Les données dans la guerre de l'information

Carburants de la nouvelle économie, opportunités de développement, les données interrogent aussi sur les services publics dans leurs missions et sont sujets d’inquiétude pour les personnes qui voient leurs vies mises en données et craignent que leurs faits et gestes soient surveillés et disséqués par des algorithmes dont ils ignorent les vertus. La maîtrise des données apparaît chaque jour davantage comme un élément stratégique et le deviendra de plus en plus avec le progrès de l’internet, des objets connectés et des technologies portables.

La détention de l’information, c’est-à-dire la capacité de collecter, croiser et analyser ces données, confère d'abord une forme de pouvoir économique, ensuite d’influence et enfin de domination. L’information, à ce titre, est la clé de cette nouvelle guerre. Dans le brouillard qui caractérise l'affrontement armé, c'est le savoir qui fait la décision. Il en va de même dans la guerre économique : la protection ou le piratage de l'innovation déterminent largement la hiérarchie des producteurs. Comme le souligne si habilement Hannah Arendt[i],  la guerre de l'information vise la prise de contrôle de « l’esprit des gens ».

En termes de guerre, les données représentent ici les munitions et celles-ci participent à la création des meilleures armes, et par extension, les plus puissantes, pour faire face à cette guerre dont le champ semble, au premier chef, être celui de l’économie. Ainsi, l’acquisition de ces munitions dans notre cas constitue un levier pour la guerre de l’information via des armes explicitement inventées pour la mener. Ces armes sont entre autres le digital ou transformation digitale, biais par lequel on dispose des données de l’intimité comme des objets, de moyens de production, de véhicules, des humains etc…

Les données ainsi collectées servent l’Intelligence Artificielle qui est l’arme fatale ou « arme nucléaire » dans cette nouvelle guerre. Ses acteurs de tout bord cherchent à créer une arme encore plus redoutable qui les conduira à plus de valeurs, leur permettra de collecter plus de données, élargira davantage leur sphère d’influence et leur conférera plus de pouvoir.

Les données comme levier de puissance : cas de la Chine

L’accumulation massive de gros volumes de données par les grandes entreprises technologiques, le rôle des données dans la création ou l’aggravation des déséquilibres dans le pouvoir de négociation et la façon dont ces entreprises in fine utilisent et partagent ces données avec d’autres, … Un exemple de cette manipulation de gros volumes de données est l’évolution du nombre d’utilisateurs Chinois d’internet en 30 ans. La Chine inexistante dans les années 80 et 90, pendant plusieurs années aucun accès grand public à internet, une économie néanmoins en plein développement, grâce à la politique d’ouverture de Deng. La Chine ne rend internet accessible qu’à partir de 1998, et sa croissance exponentielle est en phase avec son développement économique. Passant en l’espace d’une dizaine d’années, de quelques simples utilisateurs isolés (ou d’utilisateurs de seconde zone) à celui de numéro 1 en nombre d’utilisateurs et de trafics sur internet, engrangeant ainsi des données phénoménales pour alimenter les systèmes d’IA actuellement, en cours de développement.  

La stratégie de développement de l’IA pilotée par l’État Chinois fixe les objectifs des grandes orientations nationales en matière d’IA, permettant aux grandes firmes et universités chinoises de mettre en application des règles imposées par les autorités comme par exemple, développer des technologies duales, c’est-à-dire des technologies qui sont autant applicables au secteur économique, qu’au domaine militaire et policier. Notamment par le biais d’informations collectées par les champions Chinois du WEB les BATX (Baidu, AliBaba, Tencent, Xiaomi), équivalents des GAFAM américains.

Dans son idée de futur leader, la Chine est à l’image des Etats-Unis d'Amérique, elle souhaite contrôler la circulation de l’information, et pour cela elle déploie des moyens colossaux pour l’interconnexion, la fibre optique, les moyens de communications les plus modernes (satellite, 5G, …), ainsi que la construction de gros Datacenter. Ce déploiement est mondial et s’opère via les Nouvelles routes de la soie : l’Asie, l’Europe et l’Afrique sont ses premiers clients.

La China par ses opérateurs Télécoms, ainsi que ses acquisitions de sociétés Telecom étrangères ou ses participations est devenue un investisseur incontournable sur la scène internationale. Ses éléments créent des fortes tensions géopolitiques face à son concurrent mais néanmoins jusqu’à présent, son challenger les Etats-Unis d'Amérique, qui ne voient pas d’un bon œil cette tentaculaire invasion venue de l’Est, et s’appuie sur la géopolitique afin de freiner cette expansion (exemple les tensions en mer de Chine, …).

Ses éléments créent des fortes tensions géopolitiques notamment face à son concurrent et challenger américain, qui ne voit pas d’un bon œil cette invasion tentaculaire venue de l’Est, et s’appuyant sur la géopolitique, s’emploie à freiner cette expansion. De cette opposition, naissent des tensions (comme récemment en mer de Chine, …). La donnée reste le composant majeur du développement de l’IA en Chine. Grâce à sa forte démographie (plus de 1,4 milliard d’habitants), la Chine dispose d’un vivier lui permettant de construire une base importante pour son IA, et d’avoir une première base construite avec ses propres données.

La Chine compte parallèlement plus de 176 millions de cameras, une proportion de 1 camera pour 8 habitants. Toutefois, dans son processus développement, la Chine souhaite capter d’autres données qui aujourd’hui lui échappent visiblement pour parfaire ses systèmes. Cette ressource est principalement détenue par les Etats-Unis d'Amérique(Facebook, Google, …).  Il est à signaler que pour l’instant les datacenters sont principalement aux Etats-Unis d'Amérique et dans les pays occidentaux mais pour autant la Chine réalise une croissance importante dans ce domaine. SenseTime[ii] par exemple a développé plusieurs technologies d’intelligence artificielle : reconnaissance de texte, d’image, d’objet, de visage, analyse vidéo, analyse d’imagerie médicale, capture à distance et système de pilotage automatique. La firme a aussi créé sa propre plateforme de Deep Learning (apprentissage approfondi). Ces différentes technologies ont été déployées dans une large variété d’industries : santé, finance, divertissement en ligne, éducation, retail, sécurité, smart cities, smartphones, et bien plus encore.

SenseTime est également le premier fournisseur d’algorithmes en Chine. Le soutien du gouvernement est d’ailleurs l’une des clés de son succès fulgurant. En effet, l’entreprise a bénéficié d’un accès direct aux bases de données concernant 1,4 milliard de citoyens chinois. C’est ce qui lui a permis d’améliorer ses algorithmes très rapidement. D’ici la fin de l’année, la firme chinoise compte tripler ses revenus pour atteindre 300 millions de dollars de chiffre d’affaires. Pour y parvenir, elle envisage de faire de sa technologie un standard mondial pour la reconnaissance d’image. En résumé, SenseTime est l’un des atouts de la Chine dans « la course à l’IA » qui l’oppose à l’Europe et surtout aux Etats-Unis. Souvenons-nous de l’épisode Trump vs Tik Tok.

Le BigData et l’IA, sont deux sujets récurrents dans les médias qui soulèvent tellement de questions et nourrissent autant de suppositions, qu’il est difficile aujourd’hui de construire un modèle clair par les spécialistes. Néanmoins, le monde sait que cela implique des profonds changements dans le quotidien, et impose de suivre ces changements et surtout de les accepter. La Chine travaille dans ce sens en intégrant les organismes internationaux de normalisation, ainsi que d’autres institutions comme l’UIT (Union Internationale des Télécommunications) dont le secrétaire général est Houlin Zhao de nationalité Chinoise et officiellement haut fonctionnaire Chinois et lance des opérations d’influence notamment au Canada, celles-ci visent à étouffer les défenseurs des Tibétains, des Ouïgours, de l’indépendance de Taïwan, etc. rapport, deux chercheurs français de l’IRSEM (Institut de recherche stratégique de l’école militaire).

Les données comme actif stratégique, d’influence : cas de l’UE

"Nous ne sommes pas en retard, au contraire ! Cette guerre des données industrielles débute maintenant et l'Europe sera son principal champ de bataille" Thierry Breton[iii].

Face aux opérations de désinformation, le Département d’État américain a créé le Global Engagement Center pour « reconnaître, comprendre, exposer et contrer la propagande de désinformations d’État ou de groupes non étatiques », pour peser sur la scène économique mondiale, L’Europe veut créer son marché unique des données dans lequel chaque acteur privé ou public pourra piocher pour créer des biens ou des services. L’Europe n'a pas pu faire émerger de grandes entreprises technologiques pour rivaliser avec les géants technologiques américains (GAFAM) ou chinois (BATX). Mais il existe des fleurons industriels : Airbus, Alstom, Nestlé, Peugeot, Sanofi, Thales… avec qui elle a un coup à jouer.

Ces données industrielles sont issues des outils de production, de services ou de l’industrie. Son enjeu est surtout pour les volumes croissants de données et l’évolution de la technologie. Cette stratégie a pour but de permettre à l’Europe de tirer parti de la donnée la plus attrayante, la plus sûre, la plus dynamique du monde en se donnant les moyens d’agir.

Parallèlement, l’UE s’emploie aussi à promouvoir activement ses normes et ses valeurs auprès de ses partenaires dans le monde entier[iv]. Elle œuvre dans les enceintes multilatérales pour lutter contre les abus tel que l’accès disproportionné des autorités publiques aux données, par exemple l’accès aux données à caractère personnel contraire aux règles européennes en matière de protection des données. Afin de promouvoir le modèle européen à travers le monde, l’UE travaille avec des partenaires de confiance partageant les mêmes normes et valeurs, afin d’en soutenir d’autres désireux de donner à leurs citoyens un plus grand contrôle sur leurs données, conformément aux valeurs qu’ils partagent avec l’Europe. Par exemple, l’UE aide l’Afrique à créer une économie africaine fondée sur les données au bénéfice de ses citoyens et de ses entreprises.

Le 25 mars dernier, dans une quasi-indifférence Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission européenne et le Président Joe Biden ont annoncé conjointement être arrivé à un accord de principe sur un nouveau cadre pour le transfert de données entre les deux continents. Cet accord dont les contours sont à peaufiner, n’est-il qu’un leurre pour profiter du gaz américain le temps que la crise entre la Russie et l’Ukraine s’apaise ?

Le rapport de l’Afrique avec les données

« L’occident souffre d’infobésité, alors que l’Afrique elle, souffre d’une famine informationnelle » dixit Francois Jeanne-Beylot.

Quand on parle de guerre informationnelle en Afrique, on parle beaucoup de concurrence géopolitique qui se fait à coups d’opérations d’influences orchestrées par des acteurs aussi bien externes au continent que locaux. Médias sociaux, relations publiques, recrutement d’une main-d’œuvre locale, tout y passe…ceci est révélé dans l’édition 2020 du rapport « Africa Risk-Reward Index », élaboré par Control Risks et NKC African Economics. L’Afrique est considérée comme un terrain d’entrainement pour tester les tactiques de désinformation pour les utiliser ailleurs.

Sur le continent africain, la protection des données constitue également un enjeu en plein essor, puisque les pays africains abritent 453 millions d’utilisateurs d’Internet, pour 191 millions utilisateurs des réseaux sociaux, selon le Digital Report 2018 de We Are Social et Hootsuite. Au sein des 55 États africains, 23 d’entre eux possèdent une législation nationale à ce jour et 9 à peine se sont dotés d’une autorité chargée de faire respecter les textes. Au Sahel, l’infoguerre bat son plein, illustration des vidéos virales de propagande exemple de la crise au Mali. Des responsables politiques sont même directement pris pour cible. En dépit d’être les précurseurs de Mobil Banking[v], les Africains doivent penser à protéger les données, Au vu des levées de boucliers récentes sur l’utilisation gratuite des données par la GAFAM, du standard que pose le règlement européen des données (RGPD) et du volume de données croissant sur le continent, la question devient prégnante et susceptible de faire réagir les régulateurs africains rapidement.

« Un État qui ne protège pas correctement les données personnelles de ses citoyens s’expose à ce que celles-ci soient utilisées pour déstabiliser le pays » Déclarait Julie OWONO[vi]. Par exemple, l’entreprise Cambridge Analytica, pour perfectionner les « produits d’exploitation psychologique » qu’elle a utilisés au Royaume-Uni et aux États-Unis, la firme a d’abord fait des tests au Nigeria et au Kenya.

Gaulthier Moussouami

Sources :

Notes

[i] Hannah Arendt, née Johanna Arendt le 14 octobre 1906 à Hanovre et décédée le 4 décembre 1975 à New York, est une politologue, philosophe et journaliste allemande naturalisée américaine, connue pour ses travaux sur l’activité politique, le totalitarisme, la modernité et la philosophie de l'histoire.

[ii] Spécialiste de la reconnaissance faciale, 40% de ses revenus viennent du gouvernement Chinois. Dans le pôle IA de la Nouvelle route de la soie, elle est en charge de la partie reconnaissance faciale.

[iii] Commissaire européen chargé du marché intérieur, dans Les Echos le 17 février 2020.

[iv] Suivant des exemples tels que l’adoption par le Brésil et le Kenya de règles calquées sur le RGPD.

[v] Correspond aux services financiers (consultation des soldes, transfert, virement), accessibles depuis un téléphone portable ou un autre appareil portable connecté à la toile.

[vi] Avocate camerounaise et directrice exécutive d’Internet sans frontières