La victoire britannique sur le renseignement soviétique

Le monde du renseignement est rarement analysé avec précision par les auteurs qui traitent ce sujet. L’ouvrage de l’historien britannique Ben Macintyre (1)  traite à la fois du KGB et du SIS (ex MI6) lors des deux dernières décennies de la guerre froide. La principale qualité de cet auteur est de nous livrer à travers un récit une véritable grille de lecture sur le fonctionnement de deux appareils de renseignement, dont la matrice culturelle est diamétralement opposée. Il permet aussi de mieux cerner les relations entre certains services du Bloc occidental et l’importance des relations particulières en fonction de la réalité géopolitique de pays comme le Danemark, la Norvège ou la Finlande.
Le rapport de confiance dans la transmission de renseignements entre pays alliés est aussi un des grands thèmes d’analyse abordés par Ben Macintyre. Le SIS fera tout ce qui était en son pouvoir pour protéger sa source. Mais l’importance des informations transmises incita la CIA à se donner les moyens d’identifier la source cachée. Et le travail par déduction menée à Langley est un véritable cours méthodologique qui explique parfaitement le mode de réflexion en usage dans les grandes centrales de renseignement.
 
L’utilité de l’esprit de revanche
Au cours des années 60, le renseignement britannique avait été très affecté par l’affaire Philby (2). Les dégâts causés par cette trahison sont de nature tactique (démantèlement de réseaux d’agents dénoncés par Philby, informations sur des contextes de guerre comme la Corée, évaluation du potentiel nucléaire américain).
La revanche des Britanniques fut marquée par deux événements :
  • En 1971, l’expulsion de 105 de diplomates et officiels soviétiques. Cette expulsion désorganisa durablement l’espionnage soviétique sur le territoire du Royaume Uni.
  • En 1972 le recrutement de l’officier du KGB, Oleg Gordievsky.
La dimension stratégique que peur prendre une mission de contre espionnage
Au-delà des renseignements transmis aux Britanniques qui permettent l’identification de quelques espions travaillant pour les Soviétiques en Scandinavie et une compréhension beaucoup plus précise du mode de fonctionnement du KGB, Oleg Gordievsky transmet un aperçu très pointu des limites du potentiel soviétique dans la course aux armements. Ce type d’informations permettra à Ronald Reagan et à ses conseillers de piéger les Russes dans la course à la guerre des étoiles. Oleg Gordievsky contribuera aussi à désamorcer la crise initiée par Youri Andropov qui craignait une frappe préventive nucléaire des Etats-Unis, ors de l’ exercice de l’ OTAN Able Archer 83
L’ouvrage de Ben Macintyre permet aussi de démystifier la capacité de pénétration des services soviétiques qui étaient entrés dans une phase de déclin bureaucratique à la fin de l’ère soviétique. L’exfiltration hautement risquée de l’espion russe par la Finlande confirme les incohérences internes du KGB de l’époque ainsi que les rivalités très contre-productives entre certaines directions.
Les failles du système occidental sont aussi abordées sans concession par l’historien anglais qui revient sur la trahison ratée d’un agent du MI5 (qui aurait pu faire découvrir l’espion russe alors qu’il était en poste à l’ambassade de Londres) et la trahison réussie d’un officier de la CIA, Aldrich Almes, qui contribua à faire peser de gros soupçons sur Oleg Gordievsky et à paralyser son action
 
Christian Harbulot
 
 
Notes
 
1- Ben Macintyre, L’espion et le traître, Paris, Editions de Fallois, 2020.
2- Kim Philby fut un des responsables de la chasse aux espions soviétiques au sein du SIS. Les renseignements qu’il a transmis aux  services russes auraient provoqué la mort de 168 agents travaillant derrière le rideau de fer pour les Britanniques et les Américains entre 1940 et 1951.