Jeux d’influence sur l’opinion publique allemande au sujet de l’affaire navalny

Le 20 août, l’opposant russe Alexeï Navalny a été hospitalisé en urgence dans un hôpital de la ville sibérienne d’Omsk en raison d’un empoisonnement. Deux jours plus tard, il était évacué vers l’Allemagne et soigné à l’hôpital de la Charité à Berlin. Le 2 Septembre 2020 le gouvernement Allemand confirme que Alexeï Navalny a été victime d’un empoisonnement par une substance chimique nommé « Nowitschok » développé en Russie et utilisée à des fins militaires. A cette date, les indices laissent supposer une implication des autorités russes mais aucune preuve n’a été démontrée.

L’opposant russe Alexeï Navalny, un activiste politique russe est suivi par un public considérable. Les sujets qu’il aborde déterminent l’agenda politique. Il influe sur les résultats des élections et brise des carrières politiques au sein du parti Russie unie. Il est en mesure de faire descendre des dizaines de milliers de partisans dans les rues. Navalny représente une menace, qui aurait pu devenir problématique dans la phase, délicate pour Poutine, de passation du pouvoir.

 

Les retombées dans la presse allemande 

Le journal die Suddeutsche décrit dans un commentaire (Die Eskalation liegt bei Putin) [2] de Stefan Kornelius publié le 24 Août (dont deux jours après l’arrivée de Navalny en Allemagne) que l’administration Russe est sans scrupule et suggère d’utiliser comme levier de pression économique contre le gouvernement russe, l’arrêt du projet Nordstream 2.

Il est à noter que M. Stefan Kornelius responsable de l’équipe politique extérieure de la Suddeutsche est entre autre membre du Aspen institut, American institut of Contemporary American Studys et Deutsch Atlanische Geselschaft. Le commentaire « Nordstream ist Mordstream » publié le  8 septembre par le rédacteur en chef Julian Reichelt de la Bild Zeitung (Maison d’édition Springer) insinue l’arrêt du projet Nordstream 2 pour punir la Russie. Ce journaliste est également membre de l’organisation Atlantik Brücke. Un des principes officiels de la maison d’édition Springer est le soutien de l’alliance transatlantique.

Des articles similaires basés sur l’avis des Journalistes et éditeurs contre le projet Nordstream 2 en lien avec l’affaire Navalny ont été publiés en août, septembre et octobre 2020 par la FAZ, et Die Welt. Également membre des diverses organisations transatlantiques.

L’influence transatlantique

Les médias allemands et les journalistes sont pour des raisons historiques fortement imprégnées par les relations transatlantiques. Dans les médias « établis » en Allemagne, l’affaire Navalny n’est pas attaquée seulement du point de vue des droits de l’homme et de la liberté d’expression, mais également sous un angle idéologique. Dans la rhétorique de la presse le sujet d’approvisionnement en énergie devient une question de morale. Il paraît immoral, dans leur logique, d’acheter du gaz à un pays qui organise des meurtres de ses opposants. La communication mise sur les valeurs sociétales qu’il faut défendre à tout prix. Dans cette logique les médias demandent l’arrêt du projet Nordstream 2 pour montrer à la Russie la détermination des pays occidentaux.

La communication prorusse

La Russie ne dispose pas des mêmes connections dans les médias allemands. La communication russe a été organisée via la chaine de télévision RT Russia, la chaine radio Spudnik Deutschland mais également via les « médias alternatifs » dans les réseaux sociaux. Dans une émission radio de sputnik Deutschlend, Willy Wimmer (ancien Secrétaire d’Etat dans le ministère de la défense de l’Allemagne entre 1988-1992) s’interroge sur la raison pour laquelle Alexej Navalny amène son combat politique contre son gouvernement sur le territoire allemand.

Sahra Wagenknecht (l’ancienne coprésidente du partie néo-communiste Die Linke en Allemagne) dénonce dans plusieurs Talk-show (ARD/ZDF) ainsi que sur son blog l’hypocrisie de la discussion sur la morale et l’approvisionnement de l’Energie.

En effet, les pratiques des dirigeants de certains pays fournisseurs de pétrole sont tout autant scandaleuses. Il est à noter que le parti die Linke a succédé après la chute du mur de Berlin au parti unique SED de la RDA.

Sur son blog Cashkurs, l’influenceur dans le domaine de la finance, et auteur best-seller de livres en finance et géopolitique, Dirk Müller tourne l’affaire Navalny à l’absurde. Il explique que les seuls gagnants de cette affaire sont les USA et que les autorités russes ne peuvent pas être si naïves d’organiser un attentat vers un opposant, très célèbre en Allemagne, pendant la phase compliquée du projet Nordstream.  Il est quand même intéressant d’observer qu’un acteur du secteur financier utilise dans son blog, mot pour mot, la même argumentation que la néo-communiste Sahra Wagenknecht.

Les éventuels liens entre l’affaire Navalny et le projet Nordstream 2

L’Union Européenne importe 77% de son gaz, de pays tiers, Russie en tête (47%), suivie par la Norvège (34%).  L’Algérie et la Libye, fournissent ensemble 8,6% du gaz européen.  89% du gaz est importé par des gazoducs, le reste est acheminé par navires sous forme de gaz naturel liquéfié (GNL). La principale voie d’approvisionnement en gaz russe passe par l’Ukraine (gazoduc Brotherhood et la route des Balkans), qui couvre près de la moitié des importations totales en provenance de Russie, suivie de la voie biélorusse (gazoduc Yamal), qui couvre environ 20%, et du Nord Stream 1 (30%). Les capacités de production de gaz de l’union Européenne sont en baisse alors que la consommation de gaz estimée d’ici 2035 serait en hausse.

Le projet Nordstream 2 est porté par la société d’état Russe Gazprom et 5 entreprises Européennes dont le français Engie, l’anglo-néerlandais Shell, l’autrichien OMV, les allemands Uniper (groupe E. ON) et Wintershall (groupe BASF). Le projet Nordstream 2 a été lancé pour doubler la capacité du premier pipeline Nordstream 1. Le démarrage du chantier a eu lieu en 2018 et la mise en service était prévue pour le début de l’année 2021. Une fois les travaux achevés, le Gazoduc pourrait transporter 55 millions de m3 de gaz naturel par an par la mer Baltique vers l’Allemagne. Le gazoduc permettrait également à la Russie de contourner l’Ukraine pour approvisionner le continent Européen.

L’importance du gaz de schiste nord-américain

Les Etats-Unis sont depuis 2016 un des plus grands producteurs de gaz du monde. L’extraction industrielle des gisements de gaz de schiste leur a permis de devenir autonome vis-à-vis de leur besoin national en gaz mais aussi d’exporter l’excédent. Selon l’EIA l’export du gaz liquide (LNG) est en forte augmentation depuis 2016. Après une rencontre entre le président Trump et le président Juncker en 2018, les exportations vers l’Union Européenne ont augmenté de 272% en 2019.  L’Europe importe en 2019 env.30% du gaz liquide produit par les Etats-Unis.

Depuis plusieurs années, le gouvernement américain essaie d’arrêter le projet Nordsteem 2. Déjà en 2017 le congrès américain a adopté un projet de loi menaçant d’amendes, de restrictions bancaires et d’exclusion aux appels d’offres américains, toutes les sociétés européennes qui participeraient à la construction de gazoducs russes (Countering America´s Adverseries through Sanctions Act, CAATSA). Les sociétés participantes au projet Nordstreem se voient de plus en plus sous pression des sanctions américaines.

 

Jürgen Klein

Articles similaires :

  1. Le judo, outil de soft power supranational japonais
  2. Comment les séries télévisées sont devenues un puissant outil d’affrontement informationnel à l’échelle mondiale
  3. Les jeux d’influence de nature géoéconomique autour du football
  4. Comment les structures criminelles tentent d’accroître leur influence grâce au Covid-19
  5. L’intelligence culturelle au cœur de la guerre informationnelle menée par la Turquie