards de dollars dans l'exploitation du gaz naturel. « On a pris la décision de développer une stratégie hors de Russie. L'Afrique est une de nos priorités », avait indiqué l'un de ses dirigeants, Ilia Kochevrine. Comment se déroule cette bataille de positionnement ?

Les manœuvres stratégiques des puissances étrangères

Les stratégies mises en place par les acteurs diffèrent suivant leur arrivée sur ce marché. Ainsi, Les pays de L’union européenne, dont la France, comptent plus sur leur ancrage historique résultant des liens de la colonisation. A la veille des indépendances, la France avait signé des accords avec ses ex-colonies qui lui permettent contrôler ses territoires dans nombreux domaines, tels que le domaine militaire, le domaine politique, mais surtout des accords économiques. A titre d’exemple, le droit de premier refus sur toute ressource brute ou naturelle découverte dans le pays. La France « a » le premier droit d’achat des ressources naturelles de la terre de ses ex-colonies. Ce n’est qu’après que la France ait dit : « Je ne suis pas intéressé », que ses anciennes colonies sont autorisés à chercher d’autres partenaires. A cette influence historique s’ajoute un lobbying et l’aide au développement qui influence les orientations économiques de certains pays. Selon les chiffres provisoires du CAD pour l’année 2021, la France a alloué 13 milliards d’euros à l’aide publique au développement, soit 8,6 % de l’APD totale des 30 membres du CAD (environ 151 milliards d’euros) derrière les Etats-Unis, l’Allemagne et le Japon.

Etats-Unis

La stratégie américaine quant à elle ne vise pas uniquement à sécuriser l’approvisionnement en pétrole des Etats-Unis mais à maintenir le Golfe de Guinée comme actif stratégique de diversification en matière d’approvisionnement de cette ressource rare afin de limiter la dépendance américaine à d’autres sources d’approvisionnement, notamment l’Amérique du Sud (Mexique, Venezuela). Pour cela les Etats-Unis investissent considérablement dans la sécurité maritime dans un souci de protection des installations pétrolifères off-shore contre la piraterie et les attaques terroristes.  La sécurisation de la zone du Golfe de Guinée se traduit par exemple par un engagement militaire américain accru dans la région, notamment à São Tomé et Príncipe, dont le gouvernement aurait passé des accords de coopération militaire avec les États-Unis pour renforcer les capacités de surveillance de son espace maritime. Elle se présente également sous forme de manœuvres récurrentes avec les forces de défense des pays exportateurs et par des actions de formation (Cameroun, Nigéria, Angola, …). Les accords de l’AGOA (African Growth and Opportunity Act), signés en 2000 sous la présidence de Bill Clinton achève cette stratégie globale d’implantation sur le continent. Adoptée en 2000, cette loi permet à une quarantaine de pays d’Afrique subsaharienne de bénéficier d’un meilleur accès au marché américain pour certains de leurs produits notamment textiles en les exemptant de droits de douanes et ce, contre un large accès aux ressources pétrolières.

La Chine

Sa politique de conquête de l’or noir africain est devenue plus agressive à partir des années 1990 afin de combler son déficit de ressources énergétiques. Pour cela, la Chine use de plusieurs instruments. Le premier étant sa politique commerciale. D’après la Banque mondiale, 85 % des exportations africaines vers la Chine proviennent des cinq principaux producteurs pétroliers, à savoir, l’Angola, la Guinée équatoriale, le Nigeria, la République démocratique du Congo et le Soudan.  Le deuxième est celui des investissements échangés au profit des ressources pétrolières. Ainsi plusieurs contrats d’investissements sont conclus en échange de contrats d’approvisionnement en pétrole (prêts destinés à la construction de routes et ponts, infrastructures publiques, hôpitaux, réseaux de fibre optiques, etc.).  Les entreprises chinoises ont pénétré ce marché avec des projets de mise à niveau de raffineries (Tchad, Nigéria, Angola, …). La Chine use également de stratagème dans le domaine financier pour accompagner l’action de ses compagnies pétrolières. Née de l'initiative des présidents Denis Sassou N'Guesso du Congo et Xi Jinping de Chine, la Banque sino-congolaise détenue à 50% par la Banque agricole de Chine a ouvert ses portes en 2015 au Congo et sert de bras armé financier régional pour les compagnies chinoises dans le Golfe de Guinée. Le troisième instrument est la diplomatie chinoise. La Chine fait des concessions politiques en évitant de se mêler des contestations anti-démocratiques parfois affectés aux états d’Afrique subsaharienne. Contrairement aux pays occidentaux, la Chine offre une aide au développement peu conditionnelle, au détriment des droits humains et d’une gouvernance transparente sapant les efforts des institutions internationales (Banque mondiale, FMI) visant à lier leurs financements à une évolution politique et sociale des régimes africains. Par ailleurs, la signature des accords pétroliers dans un pays africain a toujours été accompagné des visites des officiels chinois qui en font une revue quasi-annuelle. Les pays du Golfe de Guinée s’appuient également sur la Chine afin de compenser l’influence des Etats-Unis et de la France (Gabon, Congo), mais également pour acquérir des armes. Ils n'ont non plus oublié que l’influence de Chine disposant d’un droit de veto à l’ONU pourrait servir.

Les nouveaux entrants

La réorientation stratégique en matière de fourniture d’énergie des pays occidentaux pourrait-elle représenter une opportunité pour les pays du Golfe de Guinée dont le pétrole est la principale ressource économique ?

Bien que les pays comme la France et les Etats unis soient des alliés historiques, il n’en demeure pas moins que les nouveaux partenaires de ces Etats occupent une place prépondérante. La bataille de la manne pétrolière qui s’annonce sera encore plus rude que par le passé. Cette bataille s’est déportée sur fond de rivalité entre les occidentaux portés par la France et les Etats Unis contre la Chine et la Russie. Il faut noter que certains états disposent d’un passé peu connu avec la Russie (Angola, Congo, …) et que cette dernière est entrain de renforcer son encrage africain. La Russie est aujourd’hui militairement présente au Mali et en Centrafrique et son action dans ces pays n’est pas sans influencer leurs voisins.  Le 12 avril 2022, en plein dans la guerre Russie- Ukraine, Le Cameroun et la Russie signait un accord de coopération militaire. Un acte qui a suscité l’émoi des pays occidentaux à tel point que Tibor Nagy, ex-monsieur Afrique de la Maison Blanche sous Donald Trump écrivait sur son compte Twitter : « Je n’arrive pas à croire que le gouvernement camerounais ait un timing incroyablement mauvais pour signer un accord militaire avec la Russie – au plus fort de l’agression en Ukraine. Cela pique les yeux des États-Unis et de la France, deux pays dont le Cameroun pourrait avoir besoin d’aide à l’avenir. Mais tant mieux pour les Ambazoniens* ! ».

Dans la même lancée, les échanges sur la sécurité dans zone du lac Tchad se poursuivent entre le Tchad et la Russie au point ou le Général Daoud Yaya, ministre de la défense nationale, des anciens combattants et des victimes des guerres du Comité Militaire de Transition (CMT) annonçait en fin d’année 2021 après une visite à Moscou que : « La Russie est prête à aider le Tchad à moderniser ses équipements militaires » et d’ajouter que : « Le vice-ministre russe de la Défense nous a rassuré d’une aide au renforcement des capacités de défense de notre État, et donc à la protection de la souveraineté, de l’intégrité territoriale ».

La "neutralité" des Etats pétroliers africains

Le 02 mars 2022 à l’ONU, la position de certains pays producteurs du Golfe de Guinée dans la résolution des nations unies devant condamner l’intervention de la Russie en Ukraine n’est pas anodine.  34 pays se sont abstenus, dont 16 pays africains. Pour être complet, ce décompte doit aussi inclure les pays qui ont opté pour la stratégie d’absence en ne participant pas au vote, ce qui constitue une abstention cachée. Ces derniers sont au nombre de 13 ; parmi eux, 8 pays africains. En additionnant l'abstention assumée et l'abstention cachée, 24 pays africains sur 54 ont préféré ne pas condamner la Russie, soit près de la moitié du continent. Ainsi, l’Angola, le Congo Brazzaville, la Guinée Equatoriale, le Soudan du Sud qui sont tous des eldorados pétroliers se sont abstenus de voter contre la Russie au regard de leur intérêt. Le Cameroun, un autre pays producteur de pétrole n’a pas participé au vote.

A cela, il faut ajouter le vent des postures démocratiques qui dérangent les chefs d’états de cette zone.  La plupart des eldorados pétroliers ont à leur tête des familles ou dirigeants concentrant plus de trois décennies au pouvoir (Gabon, Cameroun, Tchad, Congo, Guinée Equatoriale, …) et les positions occidentales en matière d’alternance démocratique ne sont pas d’avis à réconforter la confiance des chefs d’états qui cherchent des soutiens du côté de la Chine et de la Russie.

L'enjeu spécifique du Golfe de Guinée

Le Golfe de Guinée représente dorénavant une zone très stratégique ou se livre en bataille les grandes puissances pour la conquête du marché de l’or noir surtout que le potentiel de croissance de la production pétrolière dans cette région est important. Selon le Cambridge Energy Research Associates, le potentiel de croissance de la production pétrolière dans la région serait plus important que celui de Russie, de la mer caspienne ou de l’Amérique du Sud. La zone produit aujourd’hui 5,5 millions de barils par jour et cette production devrait atteindre 10 millions de barils par jour à horizon 2030 à l’occasion de récentes découvertes de nouveaux gisements (Congo, Guinée Equatoriale, Sao tomé et principe, Tchad) et de nouvelles techniques de production. Il faut également noter que les réserves sont importantes. Le Golfe de Guinée détiendrait environ 24 milliards de réserves, soit 11% des réserves mondiales. Les Pays producteurs du Golfe de Guinée devraient profiter de l’évolution actuelle des cours du pétrole pour accélérer leur développement mais pour cela, il faudrait qu’ils retiennent les leçons du passé en mettant en avant la bonne gouvernance, la diversification de leur économie encore largement dépendant de la ressource pétrolière, le réinvestissement des revenus pétroliers dans les secteurs qui conduiront à une croissance inclusive, profitant à l’économie mais aussi et surtout aux populations. 

Armand Pandong



Note

*Ambazoniens : Groupe extrémiste revendiquant la sécession du nord et sud-ouest camerounais voisin du Nigéria. Groupe menant des actes de barbarie et combattu militairement par le gouvernement camerounais depuis 2018.

Liens complémentaires

https://www.lebledparle.com/fr/politique-cameroun/1117716-les-11-accords-secrets-signes-entre-la-france-et-ses-territoires-coloniaux-d-afrique-noire#:~:text=En%20vertu%20de%20ce%20qu,enti%C3%A8rement%20g%C3%A9r%C3%A9es%20par%20les%20Fran%C3%A7ais.

https://actucameroun.com/2022/04/11/cooperation-militaire-le-tchad-se-dirige-vers-les-accords-de-defense-avec-la-russie/

https://www.lemonde.fr/economie/article/2008/01/09/l-arrivee-de-gazprom-au-nigeria-soucie-les-occidentaux_997367_3234.html