Université Fudan de Budapest : offensive du soft power chinois au cœur de l’UE

Le développement du soft power [i]est l’un des piliers de la politique étrangère de la Chine, que l’European Think-tank Network on China (ETNC, dont l’IFRI fait partie des membres fondateurs) décline en 3 axes pour l’Europe : promouvoir la langue et la culture chinoises, façonner l'image de la Chine à travers les médias et capitaliser sur les effets collatéraux de ses prouesses économiques.

Les vecteurs du soft power chinois en Europe

Le premier axe est principalement porté par le réseau des instituts Confucius, dévolu à cette tâche. Le deuxième axe passe par l’utilisation des médias traditionnels (ouverture d’antennes nationales de médias chinois dans la langue du pays hôte, rédaction d’éditoriaux, partenariats avec les organes de presse, …) et des réseaux sociaux, y compris ceux exclus du marché chinois. Cette présence sur les réseaux sociaux s’est considérablement renforcée ces dernières années, les diplomates chinois y étant notamment très actifs. Enfin, le troisième axe est incarné par deux initiatives au service des intérêts chinois ; le projet des nouvelles routes de la soie, dont 15 pays de l’Union Européenne sont membres, et le groupe des « 16+1 », rassemblant pays d’Europe de l’Est et centrale, et la Chine.

Un succès limité au sein de l’Union Européenne

Dans son étude, l’ETNC constate une détérioration de l’image de la Chine dans la majorité des pays étudiés. La perception de la Chine au sein des pays européens s’est notamment dégradée suite au déclenchement de la pandémie du COVID-19, au point que le centre de recherche sur la sécurité d’état chinois ait alerté Xi Jinping dès avril 2020 dans un rapport révélé par Reuters.

La diplomatie chinoise du masque et la diplomatie du vaccin qui a suivi ont été un échec en Europe, en grande partie à cause de la volonté trop appuyée du pouvoir chinois de promouvoir son modèle à cette occasion, combinée à une forme de condescendance à l’égard du modèle occidental affichée dans les discours officiels.

Enfin, la politique intérieure chinoise, avec la répression du mouvement prodémocratie à Hong-Kong et des minorités Ouïghours au Xinjiang, a été un facteur important de la dégradation de l’image de la Chine, renforcé par la diplomatie dite des « loups combattants », dont les attaques contre des chercheurs et parlementaires ont choqué l’opinion.

Un pays s’est toutefois distingué en prenant le contre-pied des positions de l’Union Européenne : la Hongrie de Victor Orban.

La Hongrie, porte d’entrée de la stratégie d’influence chinoise sur l’Europe

En effet, le gouvernement hongrois bloque avec zèle les prises de positions de l’Union Européenne défavorables à la Chine, tendance qui s’est accentuée ces deux dernières années. Il a aussi activement pris part à la diplomatie chinoise du vaccin, en commandant sans attendre l’avis de l’Autorité Européenne du Médicament (AEM) dès la mi-février 550 000 doses du vaccin Sinopharm, à un prix particulièrement élevé (approximativement 30€ par dose, contre à titre d’exemple environ 15,50€ par dose à l’époque pour le vaccin développé par Pfizer).

La Hongrie participe aussi activement à la stratégie chinoise des nouvelles routes de la soie par la construction d’une ligne de chemin de fer à grande vitesse reliant Budapest à Belgrade.  Si les liens économiques avec Belgrade peuvent susciter des questions sur l’intérêt pour la Hongrie d’un tel projet, il est en revanche tout trouvé pour la Chine, qui entend en faire la porte occidentale vers l’union européenne de ses nouvelles routes de la soie. Ce projet n’est ainsi pas sans rappeler l’autoroute devant relier le principal port du Monténégro sur l’adriatique à Belgrade, financée par un prêt chinois que le pays se retrouve aujourd’hui incapable de rembourser.

Mais la plus importante opération du soft power chinois au sein d’un pays de l’Union Européenne aujourd’hui est probablement la construction d’un campus de la prestigieuse université Fudan de Shangaï à Budapest. Premier campus d’une université chinoise en Europe, il devrait ouvrir en 2024 et accueillir 6000 étudiants et 500 enseignants.

D’un coût estimé à 1,5 milliard d’euros, le projet sera financé à hauteur de 1,3 milliard d’euros par un prêt chinois. De plus, comme sur la majorité des projets liés aux nouvelles routes de la soie, les travaux seront assurés par des entreprises et de la main d’œuvre chinoises et ne bénéficieront donc que très peu à l’économie locale. Ce montant est à mettre en regard de la coupe annoncée dans le budget des universités hongroises, suite au rejet par l’Union Européenne des propositions du gouvernement hongrois visant à récupérer des financements supplémentaires liés à la pandémie.

Influencer l’ensemble du monde universitaire hongrois

Cette université a vocation non seulement à appliquer à Budapest les mêmes modes de fonctionnement qu’à Shangaï, mais aussi à irriguer l’ensemble des autres institutions de l’enseignement supérieur hongrois pour diffuser son modèle. Ainsi, le programme sera le même qu’en Chine, fixé à Shangaï par les responsables chinois de l’université, et les universités hongroises seront incitées à fonctionner de pair avec elle. Or, l'analyse menée par le site d’investigation Hongrois Direkt36 d’une base de données recensant les membres du parti communiste chinois a révélé que 25% des enseignants et étudiants de l’université de Fudan étaient membres du parti, ce qui ne laisse que peu de doute quant au respect des libertés académiques en son sein. D’autant qu’en 2019, les passages de la charte de l’université faisant référence à la « liberté de penser » avaient été remplacés par la notion suivante : « armer les esprits des professeurs et des élèves avec la pensée de Xi Jinping sur le socialisme à la chinoise de la nouvelle ère ». Dont acte.

L’installation de ce campus ne va toutefois pas sans rencontrer de résistance : le maire de Budapest a ainsi renommé 4 rues entourant le site du futur campus aux noms de « avenue des martyrs ouïgours », « avenue du dalaï-lama », « avenue de Hongkong libre », « avenue de Xie Shiguang », tandis que plusieurs milliers de personnes ont manifesté fin juin leur opposition à ce projet dans les rues de Budapest.

La tentative de banalisation du soft power chinois

Le 1er juin dernier, au cours d’une session de travail du bureau politique du parti communiste chinois, Xi Jinping a appelé à améliorer les capacités de communication de la Chine à l’international pour présenter une « vision vraie, multi-dimensionnelle et panoramique de la Chine ». Ce discours reflète une tendance récente de la communication officielle chinoise : plutôt que de chercher à susciter la sympathie, le discours agressif déployé par ses représentants vise à bloquer les discours négatifs sur la Chine. La conclusion de cet article sera empruntée au rapport de l’EuropeanThink-tank Network on China cité plus haut : « Une question ouverte peut ainsi être posée : la Chine est-elle devenue moins intéressée à accroître son attractivité qu'à exercer son influence ? ».

 

Adrien Le Gal
Auditeur de la 37ème promotion MSIE

 

Notes

 

 

[i] Concept proposé par Joseph Nye en 1990, le soft power se définit par la capacité d’un État à influencer et à orienter les relations internationales en sa faveur par un ensemble de moyens autres que coercitifs.